Soudan
Juba, renaissance du Sud
(Photo : Gabriel Kahn/RFI)
De notre envoyé spécial
Juba, la nouvelle capitale du Sud Soudan, est construite au bord du Nil, au milieu d’une vaste plaine d’épineux, face à un grand roc utilisé comme terrain d’entraînement par l’armée. Au centre-ville, des hommes fument le narguilé en buvant du thé à l’ombre de huttes construites en papyrus séché et couvertes de toits en chaume. De larges avenues défoncées montent jusqu’au sommet de la ville, où se trouve le nouveau Parlement et le nouveau gouvernement du Sud Soudan. Elles sont bordées de vastes villas en ruine qui témoignent d’un passé confortable de petite ville coloniale. Le moindre espace est recouvert de huttes en torchis comme autant de villages. «Juba avait été construite par le colonisateur britannique selon un schéma culturel rigide : un quartier pour les "indigènes", un autre pour les Anglais, un troisième pour l’administration et un dernier pour les commerçants», explique Georges Reak, un cadre du Mouvement de libération des peuples du Soudan (SPLM).
Il est devenu difficile de trouver un logement à Juba. Sous la pression des expatriés des Nations unies et des organisations non gouvernementales qui se pressent à Juba par milliers depuis la signature en janvier dernier d’un accord de paix entre le SPLM et le régime islamique de Khartoum, les loyers ont été multipliés par 10 et les rares maisons vides s’arrachent dans la journée. La plupart des nouveaux venus doivent se résoudre à dormir sous des toiles de tente louées 200$ la nuit. De nombreux députés et quelques ministres du nouveau gouvernement du Sud Soudan dorment à plusieurs dans une pièce. Certains ministères, comme celui du Commerce, ont été installés dans un bâtiment totalement en ruine.
Liberté du commerce et ouverture aux investissements étrangers
Quelque 3 000 anciens rebelles de l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA) sont arrivés à Juba début décembre pour créer la nouvelle armée du Sud Soudan. Ils dorment pour la plupart sous des arbres à côté de leurs tanks et se retrouvent côte à côte dans les cafés avec les militaires de l’armée gouvernementale. «Nous ne sommes pas venus à Juba pour faire la guerre mais pour faire respecter la paix», remarque Jacob, un jeune rebelle de la SPLA recruté en 2003 dans un camp de réfugiés au Kenya voisin. «Les militaires gouvernementaux sont pour la plupart issus du Sud Soudan.Ce sont nos frères», précise-t-il.
Les véhicules sont rares. Mis à part les somptueux véhicules 4X4 des Nations unies, seuls circulent quelques vieux bus défoncés. La plupart de la population est donc condamnée à se déplacer à pied ou à bicyclette sous un soleil de plomb. Juba semble «colonisée» par les Nations unies, remarque un homme d’affaires. Ce sont elles qui financent, avec le soutien de l’US AID, l’agence gouvernementale d’aide humanitaire des Etats-Unis, la plupart des projets en cours : déminage et reconstruction des routes, distribution de vivres aux déplacés, construction des puits et même l’élaboration des politiques du nouveau gouvernement du Sud Soudan qui semble directement inspirée par l’idéologie du département d’Etat américain : liberté du commerce et large ouverture aux investissements étrangers. Ces derniers tardent pourtant à se matérialiser.
Ils voteront en faveur de l’unité du Soudan
Les services manquent cruellement à Juba. Le réseau cellulaire est engorgé, les opérateurs d’accès à Internet n’ont pas encore reçu l’autorisation de s’installer. Mais grâce aux Nations unies, les routes sont réhabilitées, ouvrant ainsi la voie au commerce avec l’Afrique Centrale et de l’Est. Dès lors, le marché de Konyo-Konyo, partiellement brûlé en août dernier au cours des émeutes qui avaient suivi la mort dans un accident d’hélicoptère de John Garang, le chef du SPLM, regorge-t-il désormais de produits ougandais ou importés de la République démocratique du Congo (RDC). «Avec des financements de l’US AID, la route vers l’Ouganda et la RDC est ouverte, celle vers le Kenya est en cours de réfection. Elle est tellement large qu’on pourrait y atterrir avec un avion de ligne», précise un démineur australien.
C’est un important changement à Juba. Jusqu’en septembre dernier, en effet, la ville dépendait exclusivement de la circulation sur le Nil et des lignes aériennes sur Khartoum. Juba se détache ainsi progressivement du monde arabe au profit des anciennes colonies britanniques que sont l’Ouganda et le Kenya. «Nous allons chasser tous les Arabes», menace, en référence aux Soudanais originaires du Nord du pays, un fonctionnaire du gouvernement du Sud Soudan après avoir bu de nombreuses bières. Un sentiment fortement ancré au sein du SPLM qui détient plus de 70% des postes dans le nouveau gouvernement du Sud Soudan. Mais il n’est pas partagé par tous. La plupart des habitants de Juba tiennent à conserver Khartoum comme capitale et disent qu’ils voteront en faveur de l’unité du Soudan dans 5 ans.
Car cette guerre qui a duré 21 ans n’a pas seulement créé un fossé entre le Nord et le Sud, elle a également réveillé de nombreux conflits tribaux qui mettent la SPLA, essentiellement composée de Dinka (une puissante ethnie d’éleveurs semi-nomades), en situation de fragilité. Beaucoup craignent que si le Sud se constitue en Etat indépendant, les anciens rebelles, fort de leur prise de pouvoir par les armes, ne parviennent pas à y préserver la paix et encore moins à y accepter l’instauration d’une réelle démocratie. Là réside toute l’incertitude des cinq années à venir.
Prochain article à paraître : «La paix s’étend au Nil».
par Gabriel Kahn
Article publié le 20/12/2005 Dernière mise à jour le 20/12/2005 à 18:32 TU