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Birmanie

La junte congédie son Premier ministre

Le général Khin Nyunt, 65 ans, était aussi chef des puissants renseignements militaires birmans. 

		(Photo: AFP)
Le général Khin Nyunt, 65 ans, était aussi chef des puissants renseignements militaires birmans.
(Photo: AFP)
Le chef du gouvernement birman, également numéro trois de la junte, le général Khin Nyunt, a été démis de ses fonctions lundi soir et assigné à résidence pour corruption. Personnage incontournable du régime de Rangoon, il passait malgré sa longue carrière au sein du renseignement militaire -il avait violemment aidé à réprimer les manifestations en faveur de la démocratie de 1988- pour le dirigeant le plus favorable au dialogue avec l’opposition. Il a notamment rencontré à plusieurs reprises ces derniers mois sa chef de file, la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. Son éviction signe incontestablement une main mise sur le pouvoir de l’aile radicale de la junte même si son départ forcé ne semble apparemment pas obéir à des contingences politiques.

Les premières rumeurs sur l’arrestation du général Khin Nyunt ont commencé à circuler dès lundi soir. Son absence remarquée à une visite d’inspection à Mandalay, dans le nord du pays, que la télévision birmane a diffusée sur son antenne a en effet largement été commentée et depuis les allégations les plus folles sur sa fuite, voire son incarcération se sont propagées comme une traînée de poudre. Signe qu’un événement inhabituel était survenu, la Birmanie –aujourd’hui l’un des pays les isolés au monde– a immédiatement fermé ses frontières et les lignes téléphoniques ont rapidement été perturbées. Mais l’annonce du limogeage du général Khin Nyunt a été faite depuis Bangkok par les autorités thaïlandaises qui continuent à entretenir, comme d’ailleurs plusieurs pays de la région, des relations politiques et surtout économiques avec le régime de Rangoon. «Le gouvernement thaïlandais a obtenu par des canaux diplomatiques des informations selon lesquelles le général Khin Nyunt a été relevé de ses fonctions de Premier ministre et assigné à résidence», a ainsi déclaré à la presse le porte-parole du gouvernement. Selon Jakrapob Penkair, «la personne ayant signé cet ordre a également affirmé que Khin Nyunt est impliqué dans une affaire de corruption et ne convient plus pour ce poste».

Après être restée plusieurs heures muette sur le sort du Premier ministre, la junte au pouvoir a finalement rompu le silence en fin de journée pour annoncer le départ de ce dernier et rectifier l’annonce faite par les autorités de Bangkok. La télévision et la radio nationales ont en effet révélé que le général avait été autorisé à quitter son poste uniquement pour des raisons de santé et qu’il était désormais remplacé par le général Soe Win, actuel secrétaire du Conseil d'Etat pour la paix et le développement. Le nouveau chef du gouvernement passe pour être un proche du numéro un de la junte, le très conservateur généralissime Than Shwe qui a lui-même signé le décret de sa nomination. La précédente révolution de palais au sein de la junte remonte à 1992, lorsque Than Shwe avait réussi à obtenir le départ du général Saw Maung avec justement l'appui de Khin Nyunt, le Premier ministre déchu. L’éviction de ce dernier ne devrait toutefois pas entraîner de tensions au sein de l’armée. Selon plusieurs analystes l’ancien chef du gouvernement n’a pas beaucoup de pouvoir dans la mesure où il n’appartient pas à l’infanterie puisqu’il a fait la majeure partie de sa carrière dans les services de renseignement.

Sanction politique ?

Le limogeage du général Khyn Nyunt signe sans ambiguïté une reprise en main du pouvoir par la faction la plus conservatrice et la plus isolationniste de la junte. Cette purge au sein du régime avait déjà commencé il y a un mois exactement avec l’éviction du ministre des Affaires étrangères et de son numéro deux mis d’office à la retraite. Les deux hommes, eux aussi favorables à un dialogue politique en Birmanie, avaient en effet été abruptement remplacés sans explication par deux militaires inexpérimentés proches du généralissime et cela à quelques jours du sommet de Hanoï qui devait consacrer l’entrée du pays dans l’ASEM, le sommet Europe-Asie. Ce remaniement qui avait également concerné les ministères de l’Agriculture et du Transport avait été considéré à l’époque comme un nouvel effort de militarisation du gouvernement en Birmanie et surtout de consolidation du pouvoir de Than Shwe, résolument hostile à tout dialogue avec l’opposition.

Un bras de fer opposait d’ailleurs depuis plus d’un an le numéro un de la junte au Premier ministre déchu. Dès son accession à la tête du gouvernement en 2003, le général Khyn Nyunt avait en effet rendu publique une «feuille de route» en sept points en vue d’une démocratisation du régime à un moment où le pouvoir de Rangoon subissait les foudres de la communauté internationale pour avoir une nouvelle fois incarcéré la chef de file de l’opposition, Aung San Suu Kyi. Cette feuille de route prévoyait notamment la rédaction d’une Constitution –idée remise récemment à l’ordre du jour par Khyn Nyunt– et l’organisation d’élections «justes et libres» sans qu’aucun calendrier ne soit toutefois fixé et sans que le nom de la prix Nobel de la paix ne soit à aucun moment évoqué. Mais cette volonté d’ouverture, certes toute relative, affichée par le Premier ministre limogé ne s’est cependant jamais concrétisé dans les faits, le généralissime Than Shwe par qui passent toutes les décisions importantes n’étant décidément pas prêt à céder la moindre parcelle de son pouvoir.

Considéré à tort ou à raison comme le plus modéré des militaires –il était en tous cas le moins réticent à l’idée d’une évolution du pays– le général Khyn Nyunt n’en a pas moins un passé très sombre. Il avait notamment participé à la féroce répression qui avait frappé l’opposition birmane en 1988. Quelque 3 000 personnes avaient été tuées lors de manifestations en faveur de la démocratie.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 19/10/2004 Dernière mise à jour le 19/10/2004 à 16:09 TU