Népal
Manifestations réprimées, régime ébranlé

(Photo : AFP)
La grève générale, initialement décidée de jeudi à dimanche, a été prorogée lundi 10 avril. Ce mouvement de protestation est organisé par les sept principaux partis politiques du pays, soutenus par la rébellion maoïste. Ils contestent la dérive du régime emmené par le roi Gyanendra et ils réclament le rétablissement de la démocratie. Mais les autorités ont choisi la manière forte pour écraser le mouvement : les manifestations sont interdites, des centaines d’opposants ont été arrêtées, le couvre-feu est en application. Ce week-end, trois personnes ont trouvé la mort lors d’affrontements avec les forces de l’ordre.
D’un peu partout dans le monde s’élèvent des voix pour dénoncer l’attitude du pouvoir à Katmandou. Dernier exemple en date : le gouvernement suisse, qui s’alarme des atteintes aux droits de l’Homme, au Népal. Mais outre la Confédération helvétique, c’est toute la communauté internationale qui manifeste sa préoccupation face à la situation qui prévaut dans le petit royaume himalayen.
Le roi Gyanendra, qui a succédé à son frère en 2001, est en butte à une opposition assez large qui dénonce l’absence de démocratie dans le pays. Cette contestation a pris encore plus d’ampleur, depuis le 1er février 2005, lorsque le souverain s’est octroyé les pleins pouvoirs. Pour de nombreux leaders politiques, il s’agissait ni plus ni moins d’un coup de force. Plusieurs manifestations populaires ont été organisées ces derniers mois dans les rues de la capitale Katmandou et dans les principales villes du pays. Mais ces manifestations ont systématiquement été réprimées par les autorités du pays.
Les formations d’opposition se sont alors unies au sein d’une plate-forme appelée «Alliance des sept partis». Elles ont conclu à la mi-mars un accord avec le mouvement de rébellion maoïste, actif depuis une dizaine d’années. Au terme de cette accord, les parties s’engageaient à descendre pacifiquement dans les rues, le 8 avril, pour protester contre le roi Gyanendra.
Cette date du 8 avril 2006 n’était pas fortuite. Elle représente l’anniversaire de l’instauration du pluralisme dans le pays, le 8 avril 1990. A l’issue de plusieurs journées de violentes manifestations, le roi de l’époque avait accepté d’assouplir son régime et d’autoriser le multipartisme. Seize ans plus tard, les partis d’opposition, constatant de graves replis en matière démocratique, avaient donc choisi de redescendre dans la rue.
Grève, manifestations, répression
«L’alliance des sept partis» et la rébellion maoïste ont convenu de mettre en place une opération «pays mort», à travers un mot d’ordre de grève générale. Cette grève a commencé jeudi 6 avril et devait initialement durer jusqu’à dimanche. Parallèlement, la population était appelée à descendre dans la rue, avec un grand rassemblement prévu samedi 8 avril. Mais le pouvoir royal a choisi de répondre à cette contestation par la force. Interdictions de réunions publiques, rafles massives dans les rangs de l’opposition. Et, pour dissuader encore plus les manifestants à sortir de chez eux, le roi a décidé d’appliquer le couvre-feu, la nuit et le jour. Ainsi, des centaines de militaires patrouillent dans la capitale et dans les grandes villes. Mais cela n’a pas empêché des contestataires de braver l’interdit. D’où de violents affrontements à coups de pierre côté manifestants et à coup de gaz lacrymogènes côté forces de l’ordre.
Face à cette forte escalade de la tension, et en raison du couvre-feu décrété par les autorités pour la journée de samedi, les responsables de «L’alliance des sept partis» ont préféré reporter à dimanche la manifestation prévue la veille. Réponse du roi : le couvre-feu est prolongé. Des rassemblements se sont quand même tenus. Et comme la veille, cela a dégénéré en violence. Le ministre de l’Intérieur avait prévenu par le biais d’une intervention dans les médias d’Etat : «Si quelqu’un sort de sa maison en dépit du couvre-feu, le personnel de sécurité fera d’abord une sommation de s’arrêter. Mais si la personne n’obéit pas à la sommation, le personnel de sécurité pourra tirer sur elle». Et c’est ce qui s’est passé. Trois manifestants sont morts au cours du week-end. D’après les autorités, ils ont été tués alors que les forces de l’ordre tentaient d’éviter des pillages.
«Nous continuerons jusqu’à ce que nous réussissions»
Le bilan de ces journées de manifestations populaires se solde, outre les trois décès, par plus d’un millier d’arrestations. Mais, pour autant, cela ne tempère pas la détermination des opposants, qui ont reconduit leur mouvement ce lundi. «Les gens ne se laisseront pas intimider, a ainsi déclaré à l’agence Reuters Arjun Narsinght KC, dirigeant du Congrès népalais, premier parti politique. Cela montre que le régime est déjà défait. (…) Nous continuerons jusqu’à ce que nous réussissions. Nos manifestations ne cesserons pas».
De leur côté, les rebelles maoïstes ont annoncé ce dimanche soir un blocus des principales routes du pays. Dans un communiqué, le chef de cette rébellion affirme que «la population sera mobilisée pour ne plus payer les impôts au régime royale». Pour les autorités, le mouvement maoïste est considéré comme terroriste. Et estimant que «le programme des contestations en cours est clairement celui des maoïstes», pour reprendre les termes du ministre népalais de l’Intérieur Kamal Thapa, le pouvoir royal justifie le recours aux mesures de répression.
Reste que le pouvoir du roi Gyanendra semble durablement ébranlé par ces manifestations, et leur impact va bien au-delà des frontières du royaume. «Jusqu’à présent, analyse un confrère du journal en ligne Nepali Times, le roi avait un seul ennemi (la rébellion, NDLR). Maintenant, il en compte au moins trois : les Maoïstes, les partis politiques et la communauté internationale». Et notre confrère se fait même l’écho des interrogations qui agitent les partisans du régime monarchique : certains se demandent aujourd’hui «comment empêcher la monarchie de sombrer avec le roi».
par Olivier Péguy
Article publié le 10/04/2006 Dernière mise à jour le 10/04/2006 à 17:45 TU