Israël
Le grand marchandage politique
(Photo: AFP)
Pendant longtemps, la vie politique israélienne ressemblait à un match de football, avec deux adversaires traditionnels : le parti de droite, Likoud, et le parti de gauche Travailliste. Visiblement, il convient maintenant de parler plutôt de tournoi. Du ballon rond à la politique, il y a Arcadi Gaydamak. Ce richissime juif russe est, depuis août dernier, le président d’un club de football. Et ce week-end, cette personnalité sulfureuse, sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour une affaire de trafic d’armes supposé vers l’Angola, a annoncé qu’il allait créer un parti politique russophone qui se présentera aux élections législatives du 28 mars. Pas sûr que sa carrière de politicien aboutisse dans l’immédiat, puisqu’il vient d’être interpellé pour les besoins d’une enquête dans une affaire de blanchiment d’argent…
Mais surtout, en compétition, il y a Ariel Sharon. L’actuel Premier ministre a surpris tout le monde, la semaine dernière, en quittant avec fracas le Likoud. Pour les prochaines élections, il courra sous les couleurs du parti qu’il vient de créer : Kadima («En avant», en hébreu). Et depuis, le général Sharon se constitue une équipe, dont il est naturellement le charismatique capitaine. Tous les sondages le donnent grand gagnant du prochain scrutin législatif.
Le «Sharonisme»
Tous les politologues s’activent depuis une semaine à décrypter la stratégie du Premier ministre. En claquant la porte du Likoud, Ariel Sharon a pris un risque énorme. Mais à 77 ans, il mise sur sa solide popularité. «Sa personnalité lui sert pour l’heure de seul programme», souligne ainsi le correspondant à Jérusalem du quotidien français Libération. «Il est son propre message», confirme le journal israélien Haaretz. Quant au quotidien Yédioth Aharonot, il va jusqu’à comparer la démarche d’Ariel Sharon à celle du Général de Gaulle en France, il y a cinquante ans. En effet, explique notre confrère, le parti Kadima est celui d’un seul homme, comme le fut le Rassemblement du Peuple Français (RPF), fondé en 1947 par Charles de Gaulle. Pour Nahum Barnéa, chroniqueur vedette du Yédioth Aharonoth, « de la même façon que le Gaullisme est l’idéologie dominante en France, le Sharonisme sera l’idéologie dominante en Israël ». Et de poursuivre le parallèle, en présentant Ariel Sharon, comme un général charismatique, un nationaliste capable de s’adresser à son électorat avec des accents populistes, à l’image de Gaulle.
«Cela fait soixante ans que je suis au front», avait lancé le Premier ministre en annonçant la création de son parti. Et il semble décidé de continuer à aller «de l’avant», comme l’indique le nom de son parti. «En avant !»… Mais avec qui ?
Vers un ticket Sharon – Pérès ?
La rumeur circule depuis une semaine, et elle pourrait bientôt être confirmée : Ariel Sharon aurait tendu la main à Shimon Pérès, ancien chef du Parti travailliste, débarqué de son poste il y a un mois. Les deux hommes, malgré leurs idées politiques opposées, sont amis depuis un demi-siècle. Agé aujourd’hui de 82 ans, Shimon Pérès a occupé toutes les fonctions ministérielles en Israël. Couronnement de sa longue carrière politique, il a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 1995, en même temps qu’Ytzhak Rabin, alors Premier ministre. D’après Radio Israël, M. Sharon pourrait lui offrir un poste d’«ambassadeur spécial pour le processus de paix», s’il venait à rejoindre le parti «Kadima». «Le tandem Sharon – Pérès ne craindra pas de prendre des décisions difficiles et impopulaires», commente le professeur Yaron Ezrahi, spécialiste en sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem. «Ils entendent exploiter le fait qu’ils n’ont tous deux plus rien à perdre, sur le plan de leur carrière politique. Et le public est prêt à leur donner le soutien nécessaire pour qu’ils puissent mener un dernier acte susceptible de sauver le navire, en traçant les frontières d’Israël». Shimon Pérès pourrait se prononcer dans les tous prochains jours sur un éventuel ralliement à Kadima.
Face à cette éventualité, le Parti travailliste ne sait pas vraiment quelle attitude adopter. Certains comme le député Youli Tamir, fustige l’indécision de Shimon Pérès et l’accuse même de faire du «shopping politique». Plus radicaux encore, certains observateurs somment M.Pérès de prendre sa retraite. A l’inverse, des jeunes militants se sont postés devant son domicile pour le supplier de rester avec les Travaillistes. Quant au nouveau chef du Parti, Amir Peretz, qui avait remplacé Shimon Pérès à son poste, il craint sans doute qu’un ralliement de M. Pérès à Kadima apporte des troupes et des voix au Parti d’Ariel Sharon en vue des prochaines élections anticipées de mars. Aussi, Amir Peretz a-t-il consenti à faire une proposition à Shimon Pérès pour l’inciter à rester : un poste honorifique au sein du Parti, sans préciser lequel.
Le Likoud sans Sharon…
A droite, le parti Likoud subit de plein fouet la nouvelle donne politique en Israël. Certes, plusieurs cadres du parti se sentent abandonnés, depuis le départ de leur chef Ariel Sharon. Mais les militants les plus radicaux se satisfont pleinement de cette situation. Ainsi, Avidad Vissoly, député, qui pense que le Likoud «va retrouver son chemin, redevenir un authentique parti de droite libérale. Avec Sharon, le Likoud était devenu une espèce de supermarché idéologique». Un autre élu, Ayoub Kara abonde dans ce sens : «Le Likoud avait perdu son âme sous la direction de Sharon. Le retrait de Gaza a fait au parti un tort considérable».
Plusieurs candidats sont en lice pour reprendre le flambeau du parti, laissé vacant avec le départ d’Ariel Sharon. Benyamin Netanyahou fait figure de favori pour les primaires qui auront lieu le 19 décembre.
… mais Sharon avec le Likoud ?
La plupart des analystes prédisent un rapprochement ente le parti d’Ariel Sharon et l’électorat de gauche. A l’appui de cette hypothèse, il y a le possible ralliement de Shimon Pérès à Kadima. Une grande union de centre-gauche, poursuivant une politique sociale et s’engageant avec détermination dans un règlement pacifique avec les Palestiniens, cela a de quoi séduire une partie de l’opinion publique. Même les partenaires internationaux veulent y croire.
Pour autant, il est des observateurs qui s’interrogent sur la stratégie d’Ariel Sharon. Et d’évoquer le fait que l’ancien général a conservé des partisans au sein du Likoud, à droite. Ces observateurs citent ainsi Shaul Mofaz, ministre de la Défense et Silvan Shalom, chef de la diplomatie. Ces deux hommes sont candidats pour diriger le Likoud. Ils pourraient être, en fait, «des chevaux de Troie», restés au parti, sur les conseils du Premier ministre, pour lui permettre de bâtir une coalition gouvernementale de centre-droit, à l’issue des législatives.
D’ailleurs, ce lundi, Ariel Sharon n’a pas fermé la porte à une possible alliance avec le Likoud. «Je n’exclus personne. Je crois qu’il faut autant d’unité que possible», a-t-il déclaré. Une manière de laisser planer un peu plus de suspense dans une compétition politique qui décidément n’en manque pas.
par Olivier Péguy
Article publié le 28/11/2005 Dernière mise à jour le 28/11/2005 à 17:46 TU