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Afghanistan

Le gâchis de l’aide internationale

Najibullah allume un feu avant que la nuit tombe à l'entrée du conteneur qui abrite sa famille (6 enfants et 4 adultes) depuis quatre ans dans un camp de réfugiés le long d'une rue de Kaboul.(Photo : Anne Le Troquer/RFI)
Najibullah allume un feu avant que la nuit tombe à l'entrée du conteneur qui abrite sa famille (6 enfants et 4 adultes) depuis quatre ans dans un camp de réfugiés le long d'une rue de Kaboul.
(Photo : Anne Le Troquer/RFI)
Alors que la communauté internationale se réunit à Londres pour décider de prolonger son soutien à l’Afghanistan pour cinq ans, la majorité des Afghans vivent toujours dans la pauvreté et mendient l’argent de la reconstruction.

De notre correspondante à Kaboul

Wahid Suddin sourit au milieu de ses téléphones portables : «ce matin, j’en ai déjà vendu trois à plus de 150 dollars.» Dans le seul centre commercial de Kaboul, bijoutiers, vendeurs d’appareils électroménagers ou de vêtements, tout le monde a l’air satisfait. Dans les allées se croisent expatriés et Afghans tirés à quatre épingles. «La conférence de Londres sera bénéfique, elle va nous donner une influence internationale et donc du commerce», explique le vendeur.

Quatre ans après le renversement du régime taliban, alors que le pays achève sa transition politique avec une première session parlementaire lancée en décembre, quelques 70 pays et agences internationales se réunissent à Londres pour réaffirmer leur engagement envers l’Afghanistan. Mais si la capitale a retrouvé une élite qui peut s’offrir les derniers modèles de portables, la majorité des Kaboulis vivent encore dans des ruines ou des bidonvilles, avec moins de deux dollars par jour. Près de 40% dépendent encore de l’aide alimentaire pour survivre.

«Ils disent qu’ils vont faire une ONG et ils gardent l’argent pour eux»

Ainsi, devant le Kabul City Center, les badauds mal habillés sont refoulés. Impossible pour eux d’admirer le premier escalator installé dans le pays ou de venir se réchauffer à l’intérieur. «Je gagne 50 afghanis (1dollar) à cirer des chaussures, explique Najibullah, je ne peux pas nourrir mes six enfants, ils sont obligés d’aller mendier». Cet homme aux traits fatigués est rentré du Pakistan il y a quatre ans, comme des centaines de milliers de réfugiés dans l’espoir de trouver un travail, une maison, dans son pays qui connaissait enfin la paix. «Le gouvernement nous a promis une terre et on attend toujours», déplore-t-il.

Une cinquantaine de familles vit dans des conteneurs, sous des bâches plastique, le long d’une route au nord de Kaboul. Des camps de réfugiés comme celui-ci, la ville en compterait plus d’une dizaine. Essayant d’allumer un feu avec quelques morceaux de charbon -le thermomètre descend sous zéro chaque soir cet hiver-, Najibullah rêve tout haut d'être employé demain sur un chantier de construction à Shirpour. Dans ce quartier non loin du centre-ville, d’immenses villas sortent de terre. Colonnades, balcons forgés, un style très tape-à-l’œil : certains s’enrichissent et ne s’en cachent pas. «J’ai travaillé au ministère du Développement, explique Fauzia qui vend maintenant des sacs à main. J’ai vu comment certains utilisent l’aide pour se construire une maison, s’acheter une voiture. Ils disent qu’ils vont faire une ONG et ils gardent l’argent pour eux. Si ça continue comme cela, ce n’est pas la peine d’organiser cette conférence.»

500 dollars par habitant en 2015

Selon l’ONU, les 10 milliards de dollars d’aide civile accordés à l’Afghanistan depuis 2001  ont servi à construire 1  700 km de routes, à scolariser 6 millions d’enfants, à accueillir 4 millions de réfugiés et à organiser les élections. Mais selon différents observateurs, plus de 40% de l’aide serait perdue rien qu’en coût de fonctionnement. «Les donateurs sous-traitent à des ONG, qui sous-traitent à des entreprises ou des ONG locales qui bâclent le travail, analyse un cadre occidental sous couvert d’anonymat. On a du mal à trouver des Afghans formés et capables de gérer les programmes, et il n’y a aussi aucun contrôle a posteriori.» L’inefficacité de l’aide a pris une telle importance que le pacte pour l’Afghanistan qui doit être signé à Londres comporte une annexe complète sur le sujet, mais sans engagement précis.

Pour la Banque mondiale, les fonds doivent être confiés au gouvernement afghan, malgré la corruption et le manque de fonctionnaires. Plus des trois quarts lui échappent aujourd’hui. «Le retour rapide à une certaine normalité politique donne une légitimité aux Afghans pour prendre en main leur destin, analyse Jean Mazurelle, directeur de l’institution en Afghanistan. Mais les actions de développement sont longues et je crains que la population, égarée par les promesses d’aides importantes, pense qu’elle puisse atteindre un niveau de confort quotidien rapidement. Même avec 8-9% de croissance comme actuellement, on ne peut imaginer doubler les ressources du pays avant une dizaine d’années.» Soit 500 dollars par habitant en 2015, ce qui fera toujours de l’Afghanistan, l’un des pays les plus pauvres du monde.


par Anne  Le Troquer

Article publié le 31/01/2006 Dernière mise à jour le 31/01/2006 à 18:09 TU