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Tchad

Entre Khartoum et N’Djamena, le Darfour

N’Djamena accuse Khartoum d'armer les rebelles et rompt ses relations avec le Soudan.(Carte : RFI)
N’Djamena accuse Khartoum d'armer les rebelles et rompt ses relations avec le Soudan.
(Carte : RFI)

Vendredi, en revendiquant un bilan triomphal contre les rebelles entrés jeudi matin à N’Djamena, le président Deby a «décidé la rupture unilatérale des relations avec le Soudan, qui continue d'armer des mercenaires contre le régime tchadien». Bien sûr, Khartoum dément, le ministre soudanais des Affaires étrangères répétant que «ce qui se passe au Tchad est une affaire interne». Il n’en reste pas moins que l’offensive spectaculaire du Front uni pour le changement (FUC) de Mahamat Nour a laissé derrière elle suffisamment d’armes de fabrication chinoise pour que N’Djamena pointe la main de Khartoum. Lui-même en proie à une rébellion zaghawa au Darfour, le Soudan s’intéresse de très près à la dislocation du pouvoir zaghawa d’un Idriss Deby plus que jamais sensible aux alliances communautaires.


Selon les rebelles tchadiens, tous bords confondus, des rebelles soudanais à majorité zaghawa du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et de l’Armée de libération du Soudan (ALS) auraient prêté main forte à l’armée gouvernementale tchadienne pour reprendre Adré au FUC. Ce serait en effet une manière de remplir le tonneau des Danaïdes zaghawa qui menace de décomposition le régime Deby. Ce dernier est en effet en proie depuis des mois à une dissidence qui a vu, notamment, le départ des jumeaux Erdimi, Tom et Timan, neveux jadis tout puissants du président et désormais à la tête d’un énième mouvement politico-militaire, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD).

De sa lointaine base aux confins du Soudan et de la Centrafrique, où a été programmée l’offensive du FUC, un opposant de longue date comme Adoun Yacoub, par exemple, a sans doute davantage de bouteille politico-militaire que le capitaine Nour. Il reste toutefois difficile d’expliquer la stratégie exacte qui a présidé à la marche sur N’Djamena, sauf à croire qu’elle a été lancée dans l’euphorie des livraisons de matériel militaire dont rien n’indique qu’il ait pu être auto-financé. Quoi qu’il en soit, à moins d’avoir obtenu des garanties contraires, les rebelles ne pouvaient pas ignorer que leurs mouvements de troupes sont sous la surveillance aérienne du dispositif militaire français Epervier qui communique ces renseignements à Idriss Deby.

Le pouvoir zaghawa de N'Djamena dérange les plans du Soudan au Darfour

Entrer dans N’Djamena «pour faire cliqueter les fusils» était une entreprise absurde, critique Timan Erdimi. Faire cavalier seul était «une erreur stratégique», ajoute le chef du RFD. «Le FUC opère au Sud et nous au Centre-Est», il faut organiser une stratégie commune, conclut-il. Reste que le Tama Mahamat Nour et sa mouvance arabe n’ont guère d’affinités avec la dissidence zaghawa du régime Deby. Les parrains du FUC le considèrent d’ailleurs justement comme une machine de guerre contre un pouvoir zaghawa qui dérange leurs plans au Darfour.

A la naissance des rébellions soudanaises du Darfour, en février 2003, Idriss Deby avait affiché une certaine résistance à la solidarité exprimée par son propre état-major. Depuis, le régime Deby en est à compter ses hommes sûrs et à battre le rappel, là où il le peut, selon l’adage «l’ennemi de mon ennemi est mon ami». Et cela, même si ce n’est plus vraiment le cas dans le nœud politico-militaire du Tchad. En effet, de l’autre côté de la frontière, Khartoum tire aussi ses ficelles byzantines, laissant un droit de passage aux troupes tchadiennes, en mars dernier par exemple, quant il s’est agi de pourchasser les Zaghawa du Socle pour le changement, l’unité et la démocratie (SCUD).

Comme il est de tradition, la valse des bilans militaires se poursuit, le ministre de l'Administration du territoire tchadien, le général Mahamat Ali Abdallah, déclarant 370 morts chez les rebelles du FUC et une trentaine dans les rangs de l'armée régulière. Selon ses chiffres, celle-ci aurait fait 287 prisonniers rebelles à N’Djamena. A Adré, le général Abdallah annonce 150 rebelles tués et 6 soldats gouvernementaux. Dans le camp adverse, le conseiller politique du FUC, Issa Moussa reconnaît seulement un bilan de 7 morts et de 25 blessés.

Selon Paris, «La situation est assez délicate en ce moment» au Tchad

Issa Moussa affirme que le FUC a fait plusieurs dizaines de morts dans l’armée gouvernementale et qu’il a détruit deux chars et pris un véhicule équipé d’un canon de 106. Il accuse encore l’armée française d’être intervenue dans la bataille d’Adré. Paris dément, le ministère de la Défense admettant toutefois qu’un C-160 français a fait deux rotations jeudi soir et vendredi matin pour convoyer une quarantaine de soldats tchadiens ainsi que du matériel militaire vers Sahr, à quelque 500 kilomètres de la capitale, à une centaine de kilomètres de la frontière centrafricaine. Ce transport de troupes sur le théâtre des opérations a été effectué en vertu du «soutien logistique accordé par la France au Tchad» dans le cadre de l’accord de coopération militaire de 1976.

«La situation est assez délicate en ce moment», déclarait vendredi le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères, Denis Simonneau, qui n’a pas souhaité s’avancer à certifier que les rebelles ont été poussés par-dessus la frontière. Pour autant, les experts du dispositif Epervier sont sans doute les seuls à pouvoir cartographier la situation militaire actuelle de l’immense Tchad. Pour sa part, Idriss Deby chante victoire à N’Djamena où Paris ne semble pas envisager de possible alternative au pouvoir, à la différence de Khartoum et, bien sûr, des concurrents armés du tenant du titre présidentiel.

Si ces rebelles en tous genres lui laissent tenir le semblant d’élection prévu le 3 mai, Idriss Deby pourra se prévaloir d’un nouveau mandat présidentiel enlevé de guerre lasse à défaut de véritable adversaire en lice puisque l’opposition non armée appelle au boycott. Le Tchad n’en aura pas pour autant fini avec ses tourments intestins. Et pour l’ancien rebelle Idriss Deby ressorti armé de l’Ouest soudanais en décembre 1990 après des mois d’exil, entre Khartoum et N’Djamena, restera le Darfour.


par Monique  Mas

Article publié le 14/04/2006 Dernière mise à jour le 14/04/2006 à 18:59 TU

Audio

Issa Moussa

Conseiller politique du FUC

«La ville d'Adré, nous l'avons conquise, mais Idriss Deby a demandé le secours des rebelles soudanais et des militaires français qui sont venus bombarder nos positions.»

[14/04/2006]

Bichara Issa Djadallah

Le ministre tchadien de la Défense

«Nous n'avons pas besoin de prendre d'autres rébellions pour combattre notre rébellion.»

[14/04/2006]

Timane Erdimi

Chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD)

«Le FUC a fait cavalier seul. Ce n'est pas payant. Nous proposons une stratégie commune.»

[14/04/2006]

Colonel Gérard Dubois

Chef de la cellule communication à l'Etat-major des armées françaises

«Il n'y a pas de déploiment à l'extérieur des bases de l'armée française»

[13/04/2006]

Christophe Boisbouvier

Journaliste au service Afrique de RFI

«Il y a seize ans, quand le rebelle Idriss Deby a lancé ses forces sur N’Djamena les Français ont refusé de donner les photos de ses positions au président de l’époque, Hissène Habré.»

[14/04/2006]

Philippe Leymarie

Journaliste à RFI

«La légitimation qui est invoquée pour justifier le stationnement des soldats français est un souci humanitaire.»

[14/04/2006]

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