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Biodiversité

Ours mal lâchés

L'ours slovène Melba retrouve la liberté le 6 juin 1996  dans les Pyrénées.(photo : AFP)
L'ours slovène Melba retrouve la liberté le 6 juin 1996 dans les Pyrénées.
(photo : AFP)
Les lâchers d’ours dans les Pyrénées vont se poursuivre, après l’avis favorable rendu par le Conseil d’Etat, « au nom des engagements internationaux de la France ». Le ministère français de l’Environnement peut continuer son programme de réintroduction visant à sauver l’espèce, au bord de l’extinction en France. Après l’avis rendu par la justice, les anti-ours n’ont pas l’intention de désarmer. Ils ont peur pour leurs élevages de moutons et sont rebutés par la politique de la montagne du gouvernement.

Les anti-ours en avaient appelé au Conseil d’Etat pour stopper la réintroduction d’ours slovènes dans les montagnes pyrénéennes. Des associations, de petites communes et le Conseil général du département de l’Ariège avaient demandé à l’instance administrative de trancher le différend entre eux et le ministère de l’Environnement. Hier mardi, le Conseil d’Etat a rendu son avis et rejeté la demande faite par les opposants au retour de l’ours. L’introduction de 3 nouveaux ours dans les Pyrénées aura bien lieu comme prévu, le programme n’est pas suspendu. Dans son arrêté, le juge des référés fait valoir le caractère « exceptionnel » de ces réintroductions concernant des « espèces protégées ». Le représentant de la justice administrative invoque également le respect, par la France, de ses engagements internationaux. Ils consistent notamment, dans le cadre de la Convention de Berne, à empêcher la disparition totale d’une espèce animale autrefois très présente dans notre pays. 

« La requête de la Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne et autres est rejetée », a encore précisé la plus haute autorité administrative français dans son arrêté, suite au recours déposé par des éleveurs et des élus de montagne. Nelly Olin, la ministre de l’Environnement, l’a aussitôt indiqué : le plan de réintroduction des ours dans les Pyrénées va se poursuivre « dans les meilleurs délais ». Une équipe technique de l’Office national de la chasse est toujours en Slovénie. Elle devrait prochainement tenter la capture des trois autres ours destinés à repeupler la montagne pyrénéenne.

Palouma et Franska déjà là

Cinq ours slovènes au total doivent migrer dans les Pyrénées pour aider la vingtaine y vivant encore à relancer l’espèce. Au début du programme de réintroduction, dans les années 1996-1997, l’arrivée des premiers ours slovènes avait porté ses fruits. Des petits étaient nés. L’un d’entre eux, Canelle, fut abattue par un chasseur en novembre 2004. L’incident montrait déjà un certain rejet de la part d’une partie des habitants de la région. Pourtant, les effectifs étant encore trop faibles, les scientifiques souhaitaient la poursuite des réintroductions d’ours bruns.

Dans la seconde phase du programme qui se déroule actuellement, 5 plantigrades en tout doivent être lâchés dans les Pyrénées, à proximité de communes possédant des forêts et ayant donné leur accord pour cohabiter avec l’ours. Fin avril, deux femelles sont arrivées de Slovénie. Les éleveurs se sont mis en colère, rejoints par des agriculteurs, des randonneurs, des pères de famille. Il y a eu une manifestation et le recours au Conseil d’Etat. Maintenant, trois autres ours, deux autres femelles et un mâle doivent encore arriver dans les Pyrénées. « Nous ferons tout pour gêner les futures réintroductions, notamment des barrages, c’est clair, net et précis », a affirmé Francis Ader, le président de l’ADIP (Association de défense de l’identité pyrénéenne), association la plus activement engagée contre la réintroduction de l’ours.

Le maire de Bagnères-de-Luchon, petite ville thermale de la Haute-Garonne, a demandé aux  opposants d’accepter l’avis rendu par le Conseil d’Etat. Bagnères-de-Luchon a donné son accord pour accueillir dans son environnement l’un des ours slovènes. « J’imagine que si le Conseil d’Etat leur avait donné raison (aux anti-ours), ils auraient demandé l’application de la décision, eh bien maintenant, il faut qu’ils demandent l’application de la décision qui est sortie », a déclaré René Rettig, maire UMP de la station thermale.

L’histoire ne dit pas si la présence d’un ours aux abords de Luchon attirera les curistes en plus grand nombre dans cette petite station, située au pied des Pyrénées. Une certitude, les élus attentifs au développement du tourisme dans leur région sont en général pour la réintroduction. C’est le cas d’Arbas, en Haute-Garonne. Le maire, François Archangeli s’est dit « très satisfait »  de la décision du Conseil d’Etat. François Archangeli est également président de l’Adet-Pays de l’ours, association regroupant entreprises ou particuliers ayant pris le parti des ours bruns dans les Pyrénées Centrales.

Des dédommagements financiers

« Nous avons un vrai souci de biodiversité et de renforcement de la population ursine. Ce n’est pas une victoire mais enfin on peut poursuivre ce plan qui me paraît indispensable », a encore déclaré la ministre de l’Environnement après la décision du Conseil d’Etat. De son côté, Stéphane Lessieux, porte-parole de l’ASPAP (Association de sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées), a regretté que « le fond, c’est-à-dire les préoccupations des populations et les contraintes qui leur sont imposées, n’a pas été examiné. C’est pourquoi nous entendons saisir la Cour européenne des droits de l’Homme ». Selon ce militant, seule la mise en œuvre « d’un moratoire d’un an pourra ramener le calme dans les Pyrénées. Les montagnards resteront maîtres de leur territoire, ils lutteront plus unis que jamais contre le plan ours », a-t-il encore déclaré.

Le plan de renforcement de l’ours brun dans les Pyrénées est assorti d’un dispositif d’indemnisation. Sur les 600 000 moutons qui pâturent chaque été en montagne, deux à trois cents sont tués par les ours. Des dédommagements financiers sont prévus ainsi que l’achat de clôtures pour regrouper les troupeaux la nuit. L’achat d’un chien patou, compétent pour éloigner les ours, est également financé comme l’achat de radiotéléphones.

Les amis de la faune, épris de mystère, se retrouvent une nouvelle fois face à des ruraux préoccupés par leur sécurité et leur développement. L’amertume de ces derniers est résumée par Jean-Claude Flamant, directeur de la Mission Agrobiosciences, une mission de débat public financée par le Conseil régional Midi-Pyrénées et par le ministère de l’Agriculture. Parlant des éleveurs et des dédommagements en cas d’attaques, Claude Flamant estime que «ils préféreraient bénéficier d’aides au maintien à l’élevage plutôt que liées à la réintroduction de l’ours ».   


par Colette  Thomas

Article publié le 10/05/2006 Dernière mise à jour le 10/05/2006 à 17:36 TU