Algérie-France
Les aigreurs d’estomac du président Bouteflika
(Photo : AFP)
Selon Alger et Paris, «le président Bouteflika est en France pour une visite de suivi médical prévue de longue date». Officiellement, ce séjour du chef de l’Etat algérien aurait donc été programmé suite à son hospitalisation de deux semaines à l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce, du 26 novembre au 17 décembre dernier. A l’époque, un communiqué médical de la présidence algérienne assurait qu’Abdelaziz Bouteflika avait été opéré d’un «ulcère hémorragique au niveau de l’estomac» et qu’il s’en remettait «vraiment bien». Les spécialistes n’en croient rien et, jeudi, le chef de l’extrême droite française, Jean-Marie Le Pen a ouvert une autre polémique en éventant la venue à Paris du président algérien, trois jours après une virulente diatribe contre la colonisation française.
A Alger, le ministre d'Etat, Abdelaziz Belkhadem, se veut rassurant. «Il n'y a rien de grave», affirme-t-il, assurant que le président Bouteflika est arrivé mercredi soir en France pour un «contrôle post-opératoire tout à fait normal après une intervention chirurgicale». En tout cas, ce serait la troisième fois en cinq mois qu’Abdelaziz Bouteflika séjournerait au Val-de-Grâce. Il serait déjà revenu au moins une fois pour une discrète consultation, après les deux semaines passées fin 2005 dans cet établissement qui dépend du ministère français de la Défense et une semaine de convalescence à l’hôtel Meurice dans l’un des quartiers les plus chics de la capitale française. Les mauvais esprits s’étonnant qu’il tarde tant à quitter les bords de Seine, Abdelaziz Bouteflika était rentré le 31 décembre fêter la Saint-Sylvestre à Alger, où lui avait été préparé un accueil triomphal et surtout télévisé.
«Redoutable maladie» ?
Cette fois, le séjour sera «de courte durée», assure l’entourage du président algérien. Mais les spéculations sur l'état de santé réel du chef de l'Etat algérien sont reparties de plus belle. De tous les commentateurs, le directeur de l'hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, Jean Daniel, est bien le seul à écrire qu’Abdelaziz Bouteflika est un «convalescent flamboyant». Il le dit toutefois «rescapé d'une redoutable maladie», ce qui n’est pas en contradiction avec le diagnostic «vraisemblable» de cancer de l’estomac avancé par le spécialiste en urologie français, le professeur Bernard Debré, en décembre dernier.
Le professeur Debré juge pour le moins «étonnant» que l’illustre patient soit venu se faire soigner au Val-de-Grâce, s’il s’agissait d’un simple ulcère hémorragique comme le prétend Alger. Dans ce cas, «les médecins algériens pouvaient parfaitement le traiter en huit-dix jours», explique-t-il au quotidien français Le Parisien. Et cette fois, le professeur Debré doute que le président Boutéflika revienne en France pour «un simple contrôle fibroscopique, qui peut être fait dans n’importe quel hôpital algérien».
Difficile de croire aussi qu’Abdelaziz Bouteflika se préparait ces derniers jours à une nouvelle visite de santé de l’autre côté de la Méditerrannée. Lundi, soit trois jours plus tôt, dans un discours à usage interne, à Constantine, dans l’est algérien, il était en effet remonté au créneau du nationalisme algérien avec des mots particulièrement durs contre la France coloniale accusée d’avoir perpétré «un génocide» de l’identité algérienne. De l’avis du professeur Debré, membre de la majorité parlementaire française, finalement Bouteflika «mange son chapeau». «Après nous avoir copieusement insultés, dit-il, il vient nous demander de l’aider». La polémique est ouverte.
En France, l’extrême droite se saisit de l’affaire
Pour sa part, le chef du Front national (FN), Jean-Marie Le Pen, fait ses choux gras d’une affaire qui hérisse le poil de son électorat de «rapatriés» d’Algérie et de partisans de l’immigration – algérienne – zéro. «Prétendre que la France a réalisé un génocide de l'identité algérienne n'a historiquement aucun sens mais est un insupportable crachat sur notre pays», commente Jean-Marie Le Pen. Il «trouve scandaleux que M. Bouteflika se permette de dire cela publiquement et le lendemain d'être chez nous pour se faire soigner». Au passage, le candidat de l’extrême droite à la présidentielle de 2007 glisse qu’il tenait le renseignement de ses contacts au ministère de l’Intérieur.
Jean-Marie Le Pen saisit l’occasion pour fustiger le régime Chirac et dénonce sa diplomatie comme «une offense plus grave encore envers la France que le propos du président algérien». Tout à ses espoirs déçus de traité d’amitié franco-algérien, Paris souhaitait en effet étouffer l’affaire. A 69 ans, Abdelaziz Bouteflika manque peut-être encore de courtoisie et d’à-propos diplomatique, mais sûrement pas de pétrole. Lui-même partisan de la fameuse loi mort-née sur les «aspects positifs» de la colonisation, le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy avait cru tourner la page en déclarant mercredi qu’après «le moment de la conquête qui est toujours un moment d'horreur, il y a des instituteurs français qui évidemment ont fait leur travail, des architectes qui ont fait leur travail, des médecins qui ont soigné».
Ces écoles, routes et hôpitaux, qui les a construits en Algérie et au bénéfice de qui, interrogent les uns, Algériens ou Français, les autres se saisissant de la visite médicale d’Abdelaziz Bouteflika à des fins de politique intérieure. La maladie du président algérien n’est pas seulement diplomatique. Alger s’efforce de lire entre les lignes de son bulletin de santé.
par Monique Mas
Article publié le 21/04/2006 Dernière mise à jour le 21/04/2006 à 17:02 TU