Algérie - France
La guerre des mots s'envenime
(Photo : AFP)
Le président algérien Abdelaziz Bouteflika est rentré à Alger après un bref séjour dans un hôpital militaire de la capitale française. Cette visite privée et médicale a été abondamment commentée de part et d’autre de la Méditerranée, d’autant qu’elle intervient en pleine période de vifs débats sur le rôle de la France durant la colonisation. Il y a une semaine, le chef de l’Etat algérien avait dénoncé un «génocide de l’identité» algérienne par la puissance coloniale française entre 1830 et 1962. Pour les observateurs, les cicatrices du passé sont loin d’être refermées, et la perspective de la signature d’un «traité d’amitié» entre les deux pays n’est plus du tout à l’ordre du jour.
«La relation d’amitié et de confiance que la France et l’Algérie entendent établir entre elles se doit d’être à tous égards exceptionnelle et exemplaire». C’était le 2 mars 2003. Jacques Chirac, en visite d’Etat en Algérie, proposait avec son homologue Abdelaziz Bouteflika l’idée d’un «traité d’amitié». Depuis, l’idée a peut être fait son chemin, mais pas franchement dans le bon sens.
Le 23 février 2005 est promulguée une loi portant reconnaissance de la Nation à ceux qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Il y est décidé que «les programmes scolaires (doivent reconnaître) en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord». Cet article 4 de la loi suscite une très vive émotion, pas seulement en Algérie. Face à l’ampleur de la contestation, Jacques Chirac décidé d’abroger cet alinéa de la loi. Mais cela ne suffit pas à apaiser les tensions. Entre Paris et Alger, le ressort est comme cassé. Les nombreuses visites de ministres français ces derniers mois, pour tenter de recoller les morceaux n’y font rien.
Dernier exemple en date : le déplacement de Philippe Douste-Blazy à Alger, les 9 et 10 avril dernier. Le ministre français des Affaires étrangères ne parvient pas à convaincre les autorités algériennes de signer un «traité d’amitié». Cette est visite est un «échec», commente la presse algérienne de manière quasi-unanime. Le journal Al-Fadjr estime que «les conditions ne sont pas réunies pour la signature d’un traité d’amitié avec la France». «L’Algérie aimerait bien que la France fasse son mea culpa ou, du moins, s’éloigne de son passé de pays colonisateur», avance Le Maghreb. Bref, il y a bien un «malaise», comme le rapporte le quotidien Liberté.
«Génocide de l’identité»
Le malaise va encore s’accentuer le lendemain de la visite de Philippe Douste-Blazy. Le président Abdelaziz Bouteflika, en tournée lundi dernier dans la région de Constantine, déclare que «la colonisation a réalisé un génocide de notre identité, de notre histoire, de notre langue, de nos traditions». Ce n’est pas la première fois que le chef de l’Etat algérien revient sur la période coloniale. Quelques mois plus tôt, il avait déjà affirmé au sujet de la loi française du 23 février, que cette loi relevait d’«une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme».
La déclaration d’Abdelaziz Bouteflika relative au «génocide de l’identité» ne provoque, dans un premier temps, aucune réaction officielle des autorités françaises. En revanche, plusieurs personnalités politiques françaises de droite et d’extrème-droite montent au créneau, à l’instar du Front national (FN, extrème-droite) qui demande au gouvernement français d’«exiger» du président algérien des «excuses officielles».
Mercredi, Philippe Douste-Blazy intervient sur le sujet et répond aux propos d’Abdelaziz Bouteflika. «Plutôt que de polémiquer, plutôt que d’employer des mots comme cela («génocide»), il est important pour l’Algérie comme pour la France, de regarder devant, de construire ensemble», déclare ainsi le chef de la diplomatie française. Cette interview aurait pu calmer les esprits. Mais voilà, Philippe Douste-Blazy ajoute que «dans toutes les affaires de colonisation, il y a eu deux moments : le moment de la conquête qui est toujours un moment d’horreur, (puis) il y a des hommes et des femmes qui travaillent et qui vont instruire des enfants, (…) des architectes qui ont fait leur travail, des médecins qui ont soigné». Pour beaucoup d’observateurs en Algérie, le ministre français ravive la polémique. «La France persiste et confirme son révisionnisme», titre ainsi le quotidien La Tribune jeudi.
L’affaire de la visite médicale
Le débat va prendre une tournure encore plus intense le jeudi même. Le leader français d’extrème-droite, Jean-Marie Le Pen révèle que le président algérien se trouve en France pour y subir des examens médicaux. Pour le président du Front national, il est «scandaleux que M.Bouteflika se permette de dire cela publiquement (dénonciation du ‘génocide de l’identité’ algérienne, NDLR) et le lendemain d’être chez nous pour se faire soigner». Plusieurs députés de droite s’alignent sur les propos de Jean-Marie Le Pen.
En fait, Abdelaziz Bouteflika se trouve à l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce pour un contrôle de suivi post-opératoire. Le président algérien avait déjà été soigné dans cet établissement en novembre dernier, officiellement pour ulcère hémorragique à l’estomac. Et là, ce nouveau séjour est, paraît-il, «prévu de longue date». Toujours est-il que cette visite médicale parisienne laisse la population algérienne pour le moins «perplexe». Ainsi, samedi, le journal L’Expression parle d’un «véritable coup de tonnerre dans le ciel déjà chargé des relations algéro-françaises». «La fierté algérienne veut qu’on ne demande pas le soir un comprimé de pénicilline au voisin avec qui on s’est chamaillé le matin», affirme pour sa part le quotidien El Watan, qui conclut : «ce voyage est une grave faute politique».
Curieuse visite, commente pour sa part la presse française. Ainsi Libération pointe du doigt une «absence totale de transparence» concernant les raisons de ce déplacement d’Abdelaziz Bouteflika. Le quotidien laisse même entendre une possible aggravation de l’état de santé du président algérien. La Croix publie ce lundi l’interview d’un opposant algérien, Chawki Salhi, porte-parole du Parti socialiste des travailleurs, pour qui «le complexe du colonisé est particulièrement fort chez Abdelaziz Bouteflika».
Le retour du débat sur le «génocide»
Et s’il fallait encore envenimer la situation, plusieurs déclarations politiques ont ponctué ce week-end en France. D’abord, une pique adressée par Philippe Douste-Blazy : «Je vois qu’(Abdelaziz Bouteflika) apprécie les médecins français, je vois qu’il apprécie les hôpitaux français». Nettement moins ironique, le chef de la diplomatie française a ensuite réfuté le terme de «génocide» utilisé une semaine plus tôt par le président algérien. «Des philosophes et des intellectuels nous ont appris, en particulier (l’écrivain italien) Primo Levi, qu’il ne faut pas galvauder ce type de terme».
Abdelaziz Bouteflika est maintenant rentré en Algérie. Mais les débats de ces derniers jours ont montré que les relations sont loin d’être apaisées entre Paris et Alger. Le journal L’Expression à Alger affirme ce lundi que le chef de la diplomatie française «n’est plus le bienvenu». La Tribune estime que les temps ne sont pas «mûrs pour la conclusion d’un traité d’amitié algéro-français». Un traité, qui, selon le journal arabe Al-Hayat, «pourrait ne pas être signé avant dix ou quinze ans».
par Olivier Péguy
Article publié le 24/04/2006 Dernière mise à jour le 24/04/2006 à 17:18 TU