Santé
Les médecins préfèrent le Nord
(Photo : AFP)
L’Organisation mondiale de la santé estime qu’il manque 2,3 millions de médecins et d’infirmières dans les pays en développement. Selon le rapport publié par l’OMS à l’occasion de cette journée mondiale de la santé, 57 pays connaissent une « grave pénurie de personnel de santé », 36 sont situés en Afrique. Le manque de personnel a un effet direct sur la santé des habitants puisque des enfants ne sont pas vaccinés, des femmes enceintes ne sont pas soignées. Des maladies comme le sida, le paludisme et la tuberculose ne peuvent pas être traitées. Beaucoup de décès provoqués par les maladies infectieuses et les complications liées aux grossesses et aux accouchements pourraient être évités s’il y avait assez de personnel de santé. L’OMS chiffre à 1,3 milliard les personnes n’ayant pas accès aux soins de santé élémentaires, souvent faute de personnel médical. « Alors que la population mondiale augmente, le nombre de soignants reste stationnaire ou diminue là où l’on a le plus besoin d’eux », remarque le docteur Lee Jong-Wook, directeur général de l’OMS.
Près du quart des médecins formés en Afrique sub-saharienne partent travailler dans des pays industrialisés. Ces médecins sont attirés par des salaires plus intéressants. Le gain offert par un système de santé d’un pays du Nord est parfois quinze fois plus important. L’Organisation mondiale de la santé s’inquiète de cette tendance qui pourrait bien s’accentuer dans les décennies à venir : dans les pays riches, l’espérance de vie progresse et la demande en personnel de santé est en constante augmentation.
Actuellement, le taux d’émigration des médecins africains varie beaucoup d’un pays à un autre. S’il n’est que de 3% au Cameroun, il atteint 37% en Afrique du Sud. Ce pays, comme dans d’autres secteurs d’activité, compense les départs de ses ressortissants en faisant venir du personnel médical d’autres pays africains, notamment du Kenya.
Chez les infirmières, le même mouvement existe. Si le quart des médecins des pays en développement choisit l’exil volontaire, elles sont 5% en moyenne à faire de même. Les écarts, là encore, varient selon les pays. Moins de 1% des infirmières ougandaises quittent leur pays, mais elles sont 34% à le faire au Zimbabwe.
Une pénurie qui touche particulièrement l’Afrique
L’agence des Nations unies spécialisée dans les questions de santé estime que 59 millions de personnes travaillent dans le domaine de la santé. Mais ce personnel se concentre surtout dans les pays industrialisés, et plus particulièrement dans les villes. Le numerus clausus, manière de limiter le nombre de médecins formés, a été appliqué, dans les pays riches, sur des périodes trop longues. Il s’agissait de limiter le nombre d’étudiants dans une filière de formation coûteuse. Le résultat a créé une pénurie comme en France par exemple. Pour répondre aux besoins immédiats en attendant les effets d’un desserrage du numerus clausus, des médecins étrangers ont été sollicités, en France comme ailleurs. Et aujourd’hui, «les professionnels qualifiés sont de plus en plus nombreux à émigrer dans des pays plus nantis, pour un emploi mieux rémunéré », explique Timothy Evans, l’un des responsables de l’OMS. « Il est probable que ces pays attireront davantage de personnel étranger à mesure que leur population vieillira car elle aura besoin de soins chroniques », analyse encore ce responsable. Timothy Evans estime que la situation sera bien plus grave dans une quinzaine d’années. Il faut anticiper les besoins, « il y a pour l’instant peu de mesures prises en ce sens », explique-t-il.
Parmi les pays les plus touchés par le manque de médecins, se trouvent l’Inde, l’Indonésie, le Congo-Kinshasa, le Kenya, la Tanzanie, ou encore le Pérou. Dans certains cas, l’exode est même organisé par les gouvernements. Cuba, le Ghana, les Philippines, l’Indonésie, la Chine et plusieurs Etats indiens forment du personnel médical pour l’encourager à émigrer dans les pays voisins ou dans les pays développés. Danielle Grondin, de l’Organisation internationale des migrations (OIM), indique que « depuis le début des années 70, on trouve davantage d’infirmières philippines au Canada et aux Etats-Unis qu’aux Philippines ».
« Un milieu de travail décourageant » dans les pays d’origine, « des salaires de misère, un soutien insuffisant de la part de l’encadrement, un défaut de reconnaissance sociale et de faibles perspectives de carrière », toutes ces raisons poussent au départ bon nombre de soignants. Même si ces exils volontaires mettent dans une situation critique bon nombre de systèmes sanitaires, en général, le retour sur investissement est paradoxalement bénéfique pour le pays d’origine. Comme les autres, ces expatriés-là envoient une partie de leurs gains à leur famille restée au pays. La Banque centrale des Philippines estime que les sommes envoyées par les expatriés ont représenté 10% du Produit national brut (PNB) de l’archipel, en 2004.
L’Afrique noire est « l’épicentre de la crise mondiale qui frappe le personnel sanitaire », indique encore le rapport de l’OMS. En moyenne, il y a 2,3 travailleurs dans le domaine de la santé pour 1 000 personnes sur le continent africain, contre 18,9 en Europe et 24 en Amérique du Nord. Moins du tiers des budgets de santé, en Afrique, sont consacrés au personnel contre 42% en Europe. Pour l’OMS, dans les pays où la pénurie est actuellement la plus forte, il faudrait que 10 dollars par habitant et par an soient consacrés aux ressources humaines dans le domaine de la santé. A elle seule, l’Afrique représente 24% du total mondial de malades et ne dispose que de 3% du personnel sanitaire mondial.
L’OMS pointe également le rôle dévastateur de l’épidémie de sida. Le VIH prend les malades mais aussi les médecins et les infirmières qui les soignent. L’OMS met en garde les donateurs internationaux et les organisations non gouvernementales (ONG) contre une stratégie visant uniquement à soigner les maladies, sans conforter les systèmes de santé dans leur ensemble. De plus, « une infirmière qui travaille sur le sida peut gagner trois à quatre fois plus qu’une infirmière qui travaille dans un autre service dans le même établissement ». Ce décalage peut être déstabilisant pour les personnels, explique encore Tim Evans, le numéro deux de l’OMS.
Les pays du Nord les plus choisis par les médecins et les infirmières qui s’expatrient sont le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Canada. En France, 6% seulement des médecins qui exercent leur art viennent de pays en développement.
par Colette Thomas
Article publié le 07/04/2006 Dernière mise à jour le 07/04/2006 à 16:22 TU