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Birmanie

Régime aux abois, population désorientée

La capitale Rangoun a été transférée au centre du pays, près de Pyinmana.(Carte : RFI)
La capitale Rangoun a été transférée au centre du pays, près de Pyinmana.
(Carte : RFI)
En dépit des difficultés économiques, d’un contexte politique archaïque et de l’hostilité générale manifestée par la communauté internationale, le régime ne cède rien. Repliée dans sa nouvelle capitale, la junte birmane s’enfonce dans l’autisme.

De notre envoyé spécial à Rangoun

Tapi dans l’ombre, le garçon d’étage attend que l’hôte étranger sorte de l’ascenseur pour regagner sa chambre. Au moment décisif, il bondit sur le visiteur. « Sir, pouvez-vous me donner 100 dollars contre deux billets de cinquante », lance l’homme vêtu d’une livrée rouge élimée qui a connu des jours meilleurs. Puis, après avoir examiné avec soin le billet, il salue et pose un doigt sur les lèvres en murmurant : « Secret ». Pour tous les Birmans, qu’ils soient agriculteurs, garçons d’hôtels, fonctionnaires ou employés, la vie quotidienne est une lutte pour la survie. Et grappiller quelques milliers de kyats (la monnaie locale), grâce aux différents cours des billets verts au marché noir, signifie améliorer l’ordinaire d’une famille au sein de laquelle chaque adulte cumulera souvent deux, voire trois, emplois différents.

Le gouvernement birman affiche un taux de croissance économique de 13 %. « Ridicule ! », lance un ambassadeur européen, « L’activité économique ne fait que ralentir. Le pays ne progresse pas ». La suppression des subventions pour l’essence a multiplié par neuf le prix du carburant sur le marché officiel. L’inflation a retrouvé son rythme de croisière de 40 %. Les coupures d’électricité occupent la plus grande partie de la journée. « Avant on se levait la nuit pour remplir les jerrycans d’eau avec la pompe, mais maintenant on ne peut plus prévoir. En général, il y a du courant le matin », confie un résident européen de longue date à Rangoun.

« Même l’Irak nous dépasse ! »

Les généraux, au pouvoir depuis 44 ans, sont très attentifs à ce que la production de riz ne s’effondre pas et que les prix restent abordables : en 1988, ce sont les difficultés économiques qui avait provoqué les grandes manifestations pro-démocratiques qui avaient failli renverser le régime. Mais le tableau d’ensemble reste très sombre, tant sur le plan économique que politique. « Même l’Irak nous dépasse : ils sont en train de voter. Même le Laos fait mieux que nous. Nous faisons marche arrière, nous régressons à l’époque du royaume de Pagan (ndlr : XIème siècle). Si notre pays n’était pas si favorisé par la nature, il y aurait une famine », dit un journaliste birman.

La situation politique est bloquée et la junte s’enfonce de plus en plus dans l’isolement. Début janvier, Razali Ismaïl, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Birmanie a jeté l’éponge : « c’est clair que le gouvernement birman ne veut pas que je revienne », a lancé le diplomate malaisien pour expliquer son refus de poursuivre son mandat. Cela fait deux ans que la junte ne lui a pas accordé de visa. Les autorités birmanes qui devaient accueillir ce mois-ci une mission d’enquête de haut niveau de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a reporté sine die la visite. « Nous sommes trop occupés à déménager la capitale », a été la seule explication.

Etre capable d’intervenir partout

Ce transfert de capitale, révélé soudainement début novembre, est peut être le signe le plus parlant de l’autisme croissant de ce régime qui, à chaque remontrance de la communauté internationale, rentre encore un peu plus dans sa coquille. Rangoun, capitale administrative du pays depuis la fin du XIXème siècle, doit être remplacée par un nouveau site encore en construction à 400 kilomètres plus au nord, dans une zone aride et montagneuse, près de la petite ville de Pyinmana. Des milliers de fonctionnaires ont été contraints d’embarquer dans des camions militaires pour rejoindre leur nouveau lieu de travail. « C’est une surprise très déplaisante pour eux. Ils ne peuvent pas vivre de leur salaire. A Rangoun, ils travaillaient au noir comme chauffeur de taxi ou comme comptable. Cela ne va pas être facile pour eux, à Pyinmana », dit le journaliste birman.

Beaucoup analysent ce transfert comme un nouveau pas du repli sur soi du régime militaire. « La crise économique et politique est si grave que la junte craint qu’il ne se produise un nouveau soulèvement comme en 1988 », dit Zin Linn, porte-parole du gouvernement birman en exil. Pendant l’été 1988, les manifestations à Rangoun avaient paralysé les mécanismes du gouvernement, laissant prévaloir une situation de chaos. Arc-bouté sur leur nouvelle base stratégique de Pyinmana, dotée d’un réseau de salles souterraines et d’un système sophistiqué de télécommunications, la junte espère être capable d’intervenir partout. Une situation qui, rappelle un analyste birman, n’est pas sans évoquer celle des derniers rois de Birmanie au XIXème siècle « enfermés derrière les murs du palais de Mandalay, entouré de leurs courtisans et de leurs soldats ».


par Arnaud  Dubus

Article publié le 13/01/2006 Dernière mise à jour le 13/01/2006 à 15:51 TU