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Chili

Pinochet rattrapé par ses millions

Augusto Pinochet, le 30 août 2000.(Photo : AFP)
Augusto Pinochet, le 30 août 2000.
(Photo : AFP)
La Cour suprême a levé l’immunité de l’ancien dictateur Augusto Pinochet le mercredi 19 octobre. Cette fois, non dans une affaire de violations des droits de l’homme. Mais dans l’affaire de sa fortune secrète. Il pourrait ainsi être mis en examen.

De notre correspondante à Santiago

L’ancien dictateur Augusto Pinochet, qui fêtera ses 90 ans dans un mois, n’en a pas fini avec la justice de son pays. La plus haute juridiction du Chili, la Cour suprême, a levé hier son immunité dans l’affaire de sa fortune cachée –immunité qu’il détient en sa qualité d’ex-président (autoproclamé). Si la décision est encore informelle, mais de sources sûres, elle permettrait la poursuite du procès dans trois des délits présumés: fraude fiscale, falsification de documents publics et falsification de déclaration sur l’honneur. Autrement dit, une mise en examen de l’ancien dictateur.

Car Pinochet, qui a toujours affiché une image de militaire honnête et probre, a caché au monde sa richesse jusqu’en juillet 2004. A cette date, un rapport du Sénat américain sur la banque Riggs dévoile 4 à 8 millions de dollars lui appartenant sur des comptes bancaires aux États-Unis. Pour sa défense, les avocats prétextent «des économies, des dons et une partie des fonds secrets de l’État». Selon le juge Sergio Munoz, chargé depuis plus d’un an d’enquêter sur l’importance et l’origine de cette fortune, elle s’éleverait à 27 millions de dollars. Sur sa déclaration de biens prêtée sur l’honneur en 1989, alors qu’il quitte la présidence, Pinochet a oublié quelques zéros… Tout comme sur ses déclarations d’impôts. Il devrait 16,5 millions de dollars au fisc.

Une fortune inexplicable

Cette fortune est inexplicable pour un simple fonctionnaire, même aux plus hautes fonctions de l’État: président de la République entre 1973 et 1990, et commandant en chef de l’armée de terre de 1972 à 1998. D’autant qu’elle s’étend sur un réseau impressionnant de comptes bancaires, ouverts, certains avec de faux passeports, sous 12 faux noms différents, dans plus d’une quinzaine de banques en Europe et aux États-Unis. Il existe également 14 sociétés liées à l’ancien dictateur, la plupart installées dans des paradis fiscaux, aux noms de proches et de membres de sa famille. «Un réseau bancaire typique du blanchiment d’argent», souligne l’avocate Carmen Hertz, plaignante dans l’affaire.

D’où vient l’argent ? L’ancien général se serait mis dans la poche plus de 2 millions de dollars provenant des fonds secrets de l’État, selon le juge Sergio Munoz qui a déposé mardi une demande de levée d’immunité pour «détournements de fonds publics». Quand au reste, on soupçonne un commerce d’armes très fructueux, du temps où Pinochet était commandant en chef de l’armée de terre.

Mi-septembre, une enquête du quotidien anglais The Guardian révèle que le plus important fabricant d’armes du Royaume-Uni, BAE Systems, a payé en secret plus de 2 millions de dollars à Augusto Pinochet entre 1997 et 2004. Une commission illicite qui ne serait pas unique. Le juge Muñoz enquête également sur l’achat de 25 avions Mirage belges en 1994, sur celui de tanks Léopard hollandais, sur l’achat de 22 chars à la fabrique suisse Mowag et sur la vente illégale de 12 tonnes d’armement à la Croatie, en pleine guerre des Balkans. Un commerce que l’ancien général n’a pas organisé seul. Certains membres de sa famille et de nombreux militaires, à la retraite et encore en activité, sont sur la sellette.

L’avocate plaignante, Carmen Hertz, craint néanmoins le classement de l’affaire. Le juge Sergio Munoz a été nommé juge à la Cour suprême mardi. Une promotion qui l’oblige à laisser les affaires sur lesquelles il enquêtait. Certains doutent déjà de l’efficacité de celui qui le remplacera. D’autre part, l’ancien dictateur prétextera sûrement, une fois de plus, son incapacité à affronter un procès étant donné sa sénilité. En revanche, sa famille et ses proches ont encore, eux, de quoi s’inquiéter. Lucia Hiriart, son épouse, et le plus jeune de ses fils, Marco Antonio, ont été eux mis en examen en août dernier pour complicité de fraude fiscale.

par Claire  Martin

Article publié le 20/10/2005 Dernière mise à jour le 20/10/2005 à 11:03 TU