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Syrie-Liban

Le discours du président syrien agite le gouvernement Siniora

Le président syrien, lors de son discours du 10 novembre.Photo : AFP
Le président syrien, lors de son discours du 10 novembre.
Photo : AFP
Le président syrien, Bachar al-Assad, a prononcé un discours très applaudi dans son pays mais sévèrement critiqué dans le monde. C’est au Liban que les propos du chef de l’Etat syrien ont fait le plus de vagues et provoqué les premières dissensions au sein du gouvernement à l’initiative en particulier des ministres chiites.
De notre correspondant à Beyrouth

Discours combatif, propos agressifs, langue de bois habituelle, l’opinion publique libanaise était partagée autant que la classe politique dans son évaluation du discours «historique» prononcé jeudi par le président syrien Bachar al-Assad. Evoquant les difficultés auxquelles est confronté son pays, le président Assad a brossé un tableau sombre de l’avenir, prédisant une recrudescence des pressions internationales «quel que soit le niveau de coopération avec la commission d’enquête» sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, tué dans un attentat à l’explosif le 14 février dernier. Dénonçant la politique américaine au Proche-Orient, critiquant les autorités irakiennes, Assad a surtout lancé des attaques particulièrement virulentes contre le Premier ministre libanais Fouad Siniora et le fils de Rafic Hariri, le député Saad Hariri, qu’il n’a pas nommé. «Siniora est l’esclave de son maître [Saad Hariri], lui-même esclave de ses maîtres qui sont bien connus», a-t-il lancé dans une allusion aux pays occidentaux.

Bachar al-Assad a pris la parole à l’université de Damas devant des centaines de responsables syriens. A l’extérieur, une foule immense composée essentiellement d’étudiants, a scandé son nom, à en perdre la voix. «Le Liban est devenu le lieu où tous les complots contre la Syrie sont fomentés, financés et exécutés, a-t-il ajouté. Lorsque Fouad Siniora est venu nous voir [en juillet dernier], nous lui avons demandé d’œuvrer pour préserver les relations libano-syriennes et empêcher que le Liban ne devienne une base pour les complots contre la Syrie. Il a juré que son pays ne jouera jamais ce rôle. Mais il n’a pas tenu sa promesse. Il semble qu'il ne soit pas libre de ses décisions». «Comment peut-on établir de bonnes relations bilatérales quand une grande partie de l'Etat libanais est hostile à la Syrie», a encore dit Bachar al-Assad qui a été contraint, sous la pression internationale, de retirer ses troupes du Liban en avril dernier après 29 ans de présence au pays du cèdre.

Les ministres chiites se retirent

Le discours d’Assad a eu des répercussions presque immédiates sur la situation gouvernementale au Liban. Les cinq ministres chiites se sont retirés de la réunion du cabinet pour «protester» contre la décision de Siniora d’examiner les propos du président syrien et de répondre à ses attaques. Membres ou sympathisants du Hezbollah et du mouvement Amal dirigé par le président de la chambre, Nabih Berry, les cinq ministres ont quitté la réunion une demi-heure après le début des délibérations, prétextant que l’examen du discours d’Assad n’était pas inscrit à l’ordre du jour. L'un d'eux, le ministre du Travail, Trad Hamadé, a justifié sa position par le fait qu'il ne souhaitait pas que le «gouvernement se transforme en une tribune de réactions».

«Ce n’est pas un conflit personnel entre Assad et Siniora. Il s’agit d’une question politique très importante qui nécessite un débat en profondeur», a-t-il ajouté en précisant qu’«il ne s'agit pas d'une démission du gouvernement». Il n’en reste pas moins que cette passe d’armes est le premier incident de cette gravité depuis la formation, le 19 juillet, du gouvernement Siniora. Ce cabinet regroupe des ministres appartenant à l'ancienne opposition anti-syrienne devenue majoritaire au Parlement ainsi que et des ministres du tandem Hezbollah-Amal, proche de Damas.

La réunion s’est poursuivie malgré le départ des ministres chiites, et, à l’issue des débats, le gouvernement a exprimé son «étonnement et son refus de l'attaque» lancée par Assad contre Siniora. «L'attaque lancée contre l'Etat, le Parlement et le gouvernement libanais est inacceptable. Le cabinet a renouvelé sa confiance à M. Siniora, homme d'Etat au passé nationaliste arabe sans tache», a précisé le ministre de l'Information, Ghazi Aridi, à l'issue de la réunion. Dans un souci évident d’éviter une crise ouverte avec la coalition chiite, le ton du communiqué officiel a été atténué. Le gouvernement a même réaffirmé sa «détermination à approfondir les relations libano-syriennes de manière à garantir la sécurité et la stabilité des deux pays».

Résistance ou chaos

Dans son discours d’une heure, Bachar al-Assad a une nouvelle fois clamé l'innocence de son pays dans l'assassinat de Hariri et s'est montré très pessimiste sur l'attitude future du Conseil de sécurité de l'Onu vis-à-vis de la Syrie. «Les pressions que nous subissons ne sont pas motivées par la recherche de la vérité sur l’assassinat de Hariri, a dit le président syrien. Ils [les Américains] veulent nous faire payer notre opposition à l’occupation de l’Irak et notre appui à la cause palestinienne et à la résistance libanaise. Les grandes puissances veulent régler leur comptes avec la Syrie».

Evoquant l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, Assad a indiqué que le chef de la commission internationale, Detlev Mehlis, a refusé la proposition syrienne de se rendre à Damas pour préparer un protocole d'accord juridique entre les deux parties. Le magistrat allemand a également rejeté une demande syrienne proposant que l'interrogatoire de six responsables syriens que la commission souhaite entendre au Liban se déroule en territoire syrien mais sous la bannière de l'Onu, ou au siège de la Ligue arabe au Caire. «Quoi qu'on fasse ou dise pour coopérer, la réponse sera dans un mois que nous ne coopérons pas. Il faut être réaliste, la Syrie est visée. Nous sommes pratiquement certains que la Syrie est innocente. La question est politisée. La Syrie n'est pas impliquée dans l'assassinat de Hariri», a martelé M. Assad.

Le président syrien a laissé planer le doute sur ses réelles dispositions à coopérer pleinement avec la commission d’enquête de l’Onu. «Nous coopérerons, mais pas jusqu'au point de nous suicider. Je ne serais pas celui qui pliera ou qui demandera à son peuple de courber l’échine», a-t-il lancé sous un tonnerre d'applaudissements. Pessimiste, il a comparé les pressions internationales exercées sur son pays à une guerre. «La Syrie est en état de guerre. Désormais, nous allons compter sur nous-mêmes. Nous sommes confrontés à deux choix: la résistance ou le chaos».

Concluant sur une menace à peine voilée, Bachar al-Assad a dit: «Si la Syrie est attaquée, toute la région en subira les répercussions et en premier lieu ceux qui ont ramené les colonisateurs chez nous». Ses propos ont été accueillis d’une manière positive par l’opinion publique syrienne. Mais la communauté internationale les a vivement critiqués. Le président français Jacques Chirac a menacé la Syrie de sanctions si elle continue d'ignorer la nécessité de coopérer avec l’Onu. Un porte-parole du Département d’Etat a pour sa part qualifié le discours d’Assad de «révoltant». La pression continue, le bras de fer aussi.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 11/11/2005 Dernière mise à jour le 11/11/2005 à 11:55 TU