Proche-Orient
Confusion au Hamas sur la reconnaissance d’Israël
(Photo : AFP)
Tout est parti d’une lettre envoyée mardi au secrétaire général de l’ONU Kofi Annan par Mahmoud Zahar, le nouveau ministre palestinien des Affaires étrangères - l’un des principaux chefs du Hamas, considéré comme un dur. Le texte, distribué aux médias, contenait les passages suivants : « Nous souhaitons, comme tous les Etats du monde, vivre en liberté et en sécurité,(…) côte à côte avec nos voisins dans ce lieu saint du monde » . Puis, sans nommer explicitement Israël, le document l’accuse de saboter, par sa politique dans les territoires palestiniens, « tous les espoirs de parvenir à un règlement final et pacifique sur la base d'une solution prévoyant deux Etats. »
Interrogé, l'observateur palestinien aux Nations unies, Ryad Mansour, a déclaré au siège de l'Onu à New York que le choix des mots dans la lettre était effectivement « important », suggérant un infléchissement de la position du Hamas - dont l’objectif officiel est la destruction d’Israël - vers une reconnaissance implicite de l’Etat hébreu.
Quelques heures plus tard, probablement embarrassés par la publication de cette lettre, le ministère palestinien des Affaires étrangères et le Hamas démentaient la mention des « deux Etats ». Dans le communiqué officiel diffusé à Gaza par le service de presse de Mahmoud Zahar et largement repris mercredi par les journaux palestiniens, les phrases évoquant une solution à « deux Etats » et les termes « côte à côte avec nos voisins » ont été supprimés. Un porte-parole du ministre souhaitant garder l’anonymat a ensuite précisé que « Mahmoud Zahar a bien envoyé une lettre à Kofi Annan, mais il n’a pas reconnu Israël et n’a fait aucune mention du droit d’Israël à l’existence, ni ne l’a suggéré. »
Une « erreur »
Comment expliquer ces discordances survenant à quelques heures de la première réunion, ce mercredi, du gouvernement palestinien dominé par le Hamas ? Le conseil des ministres s’est en effet tenu en vidéo-conférence entre Gaza et Ramallah, en raison de l'interdiction faite par Israël à ses ministres de circuler. Simple maladresse ? C’est la version officielle. Mahmoud Zahar a déclaré à la télévision britannique BBC que la référence à une solution basée sur « deux Etats » était une « erreur » et que cela ne représentait pas la position du Hamas. Il a assuré avoir demandé que cette mention soit supprimée dans la version finale envoyée à Kofi Annan mais que « par erreur » elle avait été maintenue.
Certains observateurs envisagent d’autres possibilités. Il pourrait s’agir d’un ballon d’essai destiné à tester les réactions palestiniennes et internationales. Ou bien de la manifestation d’une lutte d’influence entre durs et modérés au sein du Hamas. Cette dernière explication est suggérée par une source proche du président palestinien Mahmoud Abbas : « Le Hamas est en train de vivre une période difficile, a-t-elle affirmé à l’AFP. Il y a un conflit entre la direction à l'intérieur (des territoires palestiniens) et celle en exil » représentée par le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, réfugiée à Damas.
Des caisses palestiniennes « complètement vides »
Face à la politique d’isolement international du Hamas menée par les Etats-Unis, Israël et l’Union européenne, face aussi aux difficultés financières de l’Autorité palestinienne, privée de certaines recettes douanières qu'Israël refuse de lui reverser, le mouvement islamiste serait en proie à des tensions. Le Quartet international, composé des Etats-Unis, de l'Union européenne, des Nations unies et de la Russie, menace de suspendre son aide directe à l'Autorité palestinienne si le Hamas ne reconnaît pas l'existence d'Israël, ne renonce pas à la violence et n'accepte pas les accords intérimaires de paix. Et le Premier ministre palestinien Ismaïl Haniyeh a admis mercredi, lors du conseil des ministres, avoir hérité de « caisses complètement vides en plus des dettes. Nous mettons en oeuvre tous nos efforts pour payer les fonctionnaires malgré la crise financière. »
Il est encore trop tôt pour dire si cette affaire, pour confuse qu’elle soit, peut marquer un tout début d’assouplissement de la position du Hamas à l’égard d’Israël. Toutefois, le Premier ministre palestinien Ismaïl Haniyeh a autorisé mercredi ses ministres à avoir des « contacts » avec Israël pour faciliter la vie quotidienne des Palestiniens. Il a aussi affirmé qu'il examinerait toute offre éventuelle de négociations politiques. « Rien n'empêche les ministres d'avoir des contacts avec les Israéliens pour suivre les dossiers liés à la vie quotidienne, au commerce et à l'économie », a-t-il déclaré à l'issue de la première réunion du cabinet.
« En ce qui concerne les négociations politiques, a-t-il ajouté, elles posent problème car elles s'inscrivent dans le cadre d'une vision politique. Nous attendons ce qui nous sera proposé, nous l'examinerons et arrêterons notre position. »
Côté israélien, si on a rapidement réagi à la révélation de la lettre, ça a été pour exprimer le plus grand scepticisme et n’y voir aucun progrès.« Dans cette lettre, le chef de la diplomatie palestinienne parle de coopération et de paix dans la région, mais il parle malheureusement de la région sans Israël, a affirmé le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères Marc Regev. Nulle part dans cette lettre, il ne mentionne l'existence d'Israël. Il évoque une carte régionale sans carte d'Israël. »
par Philippe Quillerier
Article publié le 05/04/2006 Dernière mise à jour le 05/04/2006 à 17:33 TU