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Guyane

Les masques de l’or guyanais

Pour le colonel Bergot (au premier plan): «<i>des opérateurs professionnels jouent un double jeu : c’est la face cachée de la Guyane</i>».
(Photo: Frédéric Farine/RFI)
Pour le colonel Bergot (au premier plan): «des opérateurs professionnels jouent un double jeu : c’est la face cachée de la Guyane».
(Photo: Frédéric Farine/RFI)
La Guyane est devenue le département français le plus touché par la criminalité selon le Parquet de Cayenne. Sur les 2 dernières années, pour une population estimée à 191 000 personnes, 152 homicides ou tentatives ont été recensés : un chiffre supérieur à ceux de Martinique et Guadeloupe réunis. Parmi les crimes commis en Guyane, plus d’un tiers sont liés à l’orpaillage. Face à la ruée illégale vers l’or, l’Etat centre ses actions sur les chantiers en forêt. Les autorités y freinent même l’accès aux soins. Parallèlement, le maire amérindien de Camopi, village devant être intégré au futur Parc national, s’est lancé dans l’orpaillage illégal.

De notre correspondant à Cayenne

«Dans les villages clandestins, ils érigent même des églises !», raconte Laurent Yawalou, conseiller municipal de Camopi-Trois Sauts. Village amérindien de 1200 âmes, à la frontière du Brésil, distant de 4 heures de pirogue du premier axe routier vers Cayenne, Camopi subit depuis 10 ans une ruée vers l’or clandestin. Entre 1996 et début 2003, les autorités n’y sont jamais intervenues. Joseph Chanel, le maire amérindien de Camopi, vient, à son tour, de succomber aux sirènes de l’or. Il y a quelques mois, il s’est lancé dans l’orpaillage illégal à 2 heures de pirogue du bourg. «Il a même demandé par courrier aux autorités de laisser ses 3 ouvriers brésiliens clandestins tranquilles», précise M. Yawalou.

La gendarmerie de Guyane confirme et taxe cette missive de «confusion des genres voire de provocation». Pourtant le 9 janvier, la municipalité de Camopi, maire en tête, a rappelé son opposition à toute forme d’orpaillage, y compris légal, sur son territoire et a réitéré son souhait d’intégrer le Parc National en gestation depuis bientôt 14 ans. De son côté, Claire Lanet, le procureur de Cayenne souligne qu’«en 2005, sur 1252 interpellations d’étrangers sur les sites aurifères illégaux (parfois les mêmes personnes à diverses reprises), 1220 étaient brésiliens».

Les opérations Anaconda

Mais «l’immigration clandestine» a parfois bon dos. La gendarmerie reconnaît ainsi saisir sur les sites illégaux des fûts de carburant détaxé, de couleur bleue, réservé aux pêcheurs, agriculteurs, artisans taxis et forestiers de Guyane. «En saison sèche, des hélicoptères de Cayenne se posent à 20 minutes de Camopi, sur les îlets brésiliens bases arrières des chantiers illégaux», confie M. Yawalou.  «Officiellement» pour ravitailler le seul patron légal à proximité, sur la crique Sapokaye. «Certains orpailleurs légaux ravitaillent en carburant, voire en poulets congelés, des sites clandestins et se font payer en or. Je connais, dans l’ouest, un exploitant légal, dont les pelles mécaniques consomment plus de carburant qu’elles ne peuvent en débiter et dont la production est passée au bout d’un an de 7 kilos d’or par mois à 14 kilos sur un même site. Donc les clandestins autour de son chantier travaillent pour lui», estime un fin connaisseur du milieu.

Ange Mancini, le préfet, annonce «une réunion à Paris le 10 février» pour installer en Guyane un Gir (Groupe d’intervention régional), chargé de lutter contre cette économie souterraine. Pour l’heure, les autorités se sont surtout focalisées, via les opérations Anaconda sur les chantiers illégaux en forêt : « Depuis 3 ans, les gros villages clandestins avec 300 carbets, 1500 personnes, épiceries, discothèque, prostituées, médicaments, mulets, ont été frappés plusieurs fois. Désormais, les sites sont éclatés, invisibles d’un hélicoptère, car les chercheurs d’or ne coupent plus les grands arbres», explique Patrice Bergot, commandant de la gendarmerie. Pour les autorités «20 millions d’euros» de matériel des sites aurifères illégaux ont été détruits en 2005. «Un chiffre gonflé» estime un pilote qui ravitaille les sites légaux « les gendarmes évaluent à 150 grammes d’or (1 gramme se vend 13 euros en Guyane), un carbet détruit en forêt, soit quelques morceaux de bois !».

Les opérations Anaconda ont néanmoins «fait mal dans le centre de la Guyane, à Saint-Elie : des ouvriers sont repartis au Brésil, les poches vides, or saisi», confie Edmundo, garimpeiro (chercheur d’or), «jusque début 2005, les patrons d’Oiapoqué (ville brésilienne frontalière où était traité 300 kilos d’or guyanais par mois en 2003) qui financent des sites illégaux en Guyane, faisaient toujours crédit sur le matériel.  Aujourd’hui, c’est fini».

Mercredi 11 janvier 2006, à 6 km de Kourou, un village aux maisons de bois et aux paraboles pour capter les chaînes du Brésil. Carlos surgit après 260 km à VTT en tongs, par la route nationale, depuis la frontière de son pays. «Huit d’entre nous ont été expulsés fin décembre par avion à Belém au-delà de l’Amazone, Carlos est le dernier à rentrer, sourit l’un des 30 habitants, tous Brésiliens. Parmi eux, Claudivan Araujo ronge son frein. Arrivé en Guyane en 1994, il a travaillé pour des exploitants guyanais de sites illégaux de Maripasoula (frontière du Surinam) dont une milice a fini par le séquestrer et le torturer fin 2000 : on le soupçonnait de complicité de braquage mais il a été blanchi. Deux de ses 4 tortionnaires ont été arrêtés puis condamnés à 5 ans fermes en 2002 puis 2003, en appel. Ils sont aujourd’hui libres alors que Claudivan attend toujours le règlement de 41 000 euros de dommages et intérêts accordés par la justice. Entre-temps, il a écopé de 8 mois avec sursis pour avoir ravitaillé des sites illégaux en nourriture : la loi l’autorisait à se maintenir en Guyane jusqu’au procès, tout en lui interdisant, vu sa situation irrégulière, d’y travailler.

«Je pensais que je ne sortirais plus de là»

Enfin, il n’est plus conseillé de tomber malade sur un site aurifère illégal. Depuis plus d’un an, «pour des raisons de sécurité» une note de la Direction de la santé, impulsée par le préfet, interdit aux hélicoptères du Samu de s’y poser. Depuis, lors d’un appel radio émanant d’un site clandestin, le Samu demande aux «garimpeiros» d’amener le blessé ou le malade jusqu’à un site légal pour pouvoir être évacué par hélicoptère. «Il y est alors transporté en pirogue ou par la forêt, allongé dans un hamac accroché à un madrier et porté à dos d’homme», explique un médecin de l’Hôpital de Cayenne. Les évacuations sanitaires ont aussi longtemps servi à transporter l’or d’un site illégal voire légal vers Cayenne : «On embarquait une nana, se disant malade, avec un bagage. A peine arrivée à l’Hôpital, des «parents» récupéraient un paquet : la production du site. Aujourd’hui on les embarque sans valise», poursuit le praticien.

A Noël 2005, un Brésilien est tombé malade sur un site illégal de l’ouest guyanais. Faute de soins, il est décédé d’une septicémie. En janvier 2006, le Samu a reçu, pour ce décès, un appel d’un site légal de la haute Mana. Une femme médecin y a été dépêchée en hélicoptère avant de rejoindre en pirogue le chantier illégal. Le corps avait été laissé dans un congélateur. Le défunt, réclamé par sa famille, devant être ramené à la frontière brésilienne, une femme, prostituée sur le site clandestin depuis 2 ans, a supplié le médecin du Samu de l’emmener. Elle confie : «Je pensais que je ne sortirais plus de là».


par Frédéric  Farine

Article publié le 29/01/2006 Dernière mise à jour le 29/01/2006 à 12:22 TU