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Liban

Première arrestation après le rapport Mehlis

A Beyrouth, des Libanais supporters de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, scandent des slogans contre la Syrie.(Photo: AFP)
A Beyrouth, des Libanais supporters de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, scandent des slogans contre la Syrie.
(Photo: AFP)
En l’absence d’un consensus national autour du sort du président de la République Emile Lahoud, dont le nom est cité dans le rapport Mehlis, et de la formation d’un tribunal international pour juger les suspects, la classe politique libanaise a préféré reporter de quelques semaines l’examen de ces questions cruciales posées à la suite de la publication du compte-rendu de la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri. Mais un nouveau suspect, cité dans le rapport, a été arrêté dans le cadre de l’enquête sur l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre libanais.

De notre correspondant à Beyrouth

Trois jours après la publication du rapport de la Commission d’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, la police libanaise a procédé à l’arrestation d’un nouveau suspect dont le nom est cité dans le rapport de Detlev Mehlis. Mahmoud Abdel-Al, membre de l’Association islamique de bienfaisance (Ahbache), connue pour ses liens étroits avec les services de renseignements syriens, a été arrêté sur ordre du procureur général Saïd Mirza. Selon le rapport remis jeudi par le magistrat allemand à Kofi Annan, Abdel-Al aurait appelé le téléphone mobile du président de la République Emile Lahoud le 14 février à 12h47, soit une minute seulement avant l’attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri. Il aurait également eu un contact à 12h49, c’est-à-dire juste après l’explosion, avec le téléphone portable du général Raymond Azar, alors chef des renseignements militaires libanais, en prison depuis le 30 août.

Le bureau de presse du président Lahoud a démenti que celui-ci ait reçu «un appel téléphonique de la part d'un suspect» quelques minutes avant l’attentat. Mais l'attaché de presse de la présidence devait reconnaître plus tard qu'«un appel (avait bien) été enregistré sur un des portables en service à la présidence de la République mais que cet appel ne s'était pas fait avec le chef de l’Etat».

Mahmoud Abdel-Al est le frère d’un autre responsable des Ahbachs, Ahmed Abdel-Al, emprisonné dans le cadre d’une affaire portant sur la découverte d’une importante cache d’armes à Beyrouth, en mai dernier. Son troisième frère, Walid, est un officier de la Garde présidentielle dirigée par le général Moustapha Hamdane, également en prison depuis le 30 août pour son implication présumée dans l’assassinat d’Hariri. 

Une source proche de l’enquête a affirmé à RFI que d’autres arrestations pourraient avoir lieu dans les jours qui viennent, à la lumière du rapport Mehlis que les enquêteurs libanais sont en train d’étudier en détail. Plus d’une dizaine de personnalités politiques et sécuritaires ont d’ailleurs été interdites de voyage.    

La «ligne rouge» du Hezbollah

Parallèlement à ce développement, le gouvernement a décidé de reporter de plusieurs semaines l’examen d’une demande concernant la formation d’un tribunal international pour juger les suspects. Ce report est intervenu en raison de l’absence d’un consensus national autour de cette question. Le Hezbollah, qui participe au gouvernement de coalition avec deux ministres, s’y oppose vigoureusement de peur que cela ne pave la voie à une ingérence américaine directe dans les affaires libanaises. Le parti islamiste, considéré par Washington comme une «organisation terroriste», a fait savoir au Premier ministre que cette question est une «ligne rouge à ne pas franchir». Craignant de voir son gouvernement éclater, Fouad Siniora a donc préféré ajourner ce dossier. Et à l’issue d’une réunion extraordinaire samedi, le porte-parole du gouvernement, le ministre de l’Information Ghazi Aridi, a jugé qu’«il était encore trop tôt pour se prononcer (sur le tribunal international) car la commission Mehlis n'a pas terminé son enquête qui se poursuit jusqu'au 15 décembre».

Le gouvernement a, par ailleurs, estimé que le rapport de la commission d'enquête était «à la hauteur des espérances des Libanais». «Fort des vérités qu'il contient, objectif et reflétant un haut professionnalisme, il constitue la base solide pour parvenir à la vérité sur tout ce qui concerne ce crime terroriste et à châtier les coupables quels qu'ils soient et là où ils se trouvent», a précisé M. Aridi. 

La position du gouvernement sur le tribunal international n’est pas tout à fait conforme à celle de Saad Hariri. Dans une déclaration adressée aux Libanais, le fils de l’ancien Premier ministre qui préside également le plus important bloc parlementaire (40 députés sur les 128 que compte la Chambre), a déclaré : «Nous voulons que les coupables soient jugés devant un tribunal international. Le rapport est le premier pas sur le chemin de la vérité… Il s'agit d'une étape historique pour le peuple libanais, pour notre région et pour les Nations unies. C'est la première fois au Liban et dans notre région qu'une enquête débouche sur des résultats et désigne des coupables.»

Saad Hariri, qui vit depuis quatre mois entre Paris et Jeddah (Arabie saoudite) de crainte d’être la cible d’un attentat, a déclaré que quelle que soit l’issue de l’enquête, les relations resteront étroites et amicales entre les peuples libanais et syrien, en allusion au rapport Mehlis qui accuse de hauts responsables syriens d’être impliqués dans l’assassinat de son père. Dans la version initiale du rapport qui a été par la suite modifiée, les noms de Maher al-Assad et Assef Chaoukat, respectivement frère et beau-frère du président Bachar al-Assad, sont cités. Selon un témoin dont le nom n’est pas rendu public dans le rapport, ils auraient tenu plusieurs réunions à Damas en présence des anciens chefs des renseignements syriens, Hassan Khalil et Bahjat Sleimane, et du général libanais Jamil Sayyed (en prison depuis le 30 août), pour organiser l’attentat contre Hariri.     

La Syrie rejette le rapport

La Syrie a, quant à elle, accusé Saad Hariri d’être «un cheval de Troie» dont se servent les Etats-Unis pour étendre leur influence sur tous les pays de la région. «Le rapport est sous l'influence du climat politique qui prévalait au Liban après l'assassinat de Rafic Hariri, et il est basé sur des idées préconçues qui ont abouti à des conclusions qui calomnient la Syrie sans aucune preuve», a ainsi affirmé le ministre adjoint des Affaires étrangères syrien, Ahmad Arnous. «Le rapport de Mehlis n'a aucun fondement», a renchéri de son côté le conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères. Selon Riad Daoudi, le dossier avait été «politisé par des parties régionales et internationales afin de nuire à la Syrie. Le rapport ne présente aucune preuve, il est basé sur des hypothèses». Il a mis en doute la crédibilité de certains «responsables libanais» cités comme témoins dans le rapport, en disant qu'ils étaient connus pour leur position hostile à la Syrie.

M. Daoudi a ajouté que la Syrie est «disposée à déployer tous les efforts pour clarifier le contenu de ce rapport» et souhaite que «M. Mehlis poursuive son enquête de façon sérieuse et objective», soulignant que ce rapport n'était «pas définitif». Il a notamment mis en doute la valeur juridique d'enregistrements de responsables syriens «faits à leur insu». «Le rapport contient onze conclusions qui nécessitent un suivi. Il aurait mieux valu que M. Mehlis ne publie pas son rapport avant la fin de l'enquête». Interrogé sur la possibilité pour la commission d'auditionner à nouveau des témoins syriens, hors du territoire syrien, M. Daoudi s'est montré prudent : «Si cela est nécessaire, nous l'examinerons».

Le sort de Lahoud incertain

Quoi qu’il en soit, le rapport Mehlis affaiblit et isole encore plus le président Emile Lahoud. Mais là aussi, il n’existe pas de consensus national au Liban sur l’attitude à adopter. Alors que plusieurs personnalités chrétiennes ont appelé le chef de l’Etat à démissionner, le leader chrétien le plus populaire, le général Michel Aoun, a catégoriquement refusé que le sort du président de la République «se décide dans la rue», en allusion aux appels à manifester lancés par certaines forces politiques. Le Hezbollah non plus n’est pas pressé de voir s’en aller Lahoud, qui refuse le désarmement du parti comme l’exige la communauté internationale. L’absence de consensus à ce sujet s’est illustrée par l’attitude du chef druze Walid Joumblatt. Contre toute attente, l’ennemi juré de Lahoud n’a pas réclamé son départ lors d’une conférence de presse tenue ce dimanche.

Tous les dossiers épineux ont donc été reportés, ce qui signifie que la crise politique et la tension qui l’accompagne sont appelées à se poursuivre jusqu’au 15 décembre... au moins.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 23/10/2005 Dernière mise à jour le 23/10/2005 à 17:06 TU