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Indonésie

Le Merapi: «une bouteille d'eau gazeuse violemment agitée»

Sur 68 éruptions du Merapi recensées depuis 1548, la plus meurtrière, en 1930, a tué 1369 personnes; la plus récente - 1994 - a fait 60 morts. 

		(Photo : AFP)
Sur 68 éruptions du Merapi recensées depuis 1548, la plus meurtrière, en 1930, a tué 1369 personnes; la plus récente - 1994 - a fait 60 morts.
(Photo : AFP)
Selon le spécialiste des volcans indonésiens, Frédéric Lécuyer, docteur ès volcanologie, le Merapi, placé en permanence sous très haute surveillance, présente actuellement des signes menaçants avant-coureurs d’une possible éruption. Le Merapi, un des volcans les plus actifs de l’archipel indonésien situé à une trentaine de kilomètres au nord de Yogyakarta, se trouve au cœur de Java. Ses coulées de lave ne sont pas les plus dévastatrices, mais ses nuées ardentes et ses nuages de cendre sont très toxiques. La densité de la population étant extrêmement forte dans la région, les autorités redoublent de vigilance pour éviter toute nouvelle tragédie humaine dans une région déjà victime d’un tremblement de terre le 27 mai dernier. Entretien avec Frédéric Lécuyer, qui se trouve sur place à l’observatoire Kaliurang (à Yogyakarta), un des six observatoires répartis sur les flancs du Merapi –qui centralisent les données au centre de Kaliurang.

RFI : Quelque 130 volcans sont en activité dans cet archipel indonésien formé de 13 600 îles et îlots. Depuis le tremblement de terre du 27 mai, l’activité du Merapi est accrûe. Pouvez-vous, Frédéric Lécuyer, situer exactement ce volcan et faire le point sur les risques encourus aujourd’hui par la population ?

Frédéric Lécuyer : Le Merapi est situé au centre de Java, à une trentaine de kilomètres au nord de Yogyakarta (500 kilomètres à l’ouest  de Dajakarta). Il culmine à quelque 2 900 mètres et, si on tient compte du dôme de lave qui le coiffe, il atteint même les 3 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Comme c’est le cas pour tous les volcans, ses flancs sont très fertiles, ce qui signifie en d’autres termes que les hommes s’y sont abondamment implantés. On évalue à plus de 5 millions d’habitants, la population installée au pied du volcan et, aujourd’hui, le Merapi menace particulièrement les populations qui vivent au sud et à l’ouest de son cône, dans un rayon d’une dizaine de kilomètres.

RFI : Peut-on redouter une éruption très destructrice ?

Frédéric Lécuyer : Rien ne permet d’avancer que se profile un événement susceptible de détruire Yogyakarta : cela supposerait l’effondrement total du dôme du volcan, ce qui, à l’heure actuelle, n’est pas envisageable. La spécificité du Mérapi est que ce dôme se trouve sur une pente, orienté vers le sud. C’est une chance car cela permet d’organiser les évacuations des populations qui se trouvent dans un rayon de 5 à 6 kilomètres du volcan. Si les menaces devenaient plus importantes, on sait qu’il faudrait alors les évacuer jusqu’à 12 kilomètres à la ronde.

RFI : Quel lien peut-on établir avec le tremblement de terre d’une magnitude 6,3 qui a frappé le centre de l’île de Java le 27 mai dernier, causant la mort de quelque six mille victimes?

Frédéric Lécuyer : Toute la région a été secouée de manière violente et le séisme a donné de l’amplitude à l’activité du volcan. On pourrait prosaïquement comparer le phénomène à une bouteille d’eau gazeuse qui, lorsqu’elle est violemment agitée avant d’être décapsulée, dégage alors une explosion de gaz beaucoup plus importante. Or, à l’observatoire, nous avons constaté qu’après le dernier séisme, le dégazage du volcan s’est multiplié par trois, ce qui autorise à dire que le tremblement de terre a donné de l’amplitude à l’activité du volcan. La longueur des nuées ardentes s’agrandit : elles étaient de l’ordre de 2 km ces temps derniers. Depuis deux jours, elles sont passées à 4,5 kilomètres et, jeudi matin vers 9h00 heure locale, on en a relevé une de 5 km. Cet allongement est inquiétant et demande que l’on redouble de vigilance.

RFI : De quoi sont composées ces fameuses nuées ardentes ?

Frédéric Lécuyer : Le Merapi est coiffé d’un dôme de 4 millions de mètres cubes. C’est une sorte de grosse boule de lave qui se refroidit au contact de l’air aussitôt qu’elle sort mais qui, à l’intérieur, reste à température très élevée, entre 700 et 900 degrés. La masse intérieure, quand elle grossit, exerce une pression qui fractionne ce qui est refroidi ; les morceaux du dôme qui se pulvérisent actuellement sont de plus en plus gros et ils se projettent de plus en plus loin, donnant des nuées ardentes de plus en plus longues. Les nuées ardentes sont composées d’un mélange intime de gaz, de blocs de lave et de cendres. Leur faculté de déplacement est extrêmement rapide, pouvant aller de 75 km/heure à 200 km/heure.

RFI : Comment se comporte la population ? Qui reste sur place ?

Frédéric Lécuyer : La population de Java, qui concentre quelque 80% de la population indonésienne, semble avoir tirer des leçons du passé et se montre très coopérative pour évacuer les lieux. Plus de 15 000 villageois vivant sur les pentes du volcan ont été évacuées mercredi ; les autorités annonçaient projeter de mettre à l’abri 11 000 personnes supplémentaires. Un total de 15 500 personnes ont été descendues vers les refuges. Restent, sur place, les scientifiques et les équipes chargées d’organiser les évacuations, strictement informées de ce qu’il faut faire pour éviter tout risque inutile, à savoir ne pas s’aventurer dans « un couloir de nuées ardentes » -autrement appelé « couloir d’avalanche incandescente ».



par Dominique  Raizon

Article publié le 08/06/2006Dernière mise à jour le 08/06/2006 à TU

Audio

Jacques-Marie Bardintzeff

Vulcanologue

«En aucun cas l'éruption du volcan Merapi n'a provoqué le séisme du 27 mai dernier dans le sud de l'île de Java. Par contre, le séisme a pu modifier des failles profondes et favoriser la montée du magma.»

[08/06/2006]

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