Ouganda
Duel inégal entre Museveni et Besigye
(Photos: AFP)
Enclavé dans une zone de haute turbulence, entre conflit des Grands-Lacs et Soudan, l’Ouganda n’est pas épargné par la guerre. Depuis vingt ans, la sanglante guérilla mystique de l’Armée de résistance du seigneur (LRA) ravage en effet son Nord acholi. Originaire de l’Ouest, Yoweri Museveni n’est pas aimé des Acholi. Par ailleurs, ses entreprises militaro-économiques au Congo-Kinshasa lui ont valu le désamour des bailleurs de fonds internationaux. Museveni n’en garde pas moins le verbe sécuritaire très haut. C’est même son principal sinon son seul argument électoral. Il en use, voire en abuse, non sans succès, en particulier dans les zones rurales. Et sur ce terrain sécuritaire, Museveni ne se sent pas vraiment menacé par les Sudistes du Buganda, autre région rétive à son autorité, terroir du royaume éponyme aboli en 1967 par feu le président Milton Obote, lui-même vaincu par Museveni le 26 janvier 1986, après cinq années de haute lutte.
La veuve de Milton Obote (mort en 2005), Miria Kalule, a repris les rênes du Congrès du peuple ougandais (UPC). Première femme à briguer la présidence en Ouganda, novice en politique, à 70 ans, Miria Obote devra sans doute se contenter d’une candidature de témoignage. Se réclamant des gens du Buganda, le chef du Parti démocratique, John Ssebaana Kizito, est lui-aussi septuagénaire. Mais c’est un vieux routier de la politique. Familier des allées du pouvoir depuis 1963, il a servi l’ascension de Museveni dans les années 80. Kizito a aussi régné comme maire à Kampala et il ne manque pas non plus de ressources financières. Reste le handicap de son âge et sa faible notoriété dans le pays profond. Le candidat Abed Bwanika tranche en revanche par sa jeunesse. A 38 ans, il s’est illustré en faisant campagne pour Museveni, en 1996, avant de passer à son adversaire Besigye, en 2001. Il se présente en indépendant.
Opposition muselée
Après sa prise de pouvoir, Museveni a attendu dix ans avant de songer à organiser un scrutin présidentiel au suffrage direct, en 1996. C’était alors une première depuis l’émancipation ougandaise de la tutelle britannique, en 1962. Dès son avènement à la tête du pays, dénonçant l’opposition comme une menace pour la paix civile, Museveni s’était par ailleurs employé à confiner le multipartisme dans un rôle de représentation démocratique, autorisant seulement les voix discordantes à s’exprimer en tant que «mouvements», c’est-à-dire tendances, dans le cadre de l’obédience unique de son Mouvement de résistance nationale (NRM). Toute opposition politique ainsi muselée, il a franchi aisément la barre des 74% de suffrages le 9 mai 1996. Mais deux précautions valant mieux qu’une, le 29 juin 2000, un référendum boycotté par l’opposition abolissait toutefois le multipartisme, finalement remis au goût du jour en juillet dernier.
Jusqu’en 2001, les candidats devaient se présenter à titre individuel, sans couleurs partisanes. Les appareils des partis sortant très affaiblis de cette longue diète, Yoweri Museveni part une fois de plus favori. A 62 ans, il reste encore éloigné de la limite d’âge, fixée à 75 ans. Dans l’immédiat, il compte bien conserver la majorité écrasante des 317 sièges de l’unique chambre du Parlement où, équité des genres obligeant sans déranger, soixante-seize sièges sont réservés aux femmes. Après les élections présidentielle et législatives de jeudi, les Ougandais retourneront aux urnes pour des élections locales programmées du 28 février au 9 mars. Ce sera sans doute alors pour Museveni, l’occasion de quelques discours supplémentaires sur «l’extermination» régulièrement annoncée de la LRA, dans ces confins nord où 1,6 millions de personnes vivent dans des camps de déplacés.
Museveni n’a jamais conquis les cœurs du Nord, pépinière des dirigeants ougandais qui l’ont précédé. Quant à la guérilla de la LRA, elle constitue toujours une épine, même si la situation a changé de l’autre côté de la frontière soudanaise où Khartoum l’a longtemps entretenue, en représailles à la solidarité militaire entre Museveni et le Sudiste soudanais, feu John Garang. Mais au passage, la perpétuation de la guérilla justifie l’entretien d’une armée ougandaise de 40 000 hommes qui a servi les intérêts du clan Museveni au Congo voisin, entre 1996 et 2003. L’implication ougandaise au Congo-Kinshasa a beaucoup pesé sur le désaveu des bailleurs de fonds, jadis pleins d’égards pour le bon élève Museveni, adepte du libéralisme économique, malgré son séjour dans les maquis marxistes du défunt Mozambicain Samora Machel, partisan du retour des Indiens chassés dans les années 70 par le tyrannique Idi Amin Dada et précurseur en matière de lutte contre le sida.
Rangé parmi les 18 pays les plus pauvres de la planète, l’Ouganda a bénéficié de l’annulation de dette décidée en juin 2005 par les membres du G8. Mais son budget dépend à 55% de l’aide extérieure. Dans ces conditions, Museveni souhaite rasséréner les donateurs en donnant une allure démocratique à son régime, sans pour autant manquer d’écraser, ce 23 février, son ancien médecin personnel, le colonel-docteur Kizza Besigye, désormais chef d’un Front pour le changement démocratique (FDC).
Kyrielle de procès
Il aura fallu attendre le 17 février, c’est-à-dire la veille du scrutin, pour avoir la certitude que Besigye pourrait participer à la présidentielle. C’est in extremis que le juge de la Haute Cour de Kampala a reporté aux lendemains électoraux du 6 mars l’annonce du verdict du procès pour viol qui lui a été intenté. Une condamnation avant le scrutin aurait invalidé la candidature de Besigye. Il reste poursuivi par une kyrielle d’accusations, les plus graves l’incriminant de détention illégale d'armes, de trahison et même de terrorisme. Concernant ces affaires, le juge s’est déclaré «contraint d'ajourner le procès en raison du long programme électoral entre le 23 février et le 9 mars».
Les procès contre Besigye devraient démarrer à la mi-mars, une poire pour la soif de Museveni le cas échéant. Sa victoire consommée, le chef de l’Etat pourrait en effet jouer la clémence et balayer les inquiétudes démocratiques internationales. L’affaire Besigye a en effet provoqué le gel de plusieurs dizaines de millions de dollars d'aide au gouvernement ougandais. Mais pendant la campagne, Museveni n’a pas vraiment tempéré sa police. Elle n’a eu de cesse de harceler les partisans de Besigye, faisant même plusieurs morts et des blessés, au point que, lundi, le challenger de Museveni a préféré renoncer à son meeting de clôture de campagne.
«Ils veulent que les gens disent qu’ils feraient mieux de garder Museveni pour rester en vie», se plaint Besigye tout en appelant ses militants à ne pas répondre aux «provocations du gouvernement». Originaire de Rukungiri, dans le Sud-Ouest, où il est né en 1956, diplômé de médecine de la faculté de Makerere, à Kampala, Besigye est un familier de Museveni dont il avait rejoint l'Armée de résistance nationale (NRA) dès 1982. Rarissime dans la guérilla, son diplôme de praticien lui avait valu d’être distingué par Museveni qui en avait fait son médecin personnel, jusqu’à la prise de Kampala. Après la victoire, Besigye avait hérité d’un fauteuil prestigieux au sein du très stratégique ministère de l’Intérieur, à 29 ans, avant d’être désigné comme l’idéologue du parti de Museveni, le NRM.
Besigye est tombé en disgrâce lorsqu’il a prétendu critiquer son parrain, en 1999, dans un exposé public sur l’usure du pouvoir et l’érosion du NRM. Museveni l’avait alors fait inculper pour «avoir fait connaître son opinion à la mauvaise tribune». Sans doute Besigye avait-il alors déjà décidé de rouler pour lui-même. Candidat à la présidentielle de 2001, il s’est employé à opposer des accusations de corruption généralisée aux arguments sécuritaires de Museveni. Inévitablement défait, il avait alors demandé l'annulation du scrutin devant la Cour suprême. Celle-ci ne lui avait pas donné entièrement raison tout en reconnaissant des fraudes. Accusé de manipuler un groupe rebelle basé au Congo Kinshasa, Besigye s’était prudemment retiré en Afrique du Sud.
Au retour de Besigye en octobre 2005, l’accueil en fanfare de ses supporters a visiblement réactivé l’ire de Museveni. Interpellé le 14 novembre dernier pour viol et trahison, il a vu les charges s’accumuler et les séjours en prison se multiplier. Libéré sous caution en janvier, Besigye a finalement été autorisé à entrer dans la lice électorale, la bride sur le cou, face à un Museveni cramponné à son fauteuil.
par Monique Mas
Article publié le 22/02/2006 Dernière mise à jour le 22/02/2006 à 11:21 TU