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Immigration

Le dossier explosif des clandestins de Guyane

Cet îlet, entre Guyane et Brésil, sur le fleuve frontière Oyapock, sert de base de ravitaillement pour les sites aurifères clandestins de Guyane.(Photo: Frédéric Farine/RFI)
Cet îlet, entre Guyane et Brésil, sur le fleuve frontière Oyapock, sert de base de ravitaillement pour les sites aurifères clandestins de Guyane.
(Photo: Frédéric Farine/RFI)
L’an dernier en Guyane, environ 8 000 personnes en situation irrégulière, originaires en majorité du Brésil et du Surinam ont été, soit reconduites à la frontière, soit invitées à quitter le territoire. Cela représente près de 5% des 180 000 habitants de ce département où le dossier de l’immigration clandestine est classé «poudrière». Dès lors, les déclarations du ministre de l’Outre-mer François Baroin sur une éventuelle remise en cause du droit du sol y suscitent de vives réactions.

De notre correspondant en Guyane

«Si les propos de M. Baroin contribuent à soulever le dossier de l’immigration en Guyane, je dis tant-mieux. Quant au tollé suscité par ses déclarations dans l’Hexagone, nous allons inviter nos amis du Parti socialiste français et de SOS-Racisme à venir vivre deux mois en Guyane au lieu d’y passer 48 heures». Ces propos surprendront sans doute à Paris puisqu’ils émanent du secrétaire général du Parti socialiste guyanais (PSG) Antoine Karam, président de la région Guyane depuis 1992. «Cette solidarité est normale car les propos de M. Baroin offrent l’absolution aux errements des politiques publiques en Guyane depuis 20 ans en matière de construction de logements et d’aménagement. Tout ce pataquès pour quelques milliers de personnes, quand les gens vivent sur 5% du territoire…», réplique Christiane Taubira, députée guyanaise. «Le gouvernement est en panne d’idées. L’immigration est la cible qui rassure. Si on joue à stigmatiser l’apparence, en Guyane, regardez mes origines… je vais me faire arrêter moi aussi ?», ironise-t-elle.

Sociologiquement, la Guyane, seul bout de France au cœur d’un continent en voie de développement, est en fait «étrangère» à son propre environnement. «La Guyane n’est pas un îlot français protégé, elle se développe en pays d’Amérique du Sud. Il fallait s’inspirer du vécu des pays voisins pour prévoir le narcotrafic, la délinquance violente, et concrétiser une coopération régionale restée au stade des réunions», poursuit Mme Taubira. En 2004, on a dénombré 84 homicides en Guyane, 40 liés à l’orpaillage clandestin. Et pourtant, jusqu’à la fin des années 80, la Guyane passait pour «un havre de paix où l’on laissait les clefs de contacts dans la voiture», explique Henri, fonctionnaire à Cayenne. «La réussite du spatial a braqué les projecteurs sur le pays. Le téléphone arabe a fonctionné. On y a trouvé emplois, allocations familiales, RMI», estime Antoine Karam. Et, alors que 3 000 enfants ne seraient pas scolarisés, «on construit à présent deux collèges par an, un lycée tous les deux ans», s’alarme le président de région.

La dernière ruée vers l’or du début des années 90 a, elle aussi, provoqué l’afflux d’ouvriers clandestins, recrutés à l’occasion par des patrons brésiliens et français au Brésil et au Surinam. «Il faut s’attaquer aux secteurs économiques qui aspirent cette main d’œuvre», estime la députée guyanaise. La clandestinité profite à beaucoup. En 2004, des fonctionnaires de la préfecture ont été mis en examen, suspectés d’avoir facilité, moyennant finance, l’octroi de titres de séjour. Commandant de gendarmerie en Guyane jusqu’à l’été dernier, Jean-Phillippe Danède confie son expérience: «Des gens louent et vendent des terrains qui ne leur appartiennent pas. Des commerçants qui se plaignent de la concurrence déloyale du Brésil, vont y acheter le poisson pour le revendre sur le marché de Cayenne. À Régina, dans l’est guyanais, des gens voient passer des barges d’orpailleurs depuis dix ans, sans nous alerter. En revanche, les mêmes écrivent au président de la République».

Des squatters sans papiers délogés par un «collectif»

Selon l’Insee, 30% de la population serait de nationalité étrangère (réguliers ou non). «Nous avons beaucoup d’amis clandestins, confie Alex Leblanc, avocat à Cayenne, mais nous exigeons que la délinquance venue du Guyana et du Brésil soit stoppée. Il n’y aura pas de cohésion sociale si les gens assimilent les ressortissants de ces pays à des braqueurs». Cette année, cet avocat guyanais a pris la tête d’un «collectif contre l’insécurité» qui est intervenu pour déloger des squatters sans papiers. «L’histoire du droit du sol de M. Baroin est une mauvaise réponse à une vraie question parce que pour nous Guyanais, les enfants c’est sacré. En revanche, il pose avec justesse le problème de la souveraineté», estime-t-il. En juin, à Cayenne, des habitants ont carrément mis le feu à un squat de ressortissants du Guyana suspectés de vol avant de s’en vanter sur RFO radio. «Une enquête de police est en cours», assure le procureur de Cayenne. Mais la France se donne-t-elle les moyens de ses déclarations ?

Depuis avril 2004, un escadron et demi de gendarmes est mobilisé pour démanteler dans la forêt les sites aurifères clandestins où travailleraient 10 000 illégaux. Mais la gendarmerie «manque de moyens de projection», estimait peu avant son départ le colonel Danède. L’hélicoptère EC145 bi-turbine promis par M. Sarkozy pour fin 2003 n’est pas arrivé. La gendarmerie se contente d’un Écureuil à 3 places et fonctionne avec des radio BLU utilisées en France il y a 30 ans. Autre curiosité, les 12 premiers policiers aux frontières (Paf) nommés en mai 2004 à Saint-Georges, face au Brésil, ont été logés durant plus d’un an à 80 km de la frontière. Le chef d’entreprise chargé de construire leurs 12 logements à Saint-Georges, vient d’être condamné pour emploi… d’étrangers en situation irrégulière sur ce chantier.

En Guyane, la «rigueur» européenne est confrontée à un autre monde. «Je suis née à Saint-Domingue, explique Widline, 17 ans, d’où mon père était originaire. Ma mère est haïtienne et cela ne lui plaisait pas que je ne sois pas déclarée à Haïti. Elle a racheté des papiers à Port-au-Prince attestant que j’y étais née». Son oncle «fait des faux passeports au Surinam pour des Haïtiens voulant entrer en Guyane», ajoute-t-elle. Dans cet environnement complexe, les lois propres à la Guyane en matière de droit des étrangers (que M. Baroin souhaite étendre aux autres DOM) ne sont pas une solution pour Christiane Taubira: «Ce n’est pas en saccageant le droit qu’on s’attaque aux causes, le caractère non suspensif d’un recours contre un arrêté de reconduite à la frontière vaut pour des personnes très malades ayant des enfants, d’être expulsées». En 2002, la cour d’appel de Bordeaux avait jugé illégale, l’expulsion… quatre ans plus tôt, d’Omar Atherly, un ressortissant du Guyana scolarisé en Guyane depuis l’âge de 14 ans et de mère française. Le préfet désavoué n’est autre que Dominique Vian, actuel directeur de cabinet de François Baroin.

Enfin, un autre épineux dossier n’est pas réglé. Celui des «Français sans état-civil»: ces Amérindiens ou descendants de Noirs marrons originaires des villages isolés des deux rives du Maroni, fleuve frontière avec le Surinam. Litacha, non déclarée à la naissance, scolarisée depuis 1990 en Guyane, vient d’obtenir à 20 ans son baccalauréat économique et social. Elle attend son jugement déclaratif de naissance et ignore si elle va pouvoir continuer ses études, faute de bourse (sa mère n’a pas non plus d’état-civil): «Je voulais être institutrice sur le fleuve. Finalement, je me demande si je ne ferai pas mieux de travailler dans le secteur social». Titulaire aujourd’hui d’un titre de séjour de trois mois, elle avait passé les épreuves de français du bac, il y a un an, en montrant sa carte scolaire.

par Frédéric  Farine

Article publié le 22/09/2005 Dernière mise à jour le 22/09/2005 à 15:03 TU