Syrie
Suicide du ministre de l’Intérieur
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Le ministre syrien de l’Intérieur, le général Ghazi Kanaan, ancien chef des services de renseignements militaires au Liban (1982-2000) est mort. Il s’est «suicidé dans son bureau», selon l’Agence officielle syrienne Sana qui, une fois n’est pas coutume, a rapidement rapporté l’information.
La nouvelle aurait pu paraître banale si le nom de Kanaan n’avait pas été cité dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Entendu en sa qualité de «témoin», le 13 septembre à Damas, par les enquêteurs internationaux, Ghazi Kanaan, était la cible de d’attaques virulentes ces dernières semaines de la part d’hommes politiques et de médias libanais qui l’accablaient de tous les maux dont a souffert le Liban pendant les 15 années de tutelle syrienne.
Pas plus tard qu’à la veille de sa mort, le ministre syrien avait été accusé par une télévision libanaise indépendante, la NTV, d’avoir amassé une fortune estimée à des dizaines de millions de dollars en favorisant la corruption. D’ailleurs, trois heures avant sa mort, Ghazi Kanaan est intervenu sur les ondes d’une radio libanaise (la VDL du parti chrétien des Phalanges), pour rejeter ces accusations et défendre le rôle «constructif et positif joué par son pays au Liban».
Interview d’adieu
Cette interview avait de forts relents de lettre d’adieu. L’officier syrien y lit un texte visiblement préparé à l’avance et utilise des mots soigneusement choisis. Son ton est amer. Il défend vigoureusement l’action de son pays au Liban notamment pour «ses efforts visant à mettre fin à la guerre civile» et reproche aux Libanais leur «ingratitude». «Certes, au Liban nous avons pris. Mais nous avons aussi beaucoup donné», insiste-t-il. Remerciant la présentatrice de lui avoir donné l’occasion de s’exprimer, il lui demande de remettre des copies de son intervention aux différents médias libanais. «C’est peut-être ma dernière déclaration», dit-il mystérieusement. Quelques heures plus tard, son décès est officiellement annoncé. L’homme savait-il qu’il allait mourir ?
A-t-il décidé de mettre fin à ses jours ou lui a-t-on conseillé de le faire? On ne le saura peut-être jamais. Une chose est certaine, sa mort intervient moins de dix jours avant la remise par le chef de la commission internationale Detlev Mehlis de son rapport au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Et selon des informations rapportées ce mardi par les quotidiens libanais As-Safir et Al-Hayat, Mehlis pourrait accuser dans son rapport certains responsables sécuritaires syriens d’être impliqués dans l’attentat contre Rafic Hariri, tué le 14 février dans l’explosion d’une camionnette bourrée d’une tonne d’explosif.
Dans le Golan contre Tsahal
Homme de l’ombre, main de fer du régime, ce brillant officier était considéré comme un des principaux piliers du pouvoir syrien. Né dans le village de Bhamra, non loin de Kerdaha -le fief des Assad- Ghazi Kanaan était issu d’une grande famille alaouite dont l’histoire a souvent croisé celle de la famille Assad. Baasiste dès son plus jeune âge, il s’enrôle dans l’armée à la fin de ses études. Sa carrière commence dans le Golan, où il commande une unité de l’armée syrienne dans les combats contre Tsahal. En 1982, il est élevé au grade de colonel, et dirige les services de renseignements de la ville de Homs, quand il est chargé de diriger les services de renseignements syriens au Liban.
Pendant la guerre libanaise, il installe son QG à Anjar, dans la plaine de la Bekaa et établit d’autres permanences dans les différentes régions, ce qui lui permet de quadriller le pays et d’y exercer, au fil des ans, un contrôle sans partage. Il est incontestablement l’artisan de la mainmise syrienne au Liban où, dans les années 90, il devient le faiseur de présidents et de gouvernements. On le surnomme le «vice-roi» du Liban.
En 2000, Ghazi Kannan est rappelé en Syrie. Homme de confiance et homme de poigne, Bachar el-Assad lui confie le service de la Sûreté politique avant de le nommer en octobre 2004, à 62 ans, ministre de l’Intérieur. Sa disparition pourrait constituer une grosse perte pour Bachar el-Assad ou, paradoxalement, un grand soulagement. Car avec lui, c’est le témoin-clé de toute une époque qui disparaît.
par Paul Khalifeh
Article publié le 12/10/2005 Dernière mise à jour le 12/10/2005 à 17:04 TU