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Chili

Pinochet perd son immunité

Le général Pinochet ne sera finalement pas poursuivi pour son rôle dans l'opération Condor.(Photo: AFP)
Le général Pinochet ne sera finalement pas poursuivi pour son rôle dans l'opération Condor.
(Photo: AFP)
La justice chilienne a levé l’immunité de l’ancien dictateur pour ses comptes bancaires secrets mais elle met fin aux poursuites dans l’Opération Condor.

De notre correspondante à Santiago-du-Chili

Un pas en avant, un pas en arrière. La justice chilienne a décidément bien du mal à tenir en équilibre et avancer de manière cohérente dans le bourbier Pinochet. Mardi, alors que la cour d’appel au complet, formée de 25 juges, levait l’immunité de l’ancien dictateur dans l’affaire de sa fortune cachée, la quatrième cour d’appel, formée de trois juges, annulait la mise en examen d’Augusto Pinochet dans l’affaire de violations des droits de l’homme dite Opération Condor. C’est ainsi qu’on a entendu l’avocat des familles de disparus, Eduardo Contreras, constater : « Aux yeux des juges, semble-t-il, il n’est pas admissible que Pinochet soit un voleur, en revanche peu importe qu’il soit un assassin, autrement dit des millions de dollars valent beaucoup plus que le sang de milliers de chiliens morts au cours du plan Condor ».

Ce plan de coordination des services secrets, mené dans les années 70 et 80 par les dictatures sud-américaines pour éliminer leurs opposants politiques, était devenu l’espoir des familles de disparus que justice soit faite au Chili. Que l’ancien dictateur pendant 17 ans (1973-1990) soit jugé pour un de ses crimes de sang. Après une levée d’immunité inespérée en août 2004 (1), le juge Juan Guzman était même parvenu à le mettre en examen le 13 décembre dernier pour sa participation en tant qu’auteur de 9 enlèvements de personnes dont les corps n’ont jamais été retrouvés et un homicide qui ont eu lieu au cours de l’opération Condor. C’était la seconde fois qu’Augusto Pinochet, qui n’a jamais été condamné malgré les 300 plaintes instruites contre lui, était mise en examen au Chili (2).

Or, les chances de pouvoir présenter un recours contre la décision des trois juges, considérés au Chili comme très fortement pro-Pinochet, sont moindres, voire nulles, selon les avocats de la partie civile. Pourtant, la raison principale invoquée par la cour fait l’objet de démentis à répétition. Cornelio Villarroel, Juan Muñoz y Alfredo Pfeiffer ont estimé l’ancien commandant en chef de l’armée de terre, aujourd’hui âgé de 89 ans, incapable d’assurer sa défense au cours d’un procès étant donné une « démence légère ». C’est cet argument qui avait permis à l’ancien dictateur de passer entre les mails du filet judiciaire jusqu’en août dernier. La cour suprême avait alors mis en doute cette démence dans l’affaire Condor. Il faut dire qu’en 2003, Pinochet avait commis un pêché d’orgueil en accordant une interview d’une heure et demie à une journaliste d’une chaîne de télévision de Miami où il apparaissait lucide. Et les preuves ont continué depuis de s’accumuler.

Une fortune impossible à amasser par un fonctionnaire

Au mois de février dernier, ses quelques 60 employés sont interrogés dans l’affaire de ses comptes secrets à la banque américaine Riggs, qui ont révélé Pinochet et sa famille à la tête d’une fortune évaluée à plus de 17 millions de dollars. Selon leur témoignage, le vieillard commence sa journée par des exercices physiques et la lecture de 4 quotidiens, il mène ensuite des réunions avec ses proches collaborateurs, ses avocats. Et, jusqu’au 29 décembre dernier, il gérait lui-même l’ensemble du patrimoine familial.

L’argument de la démence n’a d’ailleurs pas pesé sur la décision de la cour d’appel qui a levé l’immunité de Pinochet dans l’affaire de sa fortune cachée. Ce qui a pesé ici, c’est la difficulté de ses avocats à expliquer une fortune impossible à amasser par un simple fonctionnaire, même aux plus hautes fonctions de l’État, à expliquer les sociétés offshore, les plus de 125 comptes sur le seul sol américain dans 9 institutions bancaires différentes. Des comptes ouverts en son nom propre, mais aussi sous 12 faux noms (José Pinochet Ugarte, José Ramon Ugarte ou encore Daniel Lopez), notamment à l’aide de faux passeports. La cour a donné son feu vert au juge d’instruction Sergio Muñoz, en charge de l’affaire depuis 10 mois, de poursuivre son enquête sur les délits présumés de Pinochet : fraude fiscale, faux et usage de faux, corruption, blanchiment d’argent, détournement de fonds, obstruction à la justice… À la cour suprême de dire à présent si elle confirme ou non la levée d’immunité de l’ancien dictateur. Si oui, c’est l’interrogatoire et la mise en examen, sinon c’est le classement de l’affaire.


par Claire  Martin

Article publié le 08/06/2005 Dernière mise à jour le 09/06/2005 à 11:27 TU

(1) Pinochet bénéficie de l’immunité en tant qu’ancien président de la république chilienne – autoproclamé. (2) La première mise en examen, dictée également par le juge Guzman, remonte à 2001 dans l’affaire dite de la Caravane de la mort, une unité militaire qui a parcouru le Chili en octobre 1973, tuant 75 prisonniers politiques.