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Birmanie

Les enfants au service de la junte

« ils constituent 40% des nouvelles recrues ! » 

		(Photo : Pauline Garaude)
« ils constituent 40% des nouvelles recrues ! »
(Photo : Pauline Garaude)
Sur 300 000 enfants soldats estimés dans le monde, 70 000 sont en Birmanie, enrôles de force par la junte militaire. Malgré les affirmations contraires de Rangoon son armée est le premier recruteur mondial d’enfants. Reportage.

 « J’ai été recruté de force à 11 ans, sur le quai d’une gare. Les soldats de l’armée birmane m’ont menacé de me frapper et de s’en prendre à ma famille si je ne les suivais pas. J’ai été embarqué dans un camion jusqu’à la base militaire. Le début de six années d’horreurs...», raconte Ming. Aujourd’hui, il a 17 ans. Il vient par miracle de s’enfuir de l’armée. Et vit caché dans une famille, quelque part au nord de la Thaïlande, en attente d’un pays d’accueil.

« Les enfants représentent 20% de l’effectif de l’armée » ont rapporté indignés, des enquêteurs de Human Rights Watch en 2003. Plus inquiétant encore, « ils constituent 40% des nouvelles recrues ! ». Des estimations qu’a bien sûr réfutées le représentant permanent de la Birmanie auprès des Nations unies à Genève, M. U Mya Than, les qualifiant de « tout à fait fantaisistes ». « Notre loi nous défend de recruter en dessous de l’âge de 18 ans. S’ils s’engagent avant, c’est qu’ils sont volontaires », déclarait-il en mai dernier. Hélas : enquêtes, organisations de protection des droits de l’homme, l’ONU... et les enfants soldats eux mêmes qui ont pu s’échapper témoignent du contraire.

Depuis 1988, la junte mène une lutte acharnée contre les minorités (surtout karen) suspectées de vouloir déstabiliser l’unité du pays. Résultat : son idéologie martèle qu’il ne peut exister une nation forte sans une armée forte, elle a quasiment doublé ses effectifs et « recrute toujours plus d’enfants afin de former sur le terrain les futurs cadres de son armée » déplore Nant Shah Paung, une jeune journaliste d’Irrawaddy - magazine créé en Thaïlande par des birmans en exil. Sur les quais de gare, à la sortie des écoles ou des cinémas, les enfants risquent leur vie : c’est ici que les soldats de la junte les recrute. En échange d’une récompense. « Quand le soldat m’a présenté à l’officier, il a empoché 150 kg de riz et 15 000 kyiats (18 dollars). De quoi nourrir sa famille pendant six mois. », se rappelle Ming lors de son arrivée à la base. « Sur les 400 soldats du 44e bataillon d’Infanterie où j’ai été enrôlé, nous étions 60 enfants !».

La démobilisation étant impossible en raison de la dictature, ces enfants, enrôlés ou déserteurs, sont pris au piège. 

		(Photo : Pauline Garaude)
La démobilisation étant impossible en raison de la dictature, ces enfants, enrôlés ou déserteurs, sont pris au piège.
(Photo : Pauline Garaude)
Battus à mort

Celui que l’on surnomme « Maung Myo », 16 ans, a également déserté l’armée birmane en janvier dernier. Pour la première fois, il accepte de se livrer à un « étranger ». « Après un an de travaux à la base, je suis parti six mois en camps d’entraînement à Mingaladon, près de Rangoon. J’avais 12 ans. On nous a appris à poser et à désamorcer des mines terrestres, à démonter et réparer des mortiers de 60 mm, à tirer avec précision jusqu’à 90 mètres... Nous étions brimés par les sous-officiers. Ils mettaient du sable dans notre riz alors que nous n’avions que çà à manger ! Le week-end, on s’échinait à couper du bois et à fendre des bambous pour leur domicile personnel. S’ils n’étaient pas satisfaits, ils nous frappaient à coups de bambous et de fer. Et nous attachaient en plein soleil. Beaucoup d’enfants ont eu les mains ou les jambes brisées. Mon ami Shan en est mort. Il avait 13 ans. Il n‘est pas le seul... ». Maung a les yeux humides. Son débardeur noir laisse découvrir ses épaules encore rondelettes. Sur son bras droit est tatoué un scorpion. « Dans mon bataillon, nous étions 47 enfants à avoir ce tatouage : le signe qu’on pouvait faire n‘importe quoi à n’importe qui, n’importe quand. » explique-t-il.

En effet, durant cinq années de combat, il a été contraint aux pires exactions. Et envers les siens, les Karen. « La junte voue une haine féroce aux Karen qu’ils surnomment les Teignes. Ils m’ont forcé à tuer et à violer des femmes de mon sang ! J’ai refusé. Les officiers ont alors placé tous mes amis près d’une mine. Ils ont exigé que je déclenche l’explosion. En une seconde, leur cervelle et leurs membres étaient éparpillés... On m’a obligé à nettoyer… ».

Maintenant, Maung est libre. Mais il a déserté et craint que la junte ne s’en prenne à sa famille. «Je ne peux pas revenir en Birmanie tant que la junte est au pouvoir. Je ne reverrai sans doute plus jamais mes parents et mes soeurs. Si je n’avais pas fui, peut- être qu’un jour j’aurais pu retourner dans ma famille… Finalement, je me demande si j’ai fait le bon choix...», arrive-t-il à regretter. La démobilisation étant impossible en raison de la dictature, ces enfants, enrôlés ou déserteurs, sont pris au piège.


par Pauline  Garaude

Article publié le 20/10/2004 Dernière mise à jour le 20/10/2004 à 08:54 TU

Pour en savoir plus http://www.irrawaddy.com http://www.hrw.org