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Tchad

La longue marche des déplacés de l'Est

Peur et survie difficile pour les réfugiés tchadiens à la frontière soudanaise. (Photo : AFP)
Peur et survie difficile pour les réfugiés tchadiens à la frontière soudanaise.
(Photo : AFP)
Ces deux derniers mois, les miliciens arabes djandjawid venus du Soudan harcelaient déjà sans répit les villageois de l'est du Tchad et les quelque 200 000 réfugiés du Darfour soudanais avec lesquels ils cohabitent depuis 2003. Début avril, l'offensive des rebelles tchadiens a provoqué de nouveaux déplacements de population aux confins frontaliers du Tchad. Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) en recense quelque 50 000 dont 6 000 ont franchi la frontière soudanaise pour se réfugier au Darfour.

De notre envoyée spéciale à Goz Beïda

Un voile jaune enroulé autour du corps maigre de Khadidja cache presque le bébé en pleurs et malade qu’elle tient dans ses bras. Elle a fui son village il y a deux mois et s’est réfugiée à Goz Beïda, à une centaine de kilomètres de la frontière soudanaise. La population de cette bourgade a doublé en quelques semaines, puisque 9 000 déplacés tchadiens tentent actuellement d’y survivre alors que la zone accueillait déjà, depuis 2004, 13 000 réfugiés soudanais. Khadidja et sa famille ont marché quatre jours pour parcourir plusieurs dizaines de kilomètres. Ils n’avaient plus assez d’argent pour se payer des places dans les camions des commerçants. Les prix montent en flèche au rythme de l’insécurité. Pour un sac de mil transporté, il faut payer un sac au chauffeur ! Le trafic devient florissant, les villageois tentant de sauver ce qui leur reste après s’être fait délester de leurs têtes de bétail.

La peur des djandjawid

«Je ne veux pas retourner là-bas. Mon mari, lui, est resté, mais nous avons peur des djandjawid», murmure la jeune femme en baissant les yeux. «Djandjawid», le mot est sur toutes les lèvres. Depuis deux mois, ces cavaliers armés, venus du Soudan ou du Tchad à cheval ou à dos de chameau, ne cessent de mener des assauts en territoire tchadien, parfois à 50 ou 100 kilomètres de la frontière. «Ce sont des miliciens armés par le Soudan. Ils ont toujours terrorisé les populations au Soudan et profitent désormais de la confusion à l’est du Tchad et de l’absence des forces gouvernementales pour prendre leur butin», estime un natif de Goz Beïda.

La semaine dernière, juste avant les combats de N’Djamena, une colonne de rebelles est passée par la localité de Koukou à une quarantaine de kilomètres de Goz Beïda, s’emparant de tous les moyens de communication des organisations humanitaires. Depuis, les attaques se sont multipliées. Si le chef des rebelles du Front uni pour le changement, la rébellion en activité au Tchad, est manifestement soutenu par Khartoum, il est difficile de définir précisément ses liens avec ces djandjawid. «Lorsque les rebelles sont arrivés au bureau du HCR à Koukou, raconte un chauffeur de l’organisation des Nations unies, ils se sont plutôt bien comportés et ont montré qu’ils ne voulaient pas faire mourir les civils ». Ce n’est pas le cas de ces milices. Elles s’en prennent à des populations sans défense, «qui n’ont que des couteaux ou des sagaies pour défendre leur bétail», ajoute-t-il.

Survie difficile

Une dizaine de villageois sont actuellement soignés à l’hôpital de Goz Beïda. Un jeune homme blessé à la jambe se met en colère. «Nous avons perdu tout notre bétail dans une première attaque. Puis, ils sont revenus les jours suivants alors que nous tentions d’enterrer nos morts.» Un peu plus loin, des gémissements: «Une balle a traversé son cou. Il tentait d’empêcher les assaillants de prendre le bétail d’un de ses frères. Ils lui ont tiré dessus», explique un des infirmiers.

Sur une zone de plus de deux kilomètres de long, les déplacés ont construit comme ils le pouvaient des cases en paille pour s’abriter provisoirement. Selon le HCR, ils ont encore des vivres pour un mois. Ensuite, ils n’auront plus rien et seront totalement dépendants de l’aide humanitaire aujourd’hui destinée aux réfugiés soudanais. De plus, la saison des pluies arrive à grands pas et la paille est insuffisante pour se protéger.

Sur place, l'organisation Médecins Sans Frontières-France cherche à creuser des puits pour abreuver le bétail qui reste. Mais la zone est sèche, l’eau est rare et il faudra partir s’installer dans les cinq villages choisis en partenariat avec les autorités locales. Le sultan de Goz Beïda, Seïd Brahim Mustafa, tente d’expliquer aux réfugiés que ces contraintes géologiques vont les obliger à plier bagage une fois de plus. Pour ces villageois, l’idée même de tout recommencer est insupportable.

«Nous n’avons plus une corde pour fabriquer un abri et vous voulez encore nous faire partir ailleurs. Nous errons de village en village depuis cinquante jours, nous sommes épuisés, personne ne nous aide», se lamente un chef de village effondré.

par Stéphanie  Braquehais

Article publié le 21/04/2006 Dernière mise à jour le 21/04/2006 à 16:39 TU