Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Tchad

Rebelles d’hier à demain

Armes saisies par les forces gouvernementales après l'offensive rebelle du 13 avril à N'Djamena.(Photo : AFP)
Armes saisies par les forces gouvernementales après l'offensive rebelle du 13 avril à N'Djamena.
(Photo : AFP)

Après la Libye, jusque dans les années quatre-vingt-dix, le Darfour soudanais est à la croisée des rébellions tchadiennes qui ont fait irruption dans le paysage politico-militaire du Tchad l’année dernière: le Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie (Scud), formé en octobre 2005, et le Front uni pour le changement (FUC), en décembre suivant. Rien ne prédispose à l’unité ces deux rébellions, la première émanant d’une dissidence du clan zaghawa au pouvoir, la seconde sortant armée du giron soudanais. Reste l’offensive ratée du FUC, la semaine dernière. Elle a fait électrochoc, réveillant d’autres rébellions aux quatre coins du pays et interrogeant aussi plus largement l’opposition non-armée au président Deby.


«Plusieurs arabes qui avaient des responsabilités au sein de l'armée tchadienne ont fait défection après l'attaque de jeudi» dernier, admettent des sources militaires gouvernementales à N’Djamena. Visiblement, le distinguo ethnique vise à suggérer un déficit de loyauté. Au Tchad, la classification identitaire arabe désigne des immigrés installés depuis des siècles dans l’orbite de sultanats très bien documentés, mais aussi des population dont l’arabité paraît plus culturelle qu’ethnique. Reste que le déficit d’Etat et de communication n’est pas facteur d’unité dans l’immensité tchadienne (1 284 000 kilomètres carrés).

Le SCUD: une dissidence zaghawa du clan Deby

Comme chacun des autres mouvements politico-militaires, le FUC a lui aussi tiré profit des lignes de failles réelles ou supposées. Il revendique le ralliement des derniers déserteurs, une «dizaine d’officiers supérieurs», selon lui, «des gens avec qui on était en contact depuis un certain temps et qui nous ont rejoints à l'occasion de la bataille de N'Djamena». Mais aujourd’hui, il n’est plus vraiment déterminant pour le régime Deby que ces déserteurs soient effectivement arabes ou bien qu’ils soient zaghawa, comme le noyau dur du pouvoir.

De fait, Idriss Deby a perdu un important carré de fidèles avec l’hémorragie zaghawa qui a gonflé les rangs du SCUD. Quant aux arabes du FUC, sous l’aile tama et donc nullement arabe de leur chef, le capitaine Mahamat Nour, ils participent à un mouvement armé composite dont le seul mot d’ordre, «renverser Deby», ne manque pas de faire écho au Tchad, même si son parrain soudanais pose question aux plus politisés.

Le FUC: une rébellion composite patronnée par Khartoum

Avant d’organiser sa nouvelle mouvance militaire sous la bannière FUC, grâce à des subsides soudanais, le capitaine Mahamat Nour servait déjà les intérêts de Khartoum au Darfour où les communautés transfrontalières apparentées aux zaghawa font cause commune avec les rébellions soudanaises apparues en février 2003. Bien qu’étant lui-même tama, une communauté négro-africaine, Mahamat Nour a choisi le camp arabe, par intérêt tactique. Le régime zaghawa de N’Djamena lui déplait autant qu’à Khartoum.

Comme beaucoup d’opposants tchadiens réfugiés dans le Darfour soudanais depuis des lustres, Mahamat Nour, a franchi la frontière orientale du Tchad en 1994, à la tête d’un Rassemblement pour la démocratie et la liberté (RDL) essentiellement tama. Sur place, il a ensuite pris la succession de l’un de ses anciens chefs de file politico-militaire, un autre ex-rebelle tama, le colonel Mahamat Garfa, chef d’une Alliance nationale de la résistance (ANR). Ancien chef d’état-major de l’armée tchadienne dans les années quatre-vingt-dix, Garfa s’est en effet rabiboché avec Idriss Deby en 2003. Nour a repris au Darfour sa bannière ANR et ceux de ses hommes qui n’ont pas suivi Garfa.

Tama et arabes contre Zaghawa

Les Tama ne suffisant pas à faire une armée, le capitaine Nour a beaucoup recruté parmi les opposants arabes, hostiles comme lui au pouvoir zaghawa d’Idriss Deby, par atavisme ou par choix politique. Mouvement gigogne fait d’allers et retours, à l’image des multiples alliances et défections politico-militaires de ces quarante années d’indépendance tchadienne, le FUC a pour principal ciment sa détermination affichée de chasser le clan Deby du pouvoir. Ce credo ne facilite pas ses relations avec la rébellion du SCUD qui répond globalement aux jumeaux Erdimi, des neveux d’Idriss Deby, des ex-magnats du coton et du pétrole tchadien. En outre, l’allégeance du FUC au Soudan et la vocation «naturelle» du SCUD à restaurer un régime zaghawa au Tchad font hésiter à entrer dans la danse rebelle les autres partisans d’une alternance à N’Djamena.

En dépit de son péché originel soudanais, le FUC ne désespère pas de capitaliser les espoirs de changement. En dépit de son échec à déjouer les renseignements français et malgré le bilan désastreux de ses pertes humaines et matérielles, son offensive spectaculaire a frappé les esprits. La gestation du FUC n’est pas terminée. Mercredi, le ministère français des Affaires étrangères a rejeté l’idée d’une rencontre suggérée dans un courrier reçu de l'opposition tchadienne. Le texte demandait audience afin de «connaître le rôle exact de l'armée française à N'Djamena, d’obtenir des explications sur les tirs, jeudi dernier, de la part de Mirage F1 français et de prendre des mesures conjointes pour éviter le risque d'une confrontation entre la résistance populaire et les troupes françaises».

Des Nordistes en renfort du FUC

Le courrier adressé à Paris, se réclame d’une «résistance unie» associant au FUC le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT), une scission du groupe armé toubou jadis dirigé par le Nordiste du Tibesti, Youssouf Togoïmi. Mais Youssouf Togoïmi est mort à Tripoli, en 2002, avant d’avoir pu profiter de l’amnistie conclue avec Idriss Deby comme l’ont fait à l’époque nombre de ses partisans. Les autres se sont recyclés dans les rangs d’un autre seigneur de la guerre nordiste, Goukouni Oueddeï, qui avait pris le pouvoir à la fin des années soixante-dix, avec l’appui de la Libye, avant d’en être chassé par Hissène Habré, en 1982. Aujourd’hui, Oueddeï stigmatise Deby comme une créature de Paris. Il se déclare aussi «très pessimiste quant à une possible chute du régime» en raison des divisions de l’opposition politico-militaire.

Pour N’djamena, mais aussi pour Paris qui, depuis l’indépendance en 1960, a fait obstacle ou laissé faire les rebelles - Idriss Deby en particulier, en décembre 1990 -, le danger est longtemps venu du Nord et des 1 055 kilomètres de frontières avec la Libye qui a continué de revendiquer la bande d’Aouzou jusqu’en 1994. Aujourd’hui, Tripoli se voit en médiateur, entre Khartoum et N’Djamena..

Les rebelles sont passés par la Centrafrique

Au Sud-Ouest, côté Cameroun, les 1 094 kilomètres de frontières ne sont pas non plus infranchissables. Mais le Cameroun et le Tchad partagent aujourd’hui un destin pétrolier, avec l’oléoduc qui débouche dans le golfe de Guinée où règne leur voisin nigérian. Aujourd’hui, les frontières les plus sensibles sont celles qui séparent le Tchad du Soudan (1 360 kilomètres), à l’est, et de la Centrafrique (1 197 kilomètres), au sud-est.

Le Sud-Est reste le théâtre des opérations militaires en cours. Le week-end dernier, par exemple, des accrochages ont été signalés dans la région de Sahr, où les avions français ont transporté des troupes tchadiennes, à une centaine de kilomètres de la Centrafrique. D’après Bangui, une colonne du FUC est passée à deux reprises sur le territoire centrafricain, les 8 et 9 avril dernier, avant de partir à l’assaut de N’Djamena.

Les codos de Miskine

A Bangui, le général François Bozizé s’inquiète. Mardi, il a limogé son ambassadeur au Soudan, Pierre-Benjamin N'Grégaye, qu’il soupçonne de collusion avec le président déchu, Ange-Félix Patassé, en exil au Togo. Patassé figure régulièrement au banc des accusés dans les opérations de banditisme ou de rébellion signalées jour après jour aux confins nord du pays. Or Bozizé a chassé Patassé du pouvoir en mars 2003 grâce à l’aide militaire d’Idriss Deby.

Entre autres mauvaises manières faites à Idriss Deby, Patassé avait enrôlé l’un de ses opposants, Abdoulaye Miskine, un ancien lieutenant du défunt rebelle tchadien Laokin Bardé (assassiné en 1998). Les «codos» de Miskine intégrés dans la «force spéciale» de Patassé, Idriss Deby n’a eu de cesse de renverser son voisin du Sud. En 2001, il a offert le gîte et le couvert, mais aussi des armes et des hommes à l’ancien chef d’état-major des Forces armées centrafricaines, le général François Bozizé, en disgrâce auprès de Patassé.

En 1997, déjà, Idriss Deby avait aidé l’actuel président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso à renverser l’ancien président Pascal Lissouba. Ces expéditions régionales n’ont jamais affecté les relations franco-tchadiennes. Pourtant, même à compter aussi sur François Bozizé à Bangui ou sur Denis Sassou Nguesso à la présidence de l’Union africaine, il n’est pas sûr que le bon soldat Deby fasse le poids face à Khartoum, à ses alliés tchadiens et aux opposants civils et militaires qui attendent leur heure au Tchad, au moment où les enjeux pétroliers internationaux menacent de bousculer l’échiquier politique tchadien.


par Monique  Mas

Article publié le 19/04/2006 Dernière mise à jour le 19/04/2006 à 17:28 TU