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Liban

Querelle géopolitique entre druzes et islamistes

Walid Joumblatt (à droite) à Hassan Nasrallah : «<em>Pour le moment, mon ennemi ce n'est pas Israël, c'est la Syrie».</em>(Photo: AFP)
Walid Joumblatt (à droite) à Hassan Nasrallah : «Pour le moment, mon ennemi ce n'est pas Israël, c'est la Syrie».
(Photo: AFP)
Le divorce est consommé entre le chef druze, Walid Joumblatt, anti-syrien déclaré, et le Hezbollah, proche de la Syrie et de l’Iran. Et si les deux parties se sont rangées dans la même tranchée, aux législatives du printemps dernier, leurs positions semblent aujourd’hui inconciliables. Les divergences qui les séparent portent sur les questions de fond concernant la position du Liban dans le formidable bras de fer, à l’échelle du Moyen-Orient, qui oppose l’Iran, la Syrie et leurs alliés locaux, d’un côté, aux Etats-Unis et à leurs amis occidentaux, de l’autre.

De notre correspondant à Beyrouth

Certes, la confiance n’a jamais été totale entre Joumblatt et le Hezbollah. Ces dernières années en effet, le chef druze a critiqué à plusieurs reprises la pertinence du combat mené par le Hezbollah pour libérer de l’occupation israélienne les hameaux de Chebaa, ce territoire de 32 kilomètres carrés, situé à la frontière entre le Liban, la Syrie et Israël, revendiqué par Beyrouth alors que les Nations unies et l’Etat hébreu estiment qu’il s’agit d’une terre syrienne dont le sort doit se négocier avec Damas. Pourtant, quelques semaines après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005, Walid Joumblatt avait opéré un spectaculaire rapprochement avec le Hezbollah.

Crise gouvernementale

Le chef druze était allé prêcher la cause du parti islamiste dans les capitales européennes, refusant l’application de la clause de la résolution 1559, adoptée à l’initiative de Paris et de Washington, en septembre 2004, et qui exige le désarmement du Hezbollah. Ce repositionnement avait été couronné par une alliance électorale qui a permis à Joumblatt de se constituer un bloc de 18 députés (sur 128 au total). De son côté, le Hezbollah a pu renforcer sa présence à la Chambre et se présenter en interlocuteur incontournable de la communauté chiite, ce qui lui a permis de participer à un gouvernement de coalition, aux côtés de Joumblatt et du bloc parlementaire sunnite dirigé par Saad Hariri, le fils du Premier ministre assassiné. 

La crise entre le chef druze et le parti islamiste a éclaté avec l’assassinat du journaliste et député anti-syrien Gebran Tuéni, le 12 décembre dernier. Le jour-même, Joumblatt et ses alliés, accusant la Syrie d’être responsable du meurtre, ont exigé que le Conseil des ministres vote une décision réclamant la formation d’un tribunal international ainsi que l’extension des compétences de la commission d’enquête onusienne sur l’assassinat de Hariri à tous les autres crimes commis au Liban depuis octobre 2004. Refusant d’être «mis devant le fait accompli», les cinq ministres du tandem chiite (le mouvement Amal dirigé par le président du Parlement et le Hezbollah) ont suspendu leur participation au gouvernement afin de protester contre le recours au vote «pour une question d’importance nationale nécessitant un consensus».

Querelle en loyauté

Aujourd’hui, les ministres protestataires n’ont toujours pas réintégré le cabinet, malgré des médiations entreprises par l’Egypte et l’Arabie saoudite. Walid Joumblatt les a du reste torpillées. Et la crise gouvernementale a pris des proportions politiques bien plus graves. Walid Joumblatt et ses amis ont accusé le tandem chiite de vouloir renverser le gouvernement de Fouad Siniora «pour servir les intérêts de la Syrie». Le ton est monté. Le chef druze a sommé le Hezbollah de prouver son «allégeance au Liban» et de «condamner le régime syrien, responsable de tous les crimes» commis au pays du cèdre.

Depuis son palais de Moukhtara, dans la montagne, d’où il ne sort que très rarement de peur d’être victime d’un attentat, Joumblatt est allé encore plus loin. Il a qualifié le Hezbollah d’employer les «armes de la traîtrise», l’accusant de chercher à entraîner le Liban «dans une alliance régionale allant de la Méditerranée à la Perse» et d’en faire, en quelque sorte, un «sac de sable pour protéger le programme nucléaire iranien». C’était pour le Hezbollah la goutte qui a fait déborder le vase. Dans un communiqué virulent, le parti islamiste s’est déchaîné contre le chef druze.

«Si la traîtrise devait avoir un nom, elle s’appellerait Walid Joumblatt», affirme le communiqué du Hezbollah, en rappelant «son passé de massacres, de destructions et d’exodes», en allusion à la Guerre de la Montagne (1982-1985) qui a fait plusieurs milliers de morts parmi les civils chrétiens. Le dialogue rompu, les divergences se sont exprimées à travers le petit écran. Adoptant un ton calme, «malgré les blessures» infligées par Joumblatt, le chef du Hezbollah, cheikh Hassan Nasrallah, a tenté de faire baisser la tension. «Que le gouvernement proclame que les hameaux de Chebaa ne sont pas libanais et nous ne tirerons plus aucune cartouche dans la région. Que l’on nous apporte des preuves et nous condamnerons ceux qui sont responsables des crimes, même s’il s’agit de la Syrie», a-t-il lancé.

Le Hezbollah : «quel intérêt pour le Liban de renverser Damas»

Nasrallah s’est aussi interrogé publiquement sur «l’intérêt du Liban à se lancer dans une entreprise destinée à renverser le régime syrien comme le souhaite Joumblatt». Deux jours plus tard, c’était au tour du chef druze de répondre, également à travers la télévision. Même si dans la forme le ton était calme, dans le fond, les positions étaient très fermes. Exprimant des doutes sur la «libanité» des fermes de Chebaa, il a demandé au Hezbollah de ne plus «couvrir» les organisations palestiniennes pro-syriennes qui disposent de positions militaires à l’extérieur des camps de réfugiés. Il a aussi exigé du Hezbollah qu’il condamne le régime syrien «qui nous tue l’un après l’autre».

Refusant que le Liban fasse les frais d’un combat qui le dépasse et soit intégré dans un axe syro-iranien, Joumblatt a clairement affiché ses options. «Israël n’est pas mon ennemi pour le moment, c’est la Syrie qui l’est», a-t-il dit. Au final, les divergences entre les différentes parties libanaises ne concernant plus la commission d’enquête sur l’assassinat de Hariri. Les enjeux sont beaucoup plus importants. Ils concernent la place du Liban dans les multiples conflits qui secouent le Moyen-Orient. Et une fois de plus, les Libanais sont profondément divisés sur tous ces sujets.   


par Paul  Khalifeh

Article publié le 22/01/2006 Dernière mise à jour le 22/01/2006 à 16:41 TU