Irak
Enlèvement de masse et surenchère dans l’horreur
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Amman
Lundi, vers neuf heures, heure locale, des dizaines d’hommes armés et cagoulés ont investi le quartier de Salihiya, sur la rive ouest du Tigre, un secteur qui abrite deux gares routières, ainsi que de nombreuses sociétés de voyage et compagnies d’autobus. Selon la police et les témoins de la scène, les assaillants n’ont pas fait de différence entre employés et passagers d’autobus à destination de la Syrie, de la Jordanie et du Liban. « Ils se sont emparé de personnes au hasard », raconte un témoin. Raed, un chauffeur de taxi jordanien, qui s’apprêtait à effectuer la liaison Bagdad-Amman était sur les lieux au moment du rapt. Selon lui, les employés des sociétés de transport ont été trompés par les uniformes des commandos de la police irakienne, qu’avaient revêtu les assaillants. « Tout le monde pensait qu’il s’agissait d’une arrestation », raconte-t-il. « Par conséquent peu de gens ont opposé de réelle résistance ».
L’opération en tout cas avait été soigneusement préparée. A peine quelques minutes ont suffi pour forcer les employés des sociétés de transport, mais également les passagers, à grimper, bandeau sur les yeux, dans une quinzaine de véhicules tout-terrains. De l’avis d’un ancien lieutenant de police irakien, reconverti dans la sécurité privée, ce genre d’enlèvement à grande échelle nécessite une logistique et une coordination sans faille. Il démontre en tout cas, si besoin était, la force de frappe de l’insurrection, capable d’opérer en plein jour et au cœur de la capitale.
Phénomène en constante augmentation
La démonstration de force est d’autant plus marquante que ce n’est pas la première du genre. En mars dernier, une quarantaine d’employés d’une société de sécurité privée, Al-Rawafid Security Company, avaient été pris en otage dans des circonstances similaires. Les gardes du corps enlevés n’ont pas été retrouvés à ce jour, et leur rapt n’a jamais été revendiqué. Le pire est sans doute à craindre, dans la mesure où les gardes du corps sont considérés comme des traîtres par les insurgés.
En Irak, le kidnapping est devenu monnaie courante, quelle que soit sa motivation : politique, confessionnelle, ou crapuleuse. Ces deux dernières années, 5 000 cas ont été signalés aux autorités. La population de Bagdad limite de plus en plus ses déplacements au strict minimum. Car même si les auteurs d’enlèvements risquent de très lourdes peines de prison, le phénomène reste en constante augmentation. La journée de mardi à été marquée du reste par le souvenir d’un enlèvement particulièrement tragique. Celui à l'automne 2004 de Margaret Hassan, directrice de l'association caritative Care. Un tribunal irakien a condamné à la prison à perpétuité l'un des responsables de son kidnapping, et de sa mort. Une affaire qui avait ému les Irakiens. Margaret Hassan avait été tuée un mois après son enlèvement. Son corps n'a jamais été retrouvé. Mariée à un Irakien, elle vivait depuis 30 ans dans ce pays.
La multiplication des rapts et l’enlèvement massif de Salihiya constituent un nouveau revers pour le Premier ministre Nouri al Maliki, à la tête d’un gouvernement sans véritable colonne vertébrale. Les deux chaises vides au conseil des ministres, celles des titulaires de l’Intérieur et de la Défense, ne contribuent pas à rétablir un semblant de sécurité. La violence quotidienne semble d’ailleurs avoir franchi un pallier dans l’horreur. Neuf têtes sans corps, enveloppées dans un sac en plastique et placées dans un carton de fruits, ont été trouvées mardi matin. Placées au bord d’une route, certaines avaient encore un bandeau sur les yeux. Une découverte similaire avait été faite samedi dans cette même région, près de Baaqouba. Selon un haut responsable irakien du ministère de l’Intérieur, le message est clair : « Les insurgés veulent terroriser la population et gagner la bataille de la peur ».
par Nazim Ayadat
Article publié le 06/06/2006Dernière mise à jour le 06/06/2006 à 17:10 TU