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Japon

L’atout nationaliste de Junichiro Koizumi

Junichiro Koizumi se recueille au sanctuaire controversé du Yasukuni.(Photo: AFP)
Junichiro Koizumi se recueille au sanctuaire controversé du Yasukuni.
(Photo: AFP)
La visite renouvelée du Premier ministre japonais Junichiro Koizumi sur le site du sanctuaire shintoïste renfermant les dépouilles de criminels de guerre provoque une nouvelle vague d’indignation parmi les voisins du Japon qui ont eu à subir l’invasion et les sévices de l’armée impériale au siècle dernier.

Junichiro Koizumi y est allé, cette année encore, conformément à ce qu’il avait clairement laissé entendre à l’issue du triomphe de son parti aux élections législatives du 11 septembre. Lundi, il est donc allé rendre hommage aux âmes des Japonais morts pour la patrie, parmi lesquels les 14 criminels de guerre de «catégorie A», de la Seconde Guerre mondiale, condamnée par les alliés après 1945. C’est évidemment là que le bât blesse. Contrairement à ses précédentes visites, le Premier ministre japonais a toutefois tenu à manifester le caractère privé de son pèlerinage sur le site du sanctuaire shintoïste. Néanmoins, privée ou pas, il n’ignorait pas le contenu hautement politique de sa visite dans ce haut-lieu du nationalisme japonais et les réactions d’hostilité qu’il ne manquerait pas de soulever dans la région. Voire même dans son propre pays où la cour d’appel d’Osaka a jugé que ces pèlerinages étaient inconstitutionnels en raison du fait qu’ils violaient le principe de séparation de l’Etat et de la religion.

Cette visite intervient dans le contexte particulier de l’échec que le Japon vient d’essuyer dans sa volonté de devenir membre permanent du Conseil de sécurité, lors de la dernière tentative de réforme de l’Onu. Contributeur essentiel de l’organisation (le deuxième derrière les Etats-Unis), le Japon attendait d’être mieux traité par la communauté internationale et notamment par son allié américain qui, plutôt que de manifester sa solidarité à son égard, a contribué à enterrer le projet sous une avalanche de contre-projets. Déçues, les autorités japonaises ont laissé filtrer leur amertume et renforcé les thèmes nationalistes de leur discours. Parmi les grands chantiers que se propose notamment de mener le Premier ministre lors de son exercice figure en bonne place la réforme de la Constitution. Junichiro Koizumi veut modifier le deuxième paragraphe de l’article 9 du document afin de rendre possible la création d’une armée dont le pays était privé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Taiwan au diapason de Pékin

Cette visite au sanctuaire du Yasukuni, comme les précédentes, rejaillit sur le contexte régional et cristallise les contentieux historiques que Tokyo entretient avec ses voisins, coréens et chinois notamment. Nombre de pays de la région ont eu, au siècle dernier, à affronter une présence militaire et coloniale japonaise des plus brutale. Outre le fait que les troupes impériales se sont rendues coupables des pires atrocités, l’historiographie japonaise contemporaine officielle n’a toujours pas rendu compte des épreuves que les soldats de Tokyo ont fait endurer aux peuples qu’ils ont soumis. La Chine parle de «provocation». L’ambassadeur du Japon à Pékin a été convoqué «en urgence» par le ministre des Affaires étrangères pour entendre la protestation chinoise après la visite de M. Koizumi au sanctuaire et l’ambassade a mis en garde les ressortissants japonais résidant en Chine contre de possibles «vives réactions». Taiwan, colonie japonaise jusqu’en 1945, est au diapason de Pékin et appelle Tokyo à «affronter l’Histoire».

De même, après la convocation de l’ambassadeur du Japon, la Corée du Sud a déclaré envisager l’annulation d’un déplacement du président Roh Moo-Hyun à Tokyo, ou une modification du programme de la visite présidentielle prévue pour le mois de décembre. Le ministre sud-coréen des Affaires étrangères, Ban Ki-Moon estime que les visites officielles au sanctuaire «représentent la plus importante pierre d’achoppement dans les relations entre la Corée du Sud et le Japon», dont les liens diplomatiques n’ont été rétablis qu’en 1965.

Ce concert de protestations régional renforce la dynamique nationaliste japonaise. M. Koizumi a rejeté l’ingérence de ses voisins contenue dans les critiques formulées à son égard. «En principe, les autres ne doivent pas se mêler des affaires personnelles», a déclaré le N°1 japonais démentant toute intention de «provocation» dans son attitude et rappelant le caractère privé de sa visite. M. Koizumi a d’autre part réaffirmé la permanence de la politique étrangère de son pays et la priorité qu’il accordait à «construire des relations orientées vers l’avenir avec les pays asiatiques».

Une vraie marge de manœuvre, peut-être la seule

Nombre d’observateurs affirment que M. Koizumi a placé ses convictions personnelles au-dessus de ses devoirs diplomatiques ou, en d’autre termes, qu’il sacrifie les relations régionales de son pays sur l’autel de ses propres sentiments. Sa démarche controversée renforce sa réputation de franc-tireur de la politique dans une société qui a bâti sa réputation sur le jeu collectif et la discipline. Mais, tandis qu’il manifeste sa détermination à poursuivre ostensiblement dans ces registres personnel et idéologique, il est aussi engagé dans des chantiers à la popularité plus incertaine. Il n’a pas, sur le plan diplomatique, d’option alternative à son alignement sur Washington, alors qu’il fait face à une opinion publique rétive quant à son engagement aux côtés des Américains en Irak. Mais, en se rendant au sanctuaire du Yasukuni, M. Koizumi recrute néanmoins le soutien des fractions les plus conservatrices et nationalistes tandis que, de l’autre main, il prend ou s’apprête à prendre des décisions douloureuses pour réduire les déficits publics, la participation de l’Etat dans l’économie et la réforme du système des retraites dans une société vieillissante.

Soucieux de mener à bien sa politique de réforme, confronté à un contexte régional difficile et après avoir subi quelques revers internationaux, Junichiro Koizumi a défini l’ordre de ses priorités et décidé d’avancer avec habilité là où il dispose à peu de frais d’une vraie marge de manœuvre, peut-être la seule : en flattant le sentiment nationaliste de son électorat.


par Georges  Abou

Article publié le 17/10/2005 Dernière mise à jour le 17/10/2005 à 17:27 TU