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Forum social mondial

Le carrefour bolivarien

Au pays du président Chavez, on a beaucoup parlé politique.Photo : Manu Pochez/RFI
Au pays du président Chavez, on a beaucoup parlé politique.
Photo : Manu Pochez/RFI
Après Bamako au Mali et en attendant Karachi au Pakistan, fin mars, le Forum social faisait étape à Caracas au Venezuela. Au pays d’Hugo Chavez et de la «révolution bolivarienne» on a, bien entendu, beaucoup parlé politique. Mais le rassemblement altermondialiste s’est aussi interrogé sur son avenir : doit-il rester un mouvement alternatif autonome ou s’engager clairement dans l’action, quitte à perdre de son indépendance ?

De  notre correspondant à Caracas

Dimanche soir, les klaxons résonnent dans les rues de Caracas, les feux d’artifice embrasent le ciel. La fin joyeuse du 6ème Forum social mondial ? Non : la victoire finale dans le championnat de baseball national des Leones (les Lions), l’équipe de la capitale. Au même instant, le président Hugo Chavez clôt par une rencontre avec les mouvements sociaux un rassemblement altermondialiste en demi-teinte.

La ville de Caracas est autrement plus grande que Porto Alegre et, pour les habitués des forums, cela s’est senti : dispersion des conférences, retards, annulations, déplacements difficiles en métro, etc. Edgardo Lander, l’un des organisateurs le reconnaît. « Ici, nous n’avions pas la possibilité de rassembler toutes les activités sur un seul lieu. Résultat : les participants sont restés dans la zone centrale et les autres lieux ont été sous-utilisés ».

«Chavez se vend aussi bien que le Che»

Si les chiffres de fréquentation ne sont pas encore connus, force est de reconnaître qu’ils n’atteindront certainement pas les 120 000 participants attendus. Et surtout le Forum social mondial s’est transformé en rencontre continentale. Les Latino-américains sont venus en force, tout comme leurs voisins du Nord, avec en vedette Cindy Sheehan, militante anti-guerre et mère d’un soldat tué en Irak en 2004. Mais pas de traces ou presque des Africains et des Asiatiques. C’est une déception pour un forum annoncé cette année comme « polycentrique ». Bérénice, elle, est satisfaite. Vénézuélienne, elle a bien vendu ses casquettes, badges et accessoires aux couleurs de la révolution. « Chavez se vend aussi bien que le Che », se réjouit-elle. Ce mercantilisme a fait grincer quelques dents chez les historiques du mouvement.

Mais les craintes de récupération du forum par les «chavistes» se sont vite évanouies. On pouvait découvrir les programmes sociaux ambitieux, les «missions», du gouvernement Chavez en se rendant dans les barrios, les quartiers populaires des collines de Caracas. Mais les officiels vénézuéliens se sont faits discrets. Stratégie payante : l’adhésion à la « révolution bolivarienne » du président Chavez n’en a été que plus forte. « Je repars les batteries chargées et j’emporte le message de ce processus dans mon pays », s’enthousiasme Maria, une jeune Chilienne.

Mais plus globalement, le virage à gauche du continent sud-américain ne signifie pas chèque en blanc des altermondialistes pour les gouvernants. Ainsi le regard porté sur les gouvernements de Lula au Brésil, Kirchner en Argentine et même Chavez fut sans concession. Critiquées surtout, les options économiques : soit trop conformes aux recommandations du Fonds monétaire international pour les premiers, soit héritées du « développementisme productiviste » des années 50 pour le Vénézuélien.

Se frotter à l’action concrète ?

C’est que les discussions du Forum ont été, comme prévu, éminemment politiques. Et ce n’est pas un hasard au moment où le mouvement altermondialiste se trouve à la croisée des chemins. Les pères du mouvement, les « Brésiliens », sont attachés à une autonomie complète vis-à-vis de tout pouvoir. Pour eux, le forum sert à articuler les luttes, les campagnes et permet de présenter de nouvelles expériences. Pour les « politiques», il est plus que temps de se frotter à l’action concrète... et de prendre l’expérience vénézuélienne comme base de travail. Les Français Ignacio Ramonet du Monde diplomatique et Bernard Cassen d’Attac appartiennent à cette mouvance. Samedi lors d’un débat sur les futurs rassemblements, un délégué a même affirmé : « Cette année le plus intéressant du forum était en dehors et c’était la ‘révolution bolivarienne’ ». Hugo Chavez, lui, a bien entendu plaidé pour la seconde option : « Il est indispensable d’élaborer des stratégies de pouvoir », a-t-il affirmé avant de vanter son « socialisme du XXIème siècle », « un socialisme nouveau et frais ».

Jacin, bénévole d’une ONG d’éducation environnementale dans l’Etat brésilien de Goias, quittait dimanche son hôtel. « Les critiques sont fondées : l’organisation laissait à désirer, souvent rien de concret ne ressortait des discussions, mais j’ai 71 ans et quand je vois ce mouvement je continue de croire qu’il faut agir localement pour des problématiques globales. Je crois toujours qu’un autre monde est possible. »


par François  Meurisse

Article publié le 30/01/2006 Dernière mise à jour le 30/01/2006 à 19:18 TU