Irak
Procès de Saddam Hussein : le juge démissionne
(Photo : AFP)
Moins de trois mois après l’ouverture du procès de l’ancien président irakien Saddam Hussein, le président du Haut tribunal pénal qui le juge, le kurde Rizkar Amine, a démissionné pour dénoncer les nombreuses pressions et critiques formulées contre lui par le gouvernement et des responsables chiites. Ces derniers lui reprochent d’être trop avenant à l’égard de Saddam Hussein qui comparaît depuis le 19 octobre officiellement pour le massacre de près de 150 villageois chiites après une attaque contre son convoi en 1982 à Doujaïl un petit bourg situé au nord de Bagdad.
Le magistrat Amine a certes quitté ses fonctions de président du tribunal, mais pas celles de juge. Il ne pourra siéger désormais qu’en qualité de membre du jury : « il aurait démissionné autant que je sache des ses fonctions de président du tribunal, mais pas en tant que juge au sein de ce tribunal ni en tant que juge dans cette affaire », a soutenu Feisal al-Istrabadi l’adjoint du représentant de l’Irak à l’ONU.
« La pression politique a eu un effet sur le tribunal »
Sans doute pour désamorcer l’effet d’une telle situation, le Haut tribunal pénal irakien s’est empressé de confirmer la démission du haut magistrat tout en dédouanant le gouvernement du Premier ministre le chiite Ibrahim Jaafari qui ne « s’ingère jamais dans les affaires judiciaires ».
Les motivations du juge Amine de rendre son tablier sont bien ailleurs, selon le Haut tribunal pénal. Dans un communiqué officiel rendu public, le Haut tribunal pénal explore une autre piste: « contrairement à ce que la presse a annoncé », M. Amine aurait démissionné pour « des raisons personnelles et non sous la pression du gouvernement » et d’hommes politiques irakiens, indique le texte.
Pourtant « le gouvernement lui a reproché d’être trop tendre avec Saddam Hussein. Ils veulent que les choses aillent vite », a assuré un des proches du juge démissionnaire.
Pris sur le coup par cette démission inattendue et craignant « les dégâts (qu’elle) infligerait à la crédibilité » du procès, le gouvernement « a envoyé une délégation pour le rencontrer » afin qu’il renonce à sa décision, a révélé le procureur Moumkidh Taklif al Fatlaoui.
Outre les critiques contre la cour et lui, le juge a précipité sa décision à cause également d’un courrier, dont la teneur n’a pas été révélée, de l’imam radical chiite Moqtada Sadr. Pour les observateurs ce courrier adressé aux officiels irakiens et très critique envers le juge, s’offusquerait du temps de parole dont avaient bénéficié Saddam Hussein et ses coaccusés lors de la dernière audience de décembre au cours de laquelle « ils s’étaient mis dans la peau de victimes » et avaient vivement critiqué la présence des soldats américains sur les bords du Tigre.
Affirmant s’attendre de son côté « à une accentuation des pressions politiques », le principal avocat du raïs déchu, Khalil Doulaimi a rappelé que « la défense a depuis longtemps mis en garde contre les risques de pressions politiques qui ont sapé l’indépendance et l’intégrité du tribunal ». Pour sa part, Miranda Sissons la déléguée du Centre international pour la Justice de transition basée à New York, a tranché dans le vif : « la pression politique a eu un effet sur le tribunal ».
L’ex-président cristallise haines et passions sur sa personne
Le contexte irakien marqué par les intimidations et les menaces quasi-quotidiennes contre juges et avocats participant au procès de l’ex-homme fort de Bagdad, semble avoir pesé dans la décision de M. Amine.
Saadoun Janabi et Adel Mohammad Abbas, deux avocats de la défense de Saddam Hussein ont déjà été tués et un troisième blessé, Tamer Hammoud Hadi, depuis le début en octobre des auditions des témoins, des victimes et des accusés.
En outre la défense a toujours contesté la légitimité et la compétence du Haut tribunal pénal irakien (ex-tribunal spécial irakien) mis en place avec des fonds des Etats-Unis en décembre 2003 en vue de juger les dirigeants de l'ancien régime pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre, génocide ou encore dilapidation des biens de l'Etat. Quant à Saddam Hussein, il pourrait, en plus de la charge pour laquelle il comparaît, être jugé pour d’autres chefs d’inculpation comme l’invasion du Koweït en 1990, l’assassinat de rivaux politiques, la répression meurtrière d’opposants et des populations kurde et chiite.
Mais déjà les multiples incidents au cours des différentes audiences avec notamment la défiance de l’ex-Rais et la menace de retrait de ses avocats, les mouvements de soutien et les appels à sa mise à mort, illustrent combien l’ex-président cristallise sur sa personne toutes les haines et passions. Des associations de défense de droits de l’homme ont aussi critiqué les conditions dans lesquelles se déroule le procès, appelant même à la comparution de Saddam Hussein devant une juridiction internationale : « les tribunaux d'exception sont interdits par le droit international et ce tribunal en est un », avait protesté au début du procès Najib Al Nouami, avocat de la défense car « les charges retenues contre (son) client sont passibles d'un tribunal international et non de ce tribunal ». Si le Haut tribunal pénal irakien a relevé le défi de commencer ses audiences, celui de garantir la sécurité des participants ( témoins, victimes, juges et avocats) demeure, pour l’heure, son talon d’Achille.
Al-Qaïda contre « les croisés et les apostats »
Dans ces conditions, il est difficile aux Irakiens de garder leur calme et leur sérénité. La publication des résultats des élections législatives du 15 décembre censées désigner le premier Parlement irakien ne cesse d’être reportée, repoussant ainsi la formation d’un nouveau gouvernement qui pourrait prendre plusieurs mois.
Ces atermoiements sont favorables aux groupes terroristes jihadistes dirigés par le jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, leader de la nébuleuse Al-Qaïda en Irak auteur de plusieurs attentats-suicide. Le 5 janvier, ce mouvement avait endeuillé l’Irak faisant au moins 150 morts dans la capitale Bagdad, la ville sainte chiite de Kerbala et la ville sunnite de Ramadi.
Ces mouvements radicaux viennent de créer lundi un Conseil consultatif aux fins de fédérer leur combat contre « les croisés et les apostats », plus clairement contre les Américains et le gouvernement irakien.par Muhamed Junior Ouattara
Article publié le 16/01/2006 Dernière mise à jour le 16/01/2006 à 18:55 TU