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Afrique du Sud

Jacob Zuma acquitté, mais sa réputation est ternie

A la veille de son procès, Jacob Zuma s'adresse à ses partisans dans un stade de Soweto.(Photo : Valérie Hirsch/RFI)
A la veille de son procès, Jacob Zuma s'adresse à ses partisans dans un stade de Soweto.
(Photo : Valérie Hirsch/RFI)
Au terme du plus important procès d’un homme politique depuis la fin de l’apartheid, Jacob Zuma a été acquitté par le juge de la Haute cour de Johannesburg, après un procès qui a passionné et divisé l’Afrique du Sud.

De notre correspondante en Afrique du Sud

Il a fallu six heures au juge Willem van der Merwe pour lire le jugement et innocenter Jacob Zuma. Le leader zoulou, très populaire, candidat à la succession du président Thabo Mbeki en 2009, était accusé d’avoir violé une jeune femme séropositive de 31 ans, à son domicile de Johannesburg, en novembre dernier. Il reconnaissait avoir eu un rapport sexuel avec elle, mais un rapport consentant. A l’annonce de sa relaxe, on a assisté à des scènes de liesse devant le tribunal : des milliers de ses partisans ont chanté, dansé et célébré leur héros. Le juge a estimé que la plaignante n’était pas crédible, parce qu’elle souffre de troubles mentaux. Dans le passé, elle avait déjà accusé à tort deux hommes de l’avoir violée.

Le juge a toutefois tancé Jacob Zuma  pour avoir eu des rapports avec cette jeune femme de la moitié de son âge, la fille d’un ancien ami. De plus, «il est inacceptable», a-t-il ajouté, que Zuma n’ait pas utilisé de préservatif. A la sortie du tribunal, l’ancien vice-président sud-africain a critiqué la presse, accusée de partialité en faveur de la victime. Il a ensuite entamé un chant de libération zoulou «Mshiniwami» (« Rendez-moi ma mitraillette »), comme pour signaler qu’il  repartait sur le sentier de guerre.

Mbeki le «technocrate» et Zuma «le populiste»

Zuma va certainement demander à être réintégré dans ses fonctions de vice-président de l’ANC, suspendues depuis son inculpation de viol. Il va aussi sans doute relancer sa campagne officieuse pour accéder à la présidence du pays : un congrès décisif de l’ANC aura lieu l’année prochaine. Le chef de l’Etat Thabo Mbeki a fait savoir, vendredi, qu’il préférait qu’une femme lui succède. Il est clair que Zuma n’a pas sa faveur. L’hostilité mutuelle entre Mbeki, le «technocrate», accusé de mener une politique libérale de droite, et Zuma «le populiste»,  «l’ami des travailleurs», est devenue une guerre ouverte, qui divise profondément le parti au pouvoir.

Si Zuma sort renforcé, après son acquittement, ses déboires ne sont pas finis : il doit être à nouveau jugé, à partir du 31 juillet, pour corruption dans une affaire impliquant le géant français de l’armement Thales.  Zuma affirme être victime d’un complot visant à l’écarter de la course à la présidence. Lors du procès de viol, il a mis en cause le ministre du Renseignement Ronnie Kasril, qui n’a toutefois pas été appelé à témoigner. «Aux yeux des partisans de Zuma, l’acquittement étaye la thèse du complot, commente Steve Friedman, un politologue du Centre d’études politiques, à Johannesburg. Mais il n’est pas sûr que le syndicat Cosatu et le parti communiste continuent à le soutenir Zuma comme avant». Le leader zoulou, en effet, ne sort pas indemne du procès, où il est apparu comme un traditionaliste mal informé sur le sida. Il a ainsi expliqué avoir pris une douche après le rapport sexuel avec la jeune femme séropositive pour minimiser les risques d’infection !

L’un des taux de viol les plus élevés au monde

Voilà qui, selon beaucoup de commentateurs, augure mal des capacités de jugement d’un homme qui veut occuper les plus hautes fonctions de l’Etat. Mais ces considérations ont peu d’impact sur les masses populaires : «il a toujours été là pour nous,  pour le peuple. C’est un homme bien et je prie pour qu’il devienne notre président », déclare Alice Cele, venue de Durban, pour soutenir son héros. Certains s’inquiètent aussi du fait que Zuma joue de plus en plus la carte ethnique : il s’est exprimé en zoulou pendant les audiences et a plusieurs fois fait référence à la culture zouloue pour expliquer son comportement. Ses partisans portent un T-shirt barré de sa photo, avec la mention «100 % zulu boy», et certains sont  apparus au tribunal en peaux de léopard.  Les Zoulous, le groupe majoritaire du pays, accusent les Xhosas d’occuper toutes les positions importantes au sein de l’ANC : la question ethnique n’est pas nouvelle mais elle était jusqu’à présent un tabou en Afrique du sud.

L’acquittement de Zuma, le jour même où le pays fêtait les 10 ans de sa Constitution démocratique, annonce donc des lendemains troublés sur la scène politique. Il va certainement aussi susciter des réactions de mécontentement  des organisations de femmes, dans un pays qui accuse l’un des taux de viol les plus élevés au monde. Mais, dans l’ensemble, les Sud-africains s’accordent sur l’importance d’accepter la primauté de la justice, quelle que soit les  passions et les divisions suscitées par ce procès.


par Valérie  Hirsch

Article publié le 08/05/2006 Dernière mise à jour le 08/05/2006 à 19:22 TU

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Valérie Hirsch

Envoyée spéciale à Johannesburg

«En Afrique du Sud, seulement 7% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation.»

[09/05/2006]

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