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Côte d'Ivoire

Une solution politique controversée

Le président ivoirien Laurent Gbagbo : «L'Assemblée nationale demeure en fonction avec tous ses pouvoirs».(Photo: AFP)
Le président ivoirien Laurent Gbagbo : «L'Assemblée nationale demeure en fonction avec tous ses pouvoirs».
(Photo: AFP)

Dans un communiqué publié vendredi soir, se prévalant de «conclusions tirées de ses consultations avec le Premier ministre», le président Gbagbo «prend acte de ce que l’Assemblée nationale demeure en fonction avec tous ses pouvoirs, ainsi que l’a dit le Conseil constitutionnel», le 16 décembre dernier. En consultations, ce week-end, à Pretoria, avec le médiateur sud-africain, Thabo Mbéki, et à Brazzaville, avec le nouveau président congolais de l’Union africaine (UA), Denis Sassou Nguesso, le Premier ministre, Charles Konan Banny n’avait pas encore dit son mot sur la question, lundi. De son côté, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan exprime sa «préoccupation» face à une interprétation des règles du jeu international qu’il juge unilatérale.


«Les députés siégeront aussitôt que prendront fin les vacances parlementaires dont ils bénéficient actuellement, sauf s’ils sont convoqués en session extraordinaire», précise le communiqué de la présidence, qui «informe les Ivoiriennes et les Ivoiriens de la solution politique qui vient d’être trouvée». Et cela, indique le texte, à l’issue de la concertation entre le président et le Premier ministre qu’avait préconisée l’ancien président de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo, venu en urgence à Abidjan le 18 janvier dernier. La tempête parlementaire embrasait alors Abidjan et l’Ouest ivoirien, où des manifestants s’en prenaient à l’Onu, reprochant au Groupe de travail international (GTI) d’avoir de fait prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale, en estimant inutile de prolonger son mandat échu le 15 décembre dernier.

Dans un long développement, fondé à la fois sur des données constitutionnelles, politiques et diplomatiques, le texte présidentiel considère que c’est «l’atteinte portée à l’intégrité de la Côte d’Ivoire» par la tentative de coup d’Etat de septembre 2002 qui a empêché «la tenue d’élections dans les délais constitutionnels». Il ajoute que les «pouvoirs de l’Assemblée nationale ne peuvent pas prendre fin sans porter atteinte» en particulier au principe de l’équilibre des pouvoirs, une remarque en forme de pied de nez à la diplomatie internationale. Celle-ci s’est en effet efforcée de créer un nouvel équilibre autour du Premier ministre «accepté par tous», en contournant les députés, ceux de la majorité présidentielle en particulier. A cet égard, le communiqué de Laurent Gbagbo ne manque d’ailleurs pas de souligner dans son préambule que la prolongation avait été solennellement «recommandée» par l’ensemble des élus du Parlement, tous partis confondus.

Attentisme et fin de non-recevoir dans l'opposition

«Une déclaration datée du 12 décembre 2005 des groupes parlementaires FPI [le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo], PDCI-RDA [le Parti démocratique de Côte d’Ivoire d’Henri Konan Bédié], l’UDPDCI [le parti du défunt général Gueï] et Solidarité», associe ces derniers dans la même volonté de «prorogation du mandat des députés jusqu’aux prochaines élections», programmées fin octobre 2005. De fait, le PDCI réserve pour le moment ses commentaires, comme il l’avait d’ailleurs fait pendant la dernière crise. De son côté, à défaut d’élus à l’Assemblée nationale puisqu’il n’a pas participé aux législatives de 2000, le Rassemblement des républicains (RDR) de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara ne «s'estime pas concerné par cette décision» de Laurent Gbagbo, comme le déclare l’un de ses chargés de communication, Amadou Coulibaly.

«Le mandat des députés est arrivé à expiration, un point c'est tout», s’agace Amadou Coulibaly, qui ne voit guère plus qu’un effet d’annonce dans ces prolongations parlementaires. «L'annonce de Laurent Gbagbo est nulle et sans effet», renchérit le porte-parole des ex-rebelles des Forces Nouvelles (FN), Sidiki Konaté. «Les députés doivent être déclassés ou envoyés en mission, un point c'est tout», poursuit-il en martelant qu’il n’est «pas question que les FN s'associent à un processus dans lequel l'Assemblée continuera à jouer le rôle d'obstruction qu'elle a joué jusqu'à présent». Au plus fort de la crise, le FPI avait pour sa part menacé de se retirer du processus de paix si le mandat des députés n’était pas prolongé.

Soulignant l’émoi soulevé quinze jours plus tôt par le «constat» de péremption parlementaire, «qui apparaissait aux manifestants comme une atteinte à la souveraineté nationale», le communiqué de Laurent Gbagbo fait valoir l’intervention d’Olusegun Obasanjo comme un repoussoir du GTI, renvoyé dans les cordes au profit du «tandem» ivoirien, Gbagbo-Konan Banny. Obasanjo avait chargé les deux hommes de trouver ensemble une «solution politique» compatible avec la résolution 1633 du Conseil de sécurité, c’est-à-dire avec les accords Marcoussis-Accra-Pretoria. Or, indique le communiqué de la présidence, «à l’issue de ces discussions, le Premier ministre a indiqué au président de la République que la question du fonctionnement de l’Assemblée nationale ne relevait pas de sa compétence mais de celle exclusive du président de la République».

Priorités électorales pour le Premier ministre

Il ne surprend personne que Laurent Gbagbo maintienne l’Assemblée nationale dans tous ses pouvoirs législatifs. Reste à savoir si le tout nouveau Premier ministre Charles Konan Banny se reconnaît dans l’interprétation que le président vient de donner de leur tête-à-tête, pour ne pas dire de leur face-à-face. Dans ses déplacements à Pretoria et Brazzaville, Charles Konan Banny ne s’est pas exprimé sur la question, répétant à Thabo Mbéki et à Denis Sassou Nguesso qu’il est «déterminé à organiser toutes les élections» d’ici fin octobre. Sa priorité, a-t-il martelé, c’est de respecter ce délai, le reste ressortissant de «la complexité de la situation». Il est sans doute hâtif d’en déduire que la question de l’Assemblée nationale lui paraît accessoire. Mais, visiblement, le Premier ministre préfère ignorer ce qui risquerait de le faire dévier de son objectif principal. 

La menace de sanctions personnalisées planant à nouveau au-dessus de son nom depuis les dernières échauffourées, le chef de la jeunesse «patriote», Charles Blé Goudé, a lancé samedi «un ultimatum à Banny pour qu'il publie d'ici deux semaines un calendrier de désarmement des rebelles». «J'entends ici et là que mon nom pourrait être sur la liste» noire de l’Onu, dit-il, mais «les patriotes n'accepteront jamais une telle injustice et le jour où nous dirons que l'on ne veut plus de l'Onu, rien ne pourra nous arrêter». Pour le moment, Kofi Annan est surtout préoccupé par les conclusions que Laurent Gbagbo a tirées de l’affaire de l’Assemblée nationale.

La décision du président Gbagbo «ne semble pas être en accord avec l'information que nous avons reçue de la part du président nigérian Olusegun Obasanjo et des opérations de l'ONU en Côte d'Ivoire sur les résultats de sa mission», s’inquiète Kofi Annan. La querelle en interprétation n’est pas finie. Apparemment, Charles Konan Banny préfère laisser à d’autres le soin de rompre les lances.


par Monique  Mas

Article publié le 30/01/2006 Dernière mise à jour le 30/01/2006 à 17:15 TU