Ligue arabe
Les Arabes sur la défensive à Khartoum
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial
Le sommet arabe de Khartoum semble acculé à observer une attitude défensive sur toutes les questions. On est loin du précédent sommet arabe accueilli par la capitale soudanaise en 1967. C’était le sommet des «non». Non aux négociations, non à la reconnaissance d’Israël et non à la paix. Aujourd’hui, c’est plutôt le sommet des «oui, mais». Le cas de l’Irak est le plus frappant. Certains pays qui réclamaient le départ des troupes d’occupation au lendemain de l’invasion de l’Irak en sont maintenant à penser que la présence de ces troupes est actuellement indispensable. Le plus urgent aujourd’hui est de contrer la montée en puissance de l’influence iranienne en Irak et pousse les responsables arabes à renforcer le projet de résolution.
Les Arabes sont d’autant plus préoccupés que le gouvernement irakien intérimaire cherche à lancer un dialogue américano-iranien sur l’Irak. Même si ce dialogue n’est pas encore acquis, son principe même affaibli l’arabité d’un Irak dont l’avenir serait décidé à Washington et Téhéran. C’est la raison pour laquelle le projet de résolution sur l’Irak insiste sur «le renforcement du rôle arabe dans l’avenir de l’Irak». Mais la résolution propose aussi des mesures concrètes. Elle appelle les Etats membres de la Ligue à renforcer leur présence diplomatique en faisant passer leur représentation au niveau des ambassadeurs avant la fin de l’année. La résolution projette aussi l’ouverture d’un bureau de la Ligue arabe à Bagdad. Une réponse positive aux critiques du ministre irakien des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, qui reprochait aux Arabes leur absence de la scène irakienne, et qui a ouvert la voie à la montée de l’influence iranienne. Défensive aussi sur la question palestinienne, le sommet va chercher à ne pas laisser Israël profiter de la victoire électorale du Hamas pour imposer des faits accomplis.
«Qu’ils commencent déjà par payer ce qu’ils avaient promis»
On en appellera donc à la communauté internationale ! Même l’aide supplémentaire proposée pour «combler le déficit de l’Autorité palestinienne et soutenir la résistance du peuple palestinien» est problématique. Khaled Mechal, le porte-parole du Hamas a demandé au sommet une aide de 170 millions de dollars par mois. 70 millions de plus que ce qu’a réclamé le ministre palestinien intérimaire du Trésor à Khartoum. «Qu’ils commencent déjà par payer ce qu’ils avaient promis au sommet arabe de Beyrouth», nous a déclaré, désabusé, un diplomate de la Ligue. Le projet de résolution rappelle d’ailleurs aux Etats arabes que beaucoup d’entre eux n’ont pas payé une partie ou la totalité de leur quote-part des 55 millions de dollars mensuels promis aux Palestiniens. Pour ce qui est de l’augmentation de l’aide, on propose des mécanismes, encore vagues, incluant les ONG et les fonds arabes de développement.
La situation n’est guère différente en ce qui concerne la crise du Darfour soudanais. Le monde arabe cherchera à jouer les prolongations pour la force africaine de maintien de la paix afin de contrer les pressions américaines sur l’ONU pour l’envoi de casques bleus. Une éventualité que le gouvernement soudanais a commencé par rejeter mais que, nolens volens, il sera forcé d’accepter «sur conseils amicaux des frères arabes». Ces derniers vont, en contrepartie, chercher à créer un fond de soutien financier à la force africaine qui manque dramatiquement de moyens. Ce n’est donc pas un hasard si les participants du sommet courtisent l’Afrique. Il faudra la bonne volonté des pays africains s’il faut augmenter les effectifs de la force de maintien de la paix et éviter les casques bleus. A un niveau plus anecdotique, le sommet sera le champ de bataille d’une guerre des tranchées, pour reprendre l’expression d’un journaliste libanais. Le président libanais et le chef du gouvernement ont emmené avec eux à Khartoum des dizaines de leurs supporters journalistes pour alimenter la guerre des ondes et des plumes. Il ne faut pas, non plus, oublier le bouillant colonel Kadhafi, l’enfant terrible des sommets arabes. On le dit s’apprêter à tirer à boulets rouges sur l’Irak, l’Arabie Saoudite et d’autres. Autant de raisons qui ont poussé plusieurs chefs d’Etat arabes à faire l’impasse sur le sommet de Khartoum, dont des poids lourds comme le président égyptien et le souverain d’Arabie Saoudite.
par Alexandre Buccianti
Article publié le 28/03/2006 Dernière mise à jour le 28/03/2006 à 11:36 TU