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Proche-Orient

Les Israéliens renoncent au rêve du « Grand Israël »

« <em>Je suis prêt à renoncer au rêve d'un Grand Israël&nbsp;</em>» ont été les premiers mots d'Ehud Olmert à l'annonce de la courte victoire de Kadima, le parti créé il y a cinq mois par Ariel Sharon.(Photo : AFP)
« Je suis prêt à renoncer au rêve d'un Grand Israël » ont été les premiers mots d'Ehud Olmert à l'annonce de la courte victoire de Kadima, le parti créé il y a cinq mois par Ariel Sharon.
(Photo : AFP)
Autour de Kadima, vainqueurs des élections israéliennes, et des travaillistes, seconds, les calculs savants de la politique israélienne devraient bientôt accoucher d'une coalition, qui aura pour mission historique d'évacuer une grande partie des territoires palestiniens. La législature qui commence enterre définitivement le rêve du « Grand Israël ». Les Israéliens, comme les Palestiniens avant eux, ont avant tout voté pour améliorer leurs conditions de vie.

De notre correspondant à Jérusalem

C'est une nouvelle ère qui commence. Le monde ancien de la politique israélienne vient de disparaître avec l'acte final du « Big Bang » déclenché il y a cinq mois par Ariel Sharon et la création de son parti Kadima. « Je suis prêt à renoncer au rêve d'un Grand Israël. Nous sommes prêts à évacuer des juifs qui vivent dans des implantations » : les premiers mots du vainqueur, Ehud Olmert, referment un chapitre de l’histoire israélienne commencé en 1967 avec l’occupation des territoires palestiniens. « En dépit de l’apathie des électeurs (un record d’abstention de près de 40%), les résultats des élections 2006 ne sont rien moins qu’une révolution idéologique », a réagi Uri Savir, le directeur du Centre Pérès pour la Paix.

La victoire de Kadima prouve que les Israéliens ont donc définitivement abandonné la vision biblique d’un Israël s’étalant de la Méditerranée au Jourdain. Ils sont partisans de concessions territoriales, et ils donnent un blanc-seing à Ehud Olmert pour continuer dans la voie du retrait de Gaza, mis en œuvre l’été dernier. Il faut se souvenir que c’est l’un des hommes politiques les moins populaires d’Israël qui a été élu. Preuve que les Israéliens ont moins voté pour une personnalité, que pour une vision : la séparation d'avec les Palestiniens.

Dans les mois qui viennent, Ehud Olmert va donc mettre en place un plan pour évacuer près de la moitié des colonies de Cisjordanie, achever la barrière de séparation et renforcer les grands blocs d’implantation qu’il entend conserver. Une majorité sans appel des 120 nouveaux membres de la Knesset est en faveur de ce retrait, unilatéral ou négocié. Quant aux partisans du « Grand Israël », ils sont désavoués. La liste Union nationale, sorte de lobby des colons reste au même nombre de sièges (9). Ce qui fait dire au pacifiste Uri Avnery qu’« après tout le cinéma (…) de la destruction des colonies de Gaza, les colons restent aussi impopulaires que jamais. Ils ont perdus la bataille décisive de l’opinion publique. »

Mais la principale victime reste le Likoud, le grand parti de la droite nationaliste, qui contrôlait un tiers de la chambre sortante. Laminé, il rentre dans le rang (12 sièges). Il fallait voir la figure décomposée de Benyamin Nétanyahou, à l'annonce des résultats, pour comprendre l’ampleur du séisme. L’ancien Premier ministre avait transformé les élections en un référendum national sur le retrait de la Cisjordanie. La réponse est cinglante, c’est un « oui » massif.

Les colons eux-mêmes ne se font plus d’illusions

David Chapira, porte-parole du Conseil des implantations et habitant de Bet El, une localité collée à Ramallah, disait avant le scrutin : « Si les sondages ont raison, et si Kadima l’emporte, dans trois ou quatre ans nous sommes partis. »

Même le nouveau champion de la droite israélienne, la formation russophone Israël Beiténou (Israël Notre Maison, 11 sièges), défend une autre vision que celle de l’Israël biblique. Son chef aux vues extrémistes, Avigdor Lieberman, a « sa » solution pragmatique et concrète : il s’est fait l’apôtre d’un échange de terres et d’un « transfert » de populations en vue d’obtenir le plus grand Israël possible avec le moins d’Arabes en son sein.

Echec de l’utopie du Grand Israël, d’un côté, et du « processus de paix », de l’autre, les Israéliens ont rejeté des visions jugées dépassées. Ils ont dit leur souhait de goûter à la « normalité » d’une vie tranquille, sans avoir à se préoccuper de voisins dont on ne sait plus par quel bout les prendre. Sans craintes d’attentats. Mais également sans difficultés économiques. En votant pour les travaillistes et leur ancien leader syndical Amir Péretz, ou pour le surprenant Parti des retraités, les Israéliens veulent désormais s’occuper d’eux, de leurs salaires trop bas, de leurs allocations rognées, ou de leurs retraites insignifiantes. Quant aux Palestiniens, ces voisins dérangeants, ils souhaitent qu’on les tiennent à l’écart derrière un mur de séparation, et qu’ils se débrouillent tout seuls.

Etat hébreu et Palestine : choix de nouveaux dirigeants, pas forcément d’un avenir commun

A comparer le scrutin israélien avec les élections législatives palestiniennes de janvier dernier, il est frappant de constater une motivation similaire chez les votants. A deux mois d'intervalle, les deux peuples ont affiché dans un mouvement parallèle une envie de voir des solutions concrètes à leurs problèmes internes.

Les Palestiniens ont écarté des dirigeants jugés corrompus et inefficaces au profit des islamistes du Hamas, perçus, eux, comme des gens honnêtes et aptes à s'occuper des difficultés quotidiennes du peuple, ce qu'ils ont prouvé à travers leurs nombreuses associations caritatives.

En choisissant le Hamas contre le Fatah, ils ont clairement fait comprendre qu’ils n’espéraient rien des Israéliens. Et qu’ils préféraient choisir des élus qui amélioreraient leur vie de tous les jours, plutôt que des représentants s’empêtrant dans de vains pourparlers avec l’Etat hébreu. Même tendance chez les Israéliens. Ils tournent le dos aux Palestiniens, en demandant le divorce, pas forcément à l’amiable. Et ils aspirent à plus d’égalité sociale, au sein de leur société.

Fatigués de tant d'années de violence, lassés des plans de paix inefficients, les deux peuples se sont chacun repliés sur eux-mêmes. En quelques semaines, ils se sont ainsi choisi des nouveaux dirigeants, mais pas forcément un avenir commun.


par Xavier  Yvon

Article publié le 01/04/2006 Dernière mise à jour le 01/04/2006 à 11:49 TU