Soudan
Le Sud orphelin de Garang
Photo : AFP
De notre envoyé spécial à Juba (Sud Soudan)
Le ballet diplomatique lors des funérailles d’Etat, samedi dernier, du chef du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) préfigurait la nouvelle donne politique au Sud. Le choix de Juba, la plus grande ville du Sud du pays qui doit progressivement passer sous contrôle du SPLM pour devenir la capitale administrative d’un Sud Soudan autonome, n’était pas neutre.
De nombreux dignitaires sont venus enterrer le dirigeant qui a mené 21 ans de rébellion contre le pouvoir islamiste de Khartoum. Les chefs d’Etat du Kenya, qui a abrité les négociations de paix, d‘Afrique du Sud, et d’Ethiopie étaient entourés de délégations diplomatiques occidentales et de la région.
Pourtant, le savant protocole de Khartoum tendait à montrer que le président, Omar el-Bechir, l’homme fort du régime, garde la haute main sur la ville. Ainsi, l’avion transportant le corps de Garang n’a pas été autorisé à atterrir avant celui du président. La saturation du petit aéroport de Juba a ainsi forcé plusieurs avions à faire demi-tour, faute de carburant, avant de pouvoir se poser.
La garde d’honneur et le service de sécurité étaient composés d’ex-rebelles et de militaires de l’armée régulière. Le corps de Garang a été mis en terre en fin de journée à la fois par des troupes du gouvernement et des soldats rebelles. Mais les hauteurs stratégiques de la tour de contrôle et du toit de l’aéroport étaient exclusivement occupés par les gardes présidentiels de Bechir.
Nettoyage ethnique contre les «Arabes» présents au Sud
En 21 ans de guerre, le SPLA n’a jamais réussi à prendre cette principale ville-garnison du Sud, malgré des assauts féroces, qui ont marqué le paysage. Au terme de l’accord de paix, les troupes du gouvernement ne doivent évacuer Juba que très progressivement. La ville est jonchée de carcasses d’obus et de roquettes rouillées, et la mission de déminage déployée il y a un an n’est pas arrivée au terme de sa tache.
Malgré cela, la violente réaction populaire à l’annonce de la mort de Garang a bouleversé l’équilibre ethnique et religieux – donc politique – de la région. Dans les principales villes du Sud, de violents pogroms ont pris pour cible les «Arabes», Soudanais musulmans originaires du Nord du pays, ainsi que leurs commerces. Les lynchages ont fait plusieurs dizaines de morts.
A Juba et Malakal, les violences ont commencé lundi et duré quatre jours. Les émeutiers ont réduit le marché en cendres, des rafales d’armes automatiques résonnant jusqu'à jeudi matin. «Ceux du Nord» qui ont échappé aux violences se sont réfugiés dans les casernes des troupes de Khartoum, ou ont pris la fuite par leurs propres moyens. Le gouvernement a réagi en évacuant les survivants à bord d’avions cargo en partance pour la capitale. Cette épuration ethnique a vidé le Sud de ses populations originaires du Nord, laissant le gouvernement de Khartoum privé de sa maigre assise populaire dans cette partie du Soudan.
Il aura donc fallu attendre la disparition de Garang pour que les troupes rebelles rentrent dans la ville. Avec l’accord de Khartoum, le SPLA a déployé un millier de ses soldats au treillis vert, officiellement pour protéger les officiers et dignitaires du mouvement pendant les cérémonies. Mais ces soldats doivent rester à Juba.
Salva Kiir, le successeur de Garand, devra s’imposer
John Garang dirigeait le mouvement d’une main de fer, admettant peu les discussions, et ne tolérant pas les dissensions. Sa disparition a provoqué des spéculations sur de possibles déchirements internes quant à sa succession. Des spéculations rapidement démenties par la nomination unanime de Salva Kiir Mayardit à la tête du SPLM/A et au poste de premier vice-président d’un gouvernement d’union nationale basé à Khartoum.
Salva Kiir, un compagnon de la première heure, est peu connu du public. Comme Garang, c’est un Dinka, l’ethnie majoritaire au Sud-Soudan et au sein de la rébellion. C’est l’unique survivant du groupe des sept fondateurs du mouvement, créé en 1983. C’est également un vétéran du premier conflit Nord-Sud, au cours duquel tous les deux ont fait leurs armes au sein des milices «Anya Nya» du Sud-Soudan.
Décrit comme franc et tempérant - sa famille réside dans une modeste maison des quartiers moyens de Nairobi, contrairement à la plupart des cadres du SPLM/A - il s’affiche comme «un soldat, pas un politicien». Plus homme d’action que de discours, c’est un fervent catholique (Garang était anglican). Il avait l’oreille de Garang, qui en avait fait son délégué aux négociations de paix. Salva Kiir était le signataire du protocole de Machakos qui préfigurait l’accord de paix global de janvier 2005.
Lors de son oraison de samedi, l’évêque anglican a comparé Garang a nombre de prophètes, dont Moise, pour avoir «guidé les Soudanais vers la paix». Mais c’est Salva Kiir qui faisait figure biblique, ayant symboliquement troqué l’uniforme kaki du SPLA pour une longue tunique bleu ciel. Pourtant, son discours lors des funérailles était sans surprise,et n’a pas conquis les foules.
Respecter le calendrier de l’accord de paix
Il s’est borné à s’engager à respecter les termes et le calendrier de l’accord de paix global, et à « faire tout ce qui est possible » pour élucider les conditions de la mort de Garang dans le crash de l’hélicoptère du président ougandais, Yoweri Museveni. Aucun changement de politique n’a donc été annoncé.
Tout au long du périple qui a transporté le corps dans les principales villes tenues par le SPLM/A pour un dernier hommage – partant de New Site, où Garang résidait, pour finir à Bor, son lieu de naissance – Kiir a réaffirmé les allégeances et alliances du mouvement. Salva Kiir a ainsi choisi de rappeler les liens privilégiés entre le SPLM/A et l’Ouganda voisin. Une association contre le pouvoir de Khartoum qui s’explique par l’appui du gouvernement soudanais aux milices sanguinaires de la Lord’s Resistance Army de Joseph Kony, qui commet de nombreuses atrocités dans les deux pays.
Rebecca Garang, veuve du dirigeant, a en revanche insisté sur le respect de l’accord de paix, mais aussi sur la lutte contre la pauvreté et pour les droits de la femme au Sud Soudan. Son fils Mabior a, lui, longuement énuméré les membres de la communauté internationale qu’il remerciait pour leur soutien au processus de paix. Presque comme s’il préparait le terrain pour la possible sécession du Sud, qui doit faire l’objet d’un référendum dans six ans.
par Hilaire Avril
Article publié le 08/08/2005 Dernière mise à jour le 08/08/2005 à 17:32 TU