Tchad
N’Djamena faussement calme
Trois jours après les violents combats qui se sont déroulés à N’Djamena, la population reste sous tension. Plusieurs quartiers périphériques ont été dépeuplés. La Ligue tchadienne des droits de l’Homme s’inquiète des menaces qui pèsent sur les libertés individuelles et en appelle aux forces politiques et sociales pour trouver un consensus rapidement.
De notre correspondante à N’Djamena
Au bout d’une piste poussiéreuse, quelques cases en terre vidées de leurs habitants. A deux ou trois kilomètres du goudron sur l’axe nord-est de la capitale, les habitants des quartiers périphériques touchés par les combats ne cachent pas leur inquiétude, même si le ton est celui de la résignation. Jérôme, père de deux enfants, montre sa maison et raconte ce qu’il a vu jeudi. «J’ai dit à mes enfants de se cacher. Je suis sorti vers 7h30 quand les tirs ont éclaté. Nous avons vu des gens en treillis courir, des véhicules de l’armée tchadienne à leur poursuite. Nous ne savons même pas qui est rebelle et qui est soldat». Sa voisine, une jeune mère, a été blessée à la cuisse par une balle perdue alors qu’un homme tentait de se réfugier chez elle pour échapper aux soldats tchadiens. «On lui a donné quelques médicaments de base à l’église de son quartier, mais son mari sans travail, n’a pas les moyens de la conduire à l’hôpital», témoigne un des voisins.
Un peu plus loin, un large espace de sable retourné signale la présence d’une fosse commune creusée par les services de la mairie. Des bennes sont venues ramasser les cadavres, vingt-quatre heures après les combats. Deux organisations non-gouvernementales, la Croix-Rouge et Médecins sans frontières, ont sillonné les rues pour rechercher des blessés qui n’auraient pas pu se déplacer ou se signaler. Selon les derniers bilans, on compterait une centaine de blessés civils, répartis dans les hôpitaux de la capitale, souvent bondés et sans structure adéquate.
La guerre de la communication
La capitale a retrouvé ses habitudes. Les restaurants ont ouvert à nouveau vendredi soir, les salons de thé, les bars étaient fréquentés presque comme si de rien n’était. Un apaisement qui n’empêche pas la tension et l’incertitude pour les prochains jours. Des véhicules militaires circulent, nombreux, dans la capitale. Sur plusieurs axes, des troupes sont postées pour continuer à ratisser les endroits où des rebelles pourraient s’être dissimulés.
La guerre physique a cédé la place à la guerre de la communication. Des armes, des véhicules récupérés dans les rangs des rebelles et plusieurs dizaines de prisonniers ont été exhibés à la foule et à la presse vendredi dans la journée. «Vous voyez devant vous ces prisonniers, a déclaré le président tchadien sur la place de l’Indépendance qui fait face au Palais rose, le palais présidentiel. Ce sont des enfants soudanais, des enfants africains recrutés par le gouvernement soudanais. Nous n'avons pas à faire à une rébellion tchadienne, mais à des Soudanais». Le chef de l’Etat a donc annoncé la rupture des relations avec le Soudan et menacé de chasser les 200 000 réfugiés soudanais à l’est du Tchad «si aucune solution n’est trouvée par la communauté internationale avant le mois de juin».
«Nous les citoyens, (…) on voudrait seulement la paix»
Ces discours politiques, que ce soit dans la bouche du gouvernement ou de la rébellion, sonnent souvent creux à l’oreille des habitants qui tentent surtout de survivre au quotidien. «Nous les citoyens, sans armes, on attend seulement la mort, alors qu’on voudrait seulement la paix», murmure un vieil homme. La paix et la réconciliation, c’est le sens de l’appel lancé par la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) qui s’inquiète de l’insécurité grandissante. «Des maisons brûlées, des arrestations arbitraires, des enlèvements et séquestrations dont les dernières victimes recensées sont Eliakim Vanambil, journaliste de FM Liberté et René Dillah, journaliste à la radio nationale et correspondant de la BBC», dénonce Massalbaye Tenebaye, le président de la LTDH. Ces deux journalistes ont finalement été relâchés, a annoncé ce dimanche l'association Reporters sans frontières.
En tout cas, le leader de l’ONG de défense des droits de l’Homme assure qu’une certaine psychose s’est installée dans la ville, «en état de siège». «Nous craignons des règlements de compte. Nous avons activé nos cellules pour recueillir des éléments». De nombreux habitants se sont réfugiés au centre-ville chez des parents, la peur au ventre. La Ligue en appelle aux politiques pour trouver un consensus par le dialogue et demande à la France de «s’abstenir de s’ingérer dans les affaires intérieures du Tchad au risque de creuser davantage la division et d’attiser le sentiment anti-français comme en Côte d’Ivoire».
par Stéphanie Braquehais
Article publié le 15/04/2006 Dernière mise à jour le 15/04/2006 à 17:29 TU