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Mondialisation

Bamako, altercapitale

Depuis jeudi, la capitale malienne est «badigeonnée» aux couleurs du Forum social mondial.(Photo : AFP)
Depuis jeudi, la capitale malienne est «badigeonnée» aux couleurs du Forum social mondial.
(Photo : AFP)
Une marche festive et militante a ouvert le Forum social mondial, dont la première étape se tient pour la première fois cette année en terre africaine, dans la capitale malienne.

De notre correspondant à Bamako

«Non au néolibéralisme», «L’Afrique n’est pas pauvre, mais on l’appauvrit», ou encore «l’Afrique n’est pas une marchandise à vendre» : depuis jeudi, la capitale malienne est « badigeonnée » aux couleurs de la grande kermesse annuelle des opposants à la mondialisation, manifestation qui se tient pour la première fois sur le contient africain. Des milliers de participants venus de quatre coins du globe ont eu du mal à se loger. Mais, à la guerre comme à la guerre, domiciles privés et autres habitations de fortune ont été sollicités.

Cette année vont donc résonner pendant cinq jours à Bamako, puis à Caracas au Venezuela, et enfin à Karachi au Pakistan, les tambours des altermondialistes d’un Forum social mondial (FSM) qui se veut cette fois-ci «polycentrique». «La rencontre de Bamako, sera un bouillonnement d’idées et d’activités», explique M. Diadié Yacouba Danioko, ancien ministre malien de la Culture et président du comité d’organisation de la manifestation.

Vêtus de cotonnade, ils scandaient : «Subventions : à bas !»

Le ton a été donné, jeudi après-midi, dès l’ouverture du sommet : une grande marche «pour un autre monde», à travers à la ville de Bamako, a réuni des milliers de personnes. Dans leurs tenues d’apparat, les membres de la confrérie des chasseurs traditionnels communément appelés les «dozos», ont pris la tête du cortège. Sur les banderoles et des calicots, la littérature altermondialiste fleurit : «Mondialisons la paix», «l’Afrique peut se nourrir», «Tuer la pauvreté, pas le coton africain», pouvait-on notamment lire. Plusieurs associations de producteurs de coton participaient justement à la marche. Vêtus de cotonnade, fruit de leur travail, ils scandaient : «Subventions : à bas ! », en référence aux subventions des pays développés à leurs cotonculteurs.

Une marche aux couleurs de revendications sociales, mais aussi politiques. Une délégation bruyante de la République arabe saharaoui démocratique, réclamant son indépendance, était visible. La marche, sans débordement, s’est achevée dans la soirée par un meeting dans un stade bamakois.

Promotion de la démocratie et fardeau de la dette

Mais très rapidement, les travaux se poursuivront en ateliers, sur une dizaine de sites aménagés dans la capitale malienne. Dans le collimateur des participants : les mécanismes ravageurs de la «mondialisation néolibérale». «Il y a plusieurs centaines de thèmes. Mais en réalité le sommet s’articulera sur deux axes majeurs : la promotion de la démocratie dans les pays du Sud et le fardeau de la dette, fruit du libéralisme sauvage institué par les pays riches», explique Nouhoun Keïta, responsable de la communication du Forum. «Nous ne voulons pas paraître uniquement comme des manifestants bouillants. C’est pourquoi, nous rendrons publiques des études publiées sur, par exemple, la dette du continent», explique de son côté Aminata Barry Touré, présidente de la Coalition des alternatives africaines, dette et développement (CAD-Mali).

L’une des études, dont RFI a pu se procurer une copie, porte sur la dette malienne. Selon ce document, de 55 milliards de francs CFA en 1968, l’encours de la dette du Mali a atteint 1 766 milliards de francs CFA en 2003. Et pour rembourser cette ardoise plutôt salée, «il faudra le sacrifice de quatre générations, soit près de 106 ans». Madame Barry estime que la problématique de la dette des pays du tiers-monde se résume à l’équation : 1 - 6 = 4. «Cela veut dire, ajoute t-elle, que pour une dette contracté dans les années 80, les pays du tiers-monde ont remboursé six fois le montant initial et se trouvent 20 plus tard, quatre fois plus endettés». Un autre expert présent à la rencontre, analyse de son côté la dette du Niger. L’encours de la dette de ce pays, l’un des plus pauvres de la planète, s’élève à 832,1 milliards de francs CFA, soit 66,3 % du PIB national. 22,4 % des recettes budgétaires du pays servent annuellement à rembourser ce fardeau, au détriment des secteurs sociaux, comme l’éducation, la santé.

«Beaucoup de bruit pour de minces résultats»

«Où sont les effets positifs de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ? », s’insurge Balla Konaré, professeur de droit à l’université de Bamako. Cependant, accusés par certaines chapelles de jeter seulement la pierre dans le jardin des pays riches, Mme Barry, réfute : «L’autre enjeu du sommet, c’est de démontrer que les dirigeants du tiers-monde ont également une part de responsabilité dans la misère dans laquelle vivent leurs populations». «Sans démocratie, sans respect des droits de l’Homme, je ne vois pas comment les pays pauvres pourront s’en sortir», analyse t-elle. Corruption, gabegie, népotisme, sont, poursuit-elle, d’autres maux qui empêchent le continent d’émerger de son labyrinthe.

Responsabilités donc partagées, mais le mouvement altermondialiste ne prêche t-il pas dans le désert ? Depuis six ans que se tient annuellement le Forum social mondial, qui se veut un événement populaire, politique, culturel et mondial, qu’est ce qui a changé dans la vie des populations au nom de qui se battent les opposants à la mondialisation ? Réponse de Sékou Diarra, un participant à la rencontre : «C’est suite aux actions du mouvement altermondialiste que les puissants de ce monde ont fléchi leurs positions sur la dette des pays pauvres, sur le commerce équitable, par exemple». Ali Diallo, un jeune étudiant malien rencontré lors de la marche, n’est pas convaincu : «les altermondialistes parlent, défendent, ça c’est sûr. Mais peut-être faut-il changer son fusil d’épaule. Parce qu’ils font beaucoup de bruit pour de minces résultats».

Loin de ce débat sur l’utilité de tels forums, d’autres associations qui profitent de l’audience considérable d’une telle manifestation font «leur commerce» : campagne de lutte contre la prolifération des armes légères, contre la pandémie du SIDA, et promotion de l’«efficacité des médicaments traditionnels africains».


par Serge  Daniel

Article publié le 19/01/2006 Dernière mise à jour le 19/01/2006 à 20:03 TU