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Sri Lanka

Cessez-le-feu en péril

Dans la péninsule de Jaffna, les guérites de l'armée sri lankaise sont souvent les cibles de jets de grenade par des individus non identifiés.(Photo: Mouhssine Ennaimi/RFI)
Dans la péninsule de Jaffna, les guérites de l'armée sri lankaise sont souvent les cibles de jets de grenade par des individus non identifiés.
(Photo: Mouhssine Ennaimi/RFI)
Jusqu'où l'escalade de violence entre l'armée sri lankaise et les séparatistes tamouls ira-t-elle? Rien que pour le mois de décembre, on dénombre 81 morts. Un mois particulièrement sanglant où le dialogue entre les deux parties semble rompu. Quatre attaques à la mine contre des bus transportant l'armée sri lankaise ont été perpétrées. Dimanche dernier, un député tamoul est abattu par un tireur non identifié en pleine messe de Noël à Batticaloa, à l'extrême est de l'île. Le 19 décembre dernier, l'armée tire sur une manifestation universitaire à Jaffna au nord de l'île. La liste des incidents sur le terrain s'allonge. Depuis l'élection du président Mahinda Rajapakse, la situation s'est dégradée. Les principaux donateurs d'aide multiplient les appels au calme.

De notre correspondant à Colombo

« L'accord de cessez-le-feu est en péril », affirme Hagrup Haukland, le chef de la mission scandinave d'observation de la trêve entre le gouvernement et la rébellion séparatiste tamoule. Il est vrai que ces dernières semaines ont connu un regain de violence sans précédent, depuis que les accords ont été signés en février 2002. Les bus de l'armée sont victimes d'attaques à la mine provoquant à chaque fois de lourds bilans humains. Récemment, au large de Mannar, au nord-ouest de l'île, la marine nationale et les séparatistes se sont livrés à une véritable bataille navale. Bilan: 3 morts. A Jaffna, au nord, la tension est plus que palpable. Les accrochages sont quasi-quotidiens. « En général, une moto passe près d'une guérite de l'armée et jette une grenade avant de prendre la fuite », explique un jeune volontaire d’une organisation humanitaire, qui souhaite garder l'anonymat par mesure de sécurité. « Les Tigres savent tout ce qui se passe à Jaffna. Comme l'armée est perçue comme une armée d'occupation, ils ont beaucoup de sympathisants ici », ajoute le jeune homme.

Confusion

Avant l'élection du président Mahinda Rajapakse, les heurts avaient lieu principalement dans l'Est. V. Muralitharan, plus connu sous le nom de guerre de « colonel Karuna », y dirige une faction dissidente des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE). Considéré comme renégat par le LTTE, le groupe Karuna mène des actions violentes dans le district de Batticaloa. Les nombreux groupes paramilitaires présents également sur le terrain contribuent à créer la confusion dans la région. Difficile de savoir qui tue qui et qui manipule qui. Une des stratégies favorites de chacun des acteurs est l'attentat qui vise à faire porter la responsabilité des attaques à un groupe ennemi. L’assassinat du député tamoul Joseph Pararasingham, tué en pleine messe de Noël à Batticaloa dimanche dernier, marque encore les esprits. Le gouvernement accuse le LTTE d'avoir perpétré ce crime afin de faire diversion sur la situation au nord. A l'inverse, les Tigres condamnent ce meurtre qu'ils qualifient de « scandaleux et vicieux ».

Depuis la récente élection à la présidence de Mahinda Rajapakse, le 17 novembre, les choses semblent avoir pris un nouveau tournant. Le nouveau chef de l'Etat défend vigoureusement l'unité nationale du Sri Lanka et souhaite écarter les intermédiaires de paix norvégiens jugés trop partiaux. Il a dû faire marche arrière depuis. Mais ses alliances avec le parti marxiste révolutionnaire (JVP) et le parti nationaliste bouddhiste (JHU), deux ennemis jurés de la guérilla tamoule, lui confèrent une image de « va-t-en-guerre ». Le boycott massif des LTTE a contribué à sa victoire. « En portant Mahinda Rajapakse à la tête de l'Etat, le LTTE montre qu'il a envie d'en découdre. Face à lui, ils vont passer pour les "gentils" aux yeux de la communauté internationale », affirme un diplomate sous couvert d'anonymat.

Dix jours après les élections, le leader militaire des Tigres tamouls, Velupillai Prabhakaran, fixe un ultimatum au nouveau gouvernement. « Notre peuple a perdu la patience et l’espoir, et a atteint le bord de l’anéantissement total. Le nouveau gouvernement devrait venir rapidement avec un cadre politique raisonnable qui satisfera les aspirations politiques de la population de l’Eelam tamoul.C’est notre appel pressant et final. S'il rejette cet appel, nous intensifierons notre lutte », déclare le chef de la rébellion.

Négocier en Norvège ou en Asie ?

Le gouvernement réagit en proposant de renégocier les accords de paix et demande une réunion au sommet. Seulement, pour l'instant, aucun lieu ne semble faire l'unanimité. Les autorités acceptent l'offre de médiation japonaise mais les Tigres refusent. Pour eux, les négociations devraient avoir lieu à Oslo, chez l'intermédiaire de paix norvégien. Pour la rébellion, seule la Norvège peut accueillir un sommet de cet ampleur. Inclus dans l'espace géographique européen, la Norvège ne fait pas pour autant partie de l'Union européenne (UE). Or l'UE a désigné le LTTE persona non grata en octobre dernier. Les Tigres espèrent ainsi semer le doute dans l'esprit des gens en insinuant que la sanction est levée ou inappliquée. Peu de gens savent en effet que la Norvège ne fait pas partie des 25 pays de l'UE. Conscient de cet avantage « symbolique », Colombo restreint la zone de rencontre à l'Asie. Pour l'instant, le seul déplacement lié à la renégociation des accords de cessez-le-feu est la visite que le président vient d'entamer chez la superpuissance voisine, l'Inde. Et ce, bien qu'elle se soit mise à l’écart du conflit entre la minorité tamoule et la majorité cinghalaise depuis plusieurs années.

Mahinda Rajapakse avait fait du conflit inter-ethnique l'enjeu principal de sa campagne présidentielle. « Je veux proposer une nouvelle initiative. Tout reprendre à zéro », était sa réponse systématique à chaque fois que le thème était abordé mais…sans apporter plus de détails.


par Mouhssine  Ennaimi

Article publié le 28/12/2005 Dernière mise à jour le 28/12/2005 à 18:50 TU