Afghanistan
La province de tous les dangers
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Lashkar Gah, province du Helmand
Gereshk, bourg poussiéreux situé entre Herat et Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan. Une vieille forteresse domine le bazar endormi. Dans les rues, quelques turbans noirs traînent en groupe. Ils lancent des regards inquisiteurs aux deux journalistes étrangers présents ce jour-là. Commentaire du chef de la police : «Vous devez immédiatement partir. Vous n’êtes pas en sécurité ici».
Ceux qu’on appelle les turbans noirs sont des talibans, ceux-là mêmes qui assassinent les représentants du gouvernement, les enseignants et les étudiants. Et qui brûlent les écoles. Dans cette province far west du Helmand, l’absence criante de forces de sécurité a permis aux fidèles du mollah Omar de se réimplanter. Depuis plus d’un an, ils tiennent la plupart des onze districts et imposent leur loi, la charia. A quelques semaines de l’arrivée de 3 000 soldats d’élite britanniques épaulés par 3 500 militaires afghans qui auront pour mission de reprendre la province en main, les fondamentalistes dominent cette région du sud de l’Afghanistan, frontalière avec le Pakistan et à quelques encablures de l’Iran. Une région qui est devenue en deux ans la principale productrice de pavot du pays.
«Les talibans se sont associés aux trafiquants de drogue»
Le Helmand fournit près de la moitié des quantités astronomiques de l’opium afghan, qui représente 80% de la production mondiale. Or, les talibans «se sont associés aux trafiquants de drogue. Ils les protègent, ils incitent les fermiers à planter le pavot, font en sorte que ces régions soient des zones de non droit. En échange, les trafiquants les arment et leur assurent le transit entre les deux pays, l’Afghanistan et le Pakistan, une zone que les contrebandiers connaissent parfaitement», explique Sarzar Mohamed, responsable provincial de l’organisation internationale Mercy corps.
«Impossible d’aller dans les villages. Trop dangereux. Même avec escorte», indique immédiatement l’un des responsables de la police de Gereshk, avant d’ajouter : «Nous n’y allons qu’en convoi, et encore, quand il y a vraiment un problème. Sinon, nous restons dans notre camp, en ville. Nous ne tenons pas à nous faire tuer». Bombes télécommandées, embuscades, véhicules piégés, depuis peu, les fondamentalistes afghans, épaulés par des éléments d’Al Qaïda, ont intégré les méthodes terroristes irakiennes.
Depuis octobre dernier, plus de vingt attentats ont coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes, essentiellement des soldats et des policiers, et blessés des dizaines d’autres. La ville de Kandahar, ancienne capitale du mollah Omar située dans le sud du pays, a connu la pire période depuis l’arrivée des forces de la Coalition. «Emmenées par les Etats-Unis, la Coalition ne parvient pas, malgré un arsenal impressionnant et une incontestable supériorité militaire à venir à bout de quelques milliers de rebelles qui sont loin d’avoir les mêmes atouts humains et technologiques», confiait quelques temps avant un expert en poste au Pakistan voisin. «On se demande s’il y a une réelle volonté des deux côtés, au Pakistan et en Afghanistan, d’en finir vraiment avec cette guérilla», disait-il encore.
Les talibans font régner la terreur
A Lashkar Gah, capitale de la province du Helmand, on ne se pose pas la question. Retranché dans sa demeure fortifiée, protégé par une trentaine de militaires solidement équipés, le gouverneur annonce à grand renfort de publicité qu’il va «éradiquer tout le pavot du Helmand en deux mois. Et en finir enfin avec la violence. Nous reprendrons le contrôle de toute la région». Ce à quoi les fermiers, souvent très pauvres, rétorquent qu’ils se battront jusqu’au bout pour défendre leurs récoltes. «Il fallait parler éradication avant que nous plantions et nous proposer des alternatives. Nous avons juste besoin de pouvoir travailler pour nourrir nos familles», s’insurgent de concert plusieurs cultivateurs de pavot à Nad-Ali, district situé à quelques kilomètres au nord-ouest de la ville.
Hadji Mohammed Qasem, chef du district ne ferme plus l’œil. «Je suis obligé d'avoir des armes dans mon bureau, et de dormir dans un endroit différent chaque soir. D'ailleurs, je ne dors plus», explique-t-il. «La situation se dégrade. Les gens sont en colère. Ils accusent le gouvernement de ne rien faire, alors que les talibans, eux, promettent de les défendre contre l'éradication de l'opium. Quant à nous, nous ne pouvons défendre personne, juste penser à nous protéger», déplore-t-il. Quelques jours plus tard, son collègue chargé du renseignement, Mohammed Ali Barak, était tué avec trois de ses gardes du corps par l'explosion d'une bombe au passage de leur véhicule. L'attentat a été revendiqué par les talibans.
par Eric de Lavarène
Article publié le 18/03/2006 Dernière mise à jour le 18/03/2006 à 11:51 TU