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Liban-Syrie

Affaire Hariri: le principal témoin se rétracte à Damas

Hussam Taher Hussam lors de la conférence de presse qu'il a donnée lundi 28 novembre 2005.(Photo : AFP)
Hussam Taher Hussam lors de la conférence de presse qu'il a donnée lundi 28 novembre 2005.
(Photo : AFP)
A la veille de l’interrogatoire de cinq responsables syriens à Vienne par la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, un des principaux témoins se rétracte. A Damas, Hussam Hussam a révélé que l’entourage de la famille Hariri lui a demandé de faire un faux témoignage pour impliquer la Syrie dans l’attentat du 14 février.

Le dernier feuilleton de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, est digne d’un roman d’espionnage. Un Syrien kurde, se présentant comme l’un des principaux témoins de la commission d’enquête internationale, a donné lundi à Damas une conférence de presse retransmise en directe. Hussam Taher Hussam y révèle avoir été contraint sous la menace et la promesse de sommes d’argent astronomiques de faire un faux témoignage accusant son pays d’être impliqué dans le meurtre de Hariri. Il cite les noms de ministres, de députés, d’hommes politiques et de journalistes libanais qui l’ont poussé à faire ce «faux témoignage».

Ce rebondissement spectaculaire est intervenu à la veille de l’interrogatoire, à Vienne, de cinq responsables syriens par la commission internationale dirigée par le magistrat allemand Detlev Mehlis. Dans un communiqué laconique, la commission a confirmé que Hussam Hussam a bien été entendu en sa qualité de témoin, mais qu’il n’avait reçu aucune récompense en contrepartie des informations qu’il a fournies. Le ministre libanais de l’Intérieur, cité par le témoin syrien dans sa conférence de presse, a également reconnu l’avoir rencontré. Toutefois, Hassan Sabeh a nié avoir tenté de convaincre Hussam de faire un faux témoignage. Ces deux réactions confirment cependant que le jeune homme, qui a travaillé pendant 13 ans pour les services de renseignement syriens au Liban, est bien le témoin qu’il prétend être.

Devant des dizaines de journalistes massés dans la salle de conférence de l’hôtel Oumayya à Damas, Hussam a déclaré avoir été arrêté par la police libanaise qui l’a emprisonné pendant deux semaines au cours desquelles il a été sévèrement battu. Puis un beau jour de juin, un journaliste proche de la famille Hariri est venu le voir en prison pour lui promettre la liberté s’il acceptait de témoigner devant la commission d’enquête internationale. «Des adjoints du député Saad Hariri –fils de l’ancien Premier ministre– accompagnés de deux étrangers parlant l’anglais m’ont fait retenir par cœur ce que je devais dire aux enquêteurs», a précisé le jeune homme. «On m’a fourni des noms, des faits, des histoires que je devais raconter. Lors d’une réunion au bureau du ministre de l’Intérieur, on m’a promis la somme de 1,3 million de dollars en contrepartie de mon faux témoignage dont le but était d’impliquer la Syrie dans l’assassinat de Hariri».

Un récit présent dans le rapport Mehlis

A la demande de ses nouveaux protecteurs, Hussam Hussam raconte aux enquêteurs internationaux en septembre dernier comment il avait été «témoin» un an plus tôt, à Damas, d’une rencontre destinée à préparer l’assassinat de Rafic Hariri. La réunion s’est déroulée en présence de Maher al-Assad et Assef Chaoukat, respectivement frère et beau-frère du président syrien, et du général Jamil Sayyed, ancien directeur de la Sûreté générale libanaise, en prison depuis le 30 août. Toujours à l’instigation de l’entourage de Saad Hariri, il raconte aux enquêteurs avoir aperçu la camionnette blanche de type Mitsubishi utilisée dans l’assassinat de Hariri dans un camp militaire en Syrie, puis, à la veille de l’attentat du 14 février, dans une permanence des services de renseignement syriens au Mont-Liban. «Maher al-Assad et Assef Chaoukat étaient les plus visés, a-t-il dit lors de la conférence de presse. On m’a demandé de les attaquer. J’ai dit qu’ils étaient les commanditaires de l’attentat».

Tous les faits racontés par Hussam sont cités dans le rapport de Detlev Mehlis présenté au Conseil de sécurité le 21 octobre et qui accuse la Syrie d’être impliquée dans l’assassinat de Hariri. Le rapport mentionne dans au moins sept paragraphes ce témoin non identifié qui fournit les informations les plus compromettantes pour Damas. Hussam affirme être ce «témoin masqué» qui a été confronté à Jamil Sayyed. L’avocat de ce dernier déclare l’avoir reconnu à «l’intonation de sa voix, à son accent et aux expressions qu’il a utilisées».

Un coup dur pour Mehlis

Le rapport Mehlis, qui a servi de base au Conseil de sécurité pour voter la résolution 1636 condamnant la Syrie et la sommant de coopérer avec la commission internationale, est le fruit de trois mois d’investigations se basant sur les dépositions de plus de 500 témoins. Mais ce sont surtout les témoignages de deux Syriens qui accablent le plus Damas. Celui de Hussam Hussam et de Mohammed Zouhair al-Siddiq. Le premier s’est rétracté, le second est en prison en France. Se présentant comme un colonel des services de renseignement syriens et ancien chef du cabinet du général Hassan Khalil, prédécesseur d’Assef Chaoukat à la tête des renseignements militaires, il a offert ses services à la commission d’enquête. Mais il a perdu sa crédibilité lorsqu’il est apparu qu’il s’agissait en réalité d’un déserteur de l’armée syrienne qui n’a jamais occupé le poste qu’il prétendait et qu’il avait, de surcroît, été condamné pour escroquerie et falsification de documents en Syrie. Amputé de ces deux témoignages, il ne reste plus grand chose du rapport Mehlis. Sauf si le magistrat allemand garde d’autres témoins cachés qu’il sortira au moment voulu.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 30/11/2005 Dernière mise à jour le 30/11/2005 à 08:49 TU