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interview

Iran

Nucléaire : besoin énergétique ou choix stratégique ?

Hadi Zamani : «<em>le rôle du nucléaire dans la production de l’énergie électrique est très secondaire et ne se justifie pas économiquement</em>.»DR
Hadi Zamani : «le rôle du nucléaire dans la production de l’énergie électrique est très secondaire et ne se justifie pas économiquement
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Après trois ans de négociations et des semaines de tensions, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a déféré, le 4 février, au Conseil de sécurité des Nations unies le dossier nucléaire iranien. Cette décision marque un tournant dans les relations entre l’Iran et la communauté internationale qui soupçonne le programme nucléaire iranien de cacher des objectifs militaires. L’une des raisons de cette méfiance est la richesse des ressources énergétiques naturelles dans ce pays. L’Iranien Hadi Zamani, économiste, consultant international, estime que le programme énergétique iranien peut se développer sans recours au nucléaire.

RFI : En tenant compte des réserves naturelles en gaz et en pétrole en Iran, la construction des centrales nucléaires est-elle nécessaire pour la production de l’électricité ?

Hadi Zamani : Les ressources disponibles en Iran pour la production de l’électricité sont : le pétrole, le gaz, l’énergie hydroélectrique ainsi que d’autres sources inexploitées à ce jour comme l’énergie solaire, l’énergie éolienne, etc. La consommation de l’énergie électrique en Iran est actuellement de l’ordre de 33 000 mégawatts par an. 75% de cette énergie est produite par le gaz, 18% par le pétrole et 7% par l’énergie hydroélectrique. Mais la demande d’énergie en Iran au cours de ces dix dernières années a augmenté au rythme de 8% par an. Les projections sur les deux décennies à venir montrent que ce pays connaîtra le même taux de progression. Même si l’Iran modère ce taux à environ 6%, la consommation dans les vingt prochaines années devrait doubler et se situer entre 70 à 80 000 mégawatts.

En ce qui concerne le pétrole, les réserves iraniennes sont évaluées à 133 milliards de barils. La production actuelle est de 4 millions barils par jour dont 2,6 à 2,9 millions sont exportés. La demande de consommation de pétrole est en progression rapide et on peut l’évaluer pour les prochaines années à 6% par an. Si le pétrole devait constituer l’unique source pour la production d’électricité en Iran dans dix ans, la production interne ne suffirait pas à satisfaire la demande et ce pays deviendrait importateur de pétrole. L’exportation du pétrole constitue 80% des recettes en devises et 40% du budget de l’Etat. Il s’avère donc nécessaire pour l’Iran de réduire d’ici vingt ans la part du pétrole dans la production de l’énergie électrique et de l’amener au minimum pour préserver les recettes de l’Etat.

En ce qui concerne l’énergie hydroélectrique, les projets en cours visent à doubler l’exploitation de ces ressources dans la production d’électricité. Mais, avec un peu plus d’investissements, l’Iran pourrait augmenter sa production encore plus, jusqu’à 20 000 mégawatts par an. Evidemment, étant donné le manque d’eau dans ce pays l’énergie l’hydroélectrique ne peut pas constituer la part majeure mais peut encore progresser.

En revanche, l’Iran dispose de 26 376 milliards de mètres cubes de réserves de gaz [ses réserves le place au deuxième rang mondial après la Russie, ndlr]. La production actuelle est environ de 84 milliards de mètres cubes dont 53% sont consommés pour la production d’électricité. En conséquence cette réserve est suffisante pour lui permettre d’augmenter sa part dans la production de l’électricité en Iran. Pour cela, il faut investir dans l’industrie gazière.

En ce qui concerne l’énergie nucléaire, l’Iran possède les plus grandes mines d'uranium au Proche-Orient à proximité de Yazd (centre) et de Bandar Abbas (sud). Cette réserve représente l’équivalent de 43 milliards de barils de pétrole. Ainsi, théoriquement, cette source peut être envisagée pour la production d’électricité.

L’objectif des autorités iraniennes est de réduire d’ici 2021 la part du gaz dans la production de l’énergie électrique de 75% actuellement à 65%, et celle du pétrole de 18 à 5%, et d’augmenter celle de l’hydroélectrique jusqu’à 20% et de produire les 10% restants par l’énergie nucléaire.

RFI : Cette stratégie se justifie-t-elle économiquement ?

H. Z. : Pour répondre à cette question on doit prendre en considération d’une part les coûts comparés des productions mais aussi les considérations stratégiques et environnementales. Il est vrai que la consommation de l’énergie fossile est très polluante mais on ne peut pas oublier que le nucléaire comporte également, de ce point de vue, ses propres dangers. Il est aussi vrai que les responsables d’un pays peuvent prendre en considération les utilisations militaires du développement de la technologie nucléaire, même si cet objectif n’est pas le but immédiat. Pour certains pays ne disposant pas de ressources internes, la diversification des sources d’énergie est également importante. Ce qui n’est pas le cas de l’Iran pour l’exploitation du gaz.

Je reviens donc à la dimension économique, c’est-à-dire les coûts. L’Iran ne produisant pas encore d’électricité nucléaire, les coûts ne peuvent être calculés qu’à partir des exemples proches. En Turquie, le coût est de l’ordre de 5,3 cents (de dollar, ndlr) le kilowatt/heure. Nous pouvons raisonnablement penser que cela sera de l’ordre de 4 à 5 cents pour l’Iran qui dispose déjà de ressources minérales. Le coût de production à partir du gaz est de 3 cents. Donc, on constate qu’il y a une différence importante entre les deux au bénéfice du gaz. Je rappelle que l’objectif pour l’an 2021 est de produire 10% de l’électricité à partir du nucléaire. Ainsi, le rôle du nucléaire dans la production de l’énergie électrique est très secondaire et ne se justifie pas économiquement. Cette part peut donc être remplacée par le gaz. Mais, là ce sont les considérations stratégiques qui interviennent. Donc, en tenant compte de ces données, il ne semble pas raisonnable que la production de l’électricité en Iran puisse se baser sur le nucléaire : le pays doit se tourner vers le gaz.

RFI : Avant même d’éventuelles sanctions du Conseil de sécurité, qu’elles sont les conséquences immédiates de la crise entre la communauté internationale et l’Iran sur l’économie du pays ? On parle d’ores et déjà de fuites des capitaux et d’arrêt des investissements ?

H. Z. : Ce qui est évident c’est que cette situation est de nature à entraîner l’arrêt de tout nouvel investissement étranger, le transfert vers d’autres pays des capitaux en circulation en Iran, la baisse de la production, la hausse du taux de chômage. Tout cela aura inévitablement des conséquences sur la bourse, le prix de l’or ainsi que les opérations d’importation et d’exportation entraînant la hausse de l’inflation et l’arrêt du fonctionnement normal de l’économie. On peut supposer que ces conséquences ne sont pas méconnues des autorités iraniennes mais, si elles insistent pour maintenir leur stratégie, il devient alors évident que d’autres considérations sont en jeu.

RFI : Et dans le cas d’une décision de sanction du Conseil de sécurité, quelles peuvent être les conséquences ?

H. Z. : Les sanctions comportent, en général, une série de restrictions aux investissements ainsi qu’en ce qui concerne les relations diplomatiques. Les déplacements des responsables iraniens à l’étranger pourraient être limités, leurs avoirs bloqués et si cela ne suffit pas, l’importation par l’Iran de l’essence peut être réduite, ce qui aura des conséquences sociales importantes. Et enfin, le Conseil peut instaurer un embargo sur le pétrole iranien ce qui priverait l’Etat de 80% de ses ressources en devises. Même si on n'en n'arrive pas là, l’arrêt des investissements étrangers peut causer des dommages importants à l’économie iranienne. Comme je l’ai déjà dit, le fondement de la stratégie énergétique iranienne est constitué du gaz et l’Iran a fortement besoin d’investir dans son industrie gazière et pétrolière. Selon les évaluations disponibles, l’Iran a besoin chaque année de quinze milliards de dollars d’investissements dans ces secteurs pour maintenir son niveau d’exploitation actuel et répondre aux besoins en croissance. Il y a actuellement une forte demande de produits combustibles dans le monde et l’Iran, compte tenu de ses réserves, pourrait bénéficier de ce marché à condition de pouvoir investir. Dans le cas contraire, ce sont d’autres pays comme le Qatar ou les ex-Républiques soviétiques qui en seront les bénéficiaires.

RFI : Compte tenu du manque de confiance de la communauté internationale, et la virulence des réactions vis-à-vis du programme nucléaire iranien, n’est-ce pas dans l’intérêt de ce pays de renoncer, ne serait-ce que temporairement, à ses projets nucléaires ?

H. Z. : L’Iran est un pays qui ne peut pas vivre en dehors de l’économie mondiale. L’exportation du pétrole est vitale pour l’Iran, sa situation géopolitique le place dans une région économiquement stratégique, l’avenir de ce pays ne peut se concevoir qu’au sein de l’économie mondiale et pour cela il ne peut pas ignorer les règles et les principes qui s’appliquent à cette économie. Il est vrai qu’actuellement, il y a une forte méfiance vis-à-vis des activités nucléaires de l’Iran et ce pays doit comprendre les préoccupations de la communauté internationale et y apporter des réponses appropriées. Dans le cas contraire, il subirait les pressions de la communauté internationale, préjudiciables pour son économie, notamment pour ses industries gazière et pétrolière. Et, dans le cas extrême, même la sécurité nationale du pays serait menacée.


Propos recueillis par Darya  Kianpour

Article publié le 13/02/2006 Dernière mise à jour le 13/02/2006 à 15:36 TU