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Kosovo

Radicalisation politique à Pristina

Agim Ceku, ancien général en chef de l'UCK, sera difficilement accepté comme interlocuteur par Belgrade.(Photo : AFP)
Agim Ceku, ancien général en chef de l'UCK, sera difficilement accepté comme interlocuteur par Belgrade.
(Photo : AFP)
Le Kosovo a subi un électrochoc politique mercredi. Le Premier ministre Bajram Kosumi a présenté sa démission, et l’ancien général en chef de l’UCK, Agim Ceku, a été nommé pour lui succéder. Le camp albanais se réorganise, au risque de paraître se radicaliser.

De notre correspondant dans les Balkans

Globalement, la presse kosovare salue le grand remaniement qui vient de se produire. Le quotidien Express salue ce « beau début du mois de mars », en affirmant que Bajram Kosumi et Nexhat Daci étaient devenus « les symboles de l’incompétence, de la mauvaise gouvernance et de la corruption ».

Bajram Kosumi, membre du petit parti de l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), partenaire de coalition de la LDK, avait été nommé à sa charge il y a un an, après le départ pour La Haye de son prédécesseur, l’ancien commandant Ramush Haradinaj, chef de l’AAK, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Le général Ceku, qui n’était pas officiellement membre de l’AAK, est néanmoins très proche de ce parti. Ce militaire de carrière a d’abord servi dans l’armée yougoslave, avant de rejoindre les forces croates en 1991, puis de prendre la direction de la guérilla albanaise du Kosovo. Depuis la fin de la guerre, en 1999, il dirige le Corps de protection du Kosovo (TMK), une structure « civilo-militaire » qui regroupe des anciens guérilleros et qui est ouvertement conçue comme l’embryon de la future armée d’un Kosovo indépendant. Il jouit d’une excellente image de marque au sein de la population albanaise et il échappe notamment aux soupçons de corruption massive qui frappe la quasi-totalité de la classe politique, notamment le Premier ministre démissionnaire. Immédiatement après sa nomination, il a annoncé qu’il démissionnait de ses responsabilités au sein du TMK.

Les standards de l’ONU

Le travail du Premier ministre démissionnaire était jugé insuffisant sur le dossier sensible de l’application des « standards » définis par l’ONU. Ces standards – qui concernent notamment le respect des minorités et le droit au retour des réfugiés et des déplacés serbes – conditionnent la création attendue des ministères de la Justice et de l’Intérieur. Il s’agit de deux domaines de compétences qui étaient jusqu’à présent « réservés » à l’administration internationale du Kosovo mais qui doivent revenir aux institutions élues du Kosovo.

Par ailleurs, la direction de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) a décidé de limoger le président du Parlement, Nexhat Daci. Celui-ci fait les frais des règlements de compte internes à la LDK, le parti de feu Ibrahim Rugova. Après la mort du président du Kosovo, le 21 janvier, une vaste redéfinition des rapports de force au sein de ce parti était inéluctable, et « l’arrogance » de Nexhat Daci, qui n’appartient pas au noyau des dirigeants historiques de la LDK, était souvent décriée. Il sera remplacé par Kolë Berisha, un Albanais catholique très lié à l’ancien président.

Une recomposition de la scène politique albanaise était inéluctable après la disparition de la « statue du commandeur » que représentait Ibrahim Rugova. Nexhat Daci a cependant annoncé qu’il n’entendait pas accepter l’oukase de la direction de la LDK, et pourrait prendre la tête d’une fronde interne, en rejoignant les rangs de l’opposition conduite par le Parti démocratique du Kosovo d’Hashim Thaçi. Longtemps parti unique des Albanais du Kosovo, la LDK risque donc de ne pas survivre bien longtemps à son fondateur Ibrahim Rugova.

Accusé de crimes de guerre et génocide

Agim Ceku est probablement capable de faire preuve de plus de souplesse et de réalisme que beaucoup d’autres responsables politiques du Kosovo, mais il sera difficilement accepté par Belgrade comme interlocuteur.

Sa nomination a été immédiatement dénoncée par les négociateurs serbes, qui y voient une provocation. Prudemment, le président de la République de Serbie, Boris Tadic, s’est contenté de dire que « ce n’était pas une bonne chose pour la région que d’anciens combattants accèdent au pouvoir ». Agim Ceku est toujours sous le coup d’une accusation pour crimes de guerre et génocide par les tribunaux serbes : dans le cadre des négociations sur le statut futur du Kosovo, pourra-t-il se rendre à Belgrade ?

Tandis que des échéances cruciales pour le Kosovo s’annoncent, le camp albanais cherche probablement à s’homogénéiser, alors que la population s’impatiente. Le mouvement « autodétermination – non aux négociations » dénonce le principe même d’une discussion avec Belgrade sur le futur statut du Kosovo.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 03/03/2006 Dernière mise à jour le 03/03/2006 à 15:08 TU