Caricatures
Le politique prend le pas sur le religieux
(Photo : AFP)
L’affaire des caricatures de Mahomet, publiées en septembre 2005 par un journal danois, prend un tour de plus en plus politique. Si l’indignation des populations musulmanes est bien réelle, et ce depuis une dizaine de jours, elle a été assez vite relayée, voire précédée, par un certains nombre de chefs d’Etats arabes, comme le roi Abdallah de Jordanie, qui avait déclaré que «l'insulte» au prophète Mahomet est «un crime injustifiable». En rappelant dès le 26 janvier son ambassadeur au Danemark, l’Arabie Saoudite a montré la voie, se plaçant ainsi en « garante » d’un islam des plus rigoristes.
On a ensuite assisté à une surenchère dans la région. L’émotion des foules a vite été instrumentalisée, à la fois par des groupes d’opposition, qui trouvent ainsi le moyen de s’exprimer au sein de régimes policiers, et par les gouvernements des pays. Après la récente percée des islamistes sur le plan électoral, les autorités d’Egypte, d’Irak ou de Palestine se sont posées en défenseurs de la religion pour prendre en compte la colère de leurs opinions publiques. Ainsi, à Gaza, les violences à l’encontre du bureau de l’Union européenne ont été le fait de groupes armés proches du Fatah… D’autres chefs d’Etat utilisent la polémique pour faire diversion sur leurs propres problèmes. L’Iran, en mauvaise posture sur la scène internationale, cherche à prendre la tête de cette « fronde » du monde musulman contre les représentations de Mahomet. Le pays vient d’ailleurs d’annoncer qu’il suspendait ses échanges commerciaux avec le Danemark.
La Syrie dans le collimateur
Ce week-end, la protestation est encore montée d’un cran dans la violence, dans deux pays où le sentiment anti-occidental a souvent été utilisé à des fins politiques : la Syrie et le Liban. Des manifestations ont en effet été organisées à Damas et Beyrouth qui ont dégénéré en émeutes. A Damas, où les manifestants brandissaient des portraits du président Bachir al-Assad, les forces de sécurité syriennes ont laissé incendier les ambassades du Danemark et de Norvège mais ont empêché l’accès à l’ambassade de France. Si, officiellement, la Syrie a « regretté les actes de violence perpétrés contre les missions diplomatiques » des deux pays, le régime n’a rien fait pour les empêcher. La Syrie, qui a mal digéré son éviction forcée du Liban, montre ainsi qu’il faut encore compter avec elle.
A Beyrouth, le consulat danois a brûlé et on compte un mort par asphyxie. Quarante-sept personnes on été hospitalisées, dont 19 membres des forces de l’ordre, et le ministre de l’Intérieur a démissionné dans la foulée. Le Premier ministre Fouad Siniora a immédiatement accusé « des groupes qui tentent de semer la discorde » et Saad Hariri, fils de l’ex-premier ministre assassiné il y a un an, a dénoncé depuis Paris « ces actes de violence initiés à Damas et exportés à Beyrouth ». Des ministres ont demandé le dépôt d’une plainte contre la Syrie à l’Onu. Lundi, Fouad Siniora a déclaré que « plus de la moitié des quelque 200 personnes arrêtées [après les émeutes] sont des Syriens et des Palestiniens » et que les actes de violence « font partie du plan de déstabilisation dont est victime le Liban depuis plusieurs mois », faisant référence à la vague d’attentats qui frappe le pays depuis octobre 2004 et attribué à la Syrie par la majorité parlementaire. Le Danemark et la Norvège ne sont pas dupes. « Il y avait plusieurs milliers de manifestants, nous pensions que les forces de sécurité syriennes allaient intervenir : elles ne sont pas réputées pour leur passivité », a notamment déclaré le ministre norvégien des Affaires étrangères Jonas Gahr Stoere, à propos de l’attaque de Damas.
De la politique extérieure à la politique intérieure
Le Danemark et la Norvège ont qualifié de « totalement inacceptables » les incendies de leurs représentations, accusant les autorités ne n’avoir rien fait. « Cela suffit. Cette affaire ne concerne plus uniquement les dessins. Aujourd’hui, des groupes veulent nous attaquer. Personne n’y a intérêt, eux comme nous », a indiqué le ministre danois des Affaires étrangères Per Stig Moeller. Ce dernier a déconseillé lundi aux ressortissants du royaume de se rendre dans 14 pays musulmans : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Soudan, Oman, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, Barhein, la Jordanie, l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan. Le Danemark et la Norvège, perçus jusqu’ici comme des champions de la paix et du consensus, continuent leur offensive diplomatique pour tenter d’apaiser la situation. Ce week-end, plusieurs voix se sont élevées en ce sens, comme celle du grand mufti de Syrie.
Côté européen, les pays dans lesquels ont aussi été publiés les dessins appellent à la modération et à l’apaisement. En France, seul Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France (droite conservatrice), a jugé que la polémique actuelle confortait sa lutte contre « l’islamisation de la France ». Les autres politiques, de droite comme de gauche, ont défendu la liberté d’expression tout en appelant au respect des croyances et des religions. Des réactions prudentes pour éviter des répercussions importantes parmi les quelque 5 millions de musulmans français. Ce qui n’a pas empêché un millier de personnes de manifester dimanche à Paris, déplorant que certaines caricatures fassent « l'amalgame entre islam et terrorisme ». Au Danemark, alors que l’extrême droite et l’extrême gauche étaient descendues dans les rues samedi, ajoutant une dimension de politique locale à la polémique internationale, plusieurs centaines de Danois ont manifesté dimanche pour réclamer un « dialogue pacifique ». Lundi, la classe politique danoise et les médias du pays ont accusé les imams de la communauté musulmane d'avoir alimenté le feu de la révolte. Fin décembre, une délégation de musulmans danois s’était en effet rendue au Moyen-Orient pour « alerter » les pays arabo-musulmans sur la publication des caricatures.
par Olivia Marsaud
Article publié le 06/02/2006 Dernière mise à jour le 06/02/2006 à 18:24 TU