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Tchad

Paris veut consolider Deby

Brigitte Girardin devrait rencontrer des représentants de l'opposition politique.  

		(Photo : AFP)
Brigitte Girardin devrait rencontrer des représentants de l'opposition politique.
(Photo : AFP)

Mis en difficulté par l’offensive rebelle d’avril sur N’Djamena et par les dissidences qui sapent son pouvoir depuis l’année dernière, Idriss Deby a franchi l’obstacle militaire grâce au soutien de Paris. Le 3 mai, il a enlevé le troisième mandat présidentiel qu’il avait jadis promis de ne jamais briguer. Reste à consolider son autorité sur l’immense pays. En l’absence d’un Etat réellement performant, celui-ci se résume aujourd’hui à des réserves pétrolières essentiellement exploitées par des compagnies américaines. Mais à défaut d’un soutien inconditionnel de Washington, Idriss Deby compte sur Paris pour replâtrer sa façade politico-militaire. Un dialogue entre Tchadiens est au menu de la délégation conduite les 15 et 16 juin par la ministre française déléguée à la Coopération, Brigitte Girardin. L’opposition demande l’inclusion des rebelles.


Arrivée jeudi à la mi-journée à Abéché, à 700 kilomètres à l'est de N'Djaména où elle a ensuite visité le camp de Gaga qui abrite plusieurs milliers de réfugiés soudanais, Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie devait rejoindre la capitale dans la soirée. Selon le communiqué de la diplomatie française, cette visite au Tchad (15 et 16 juin) «lui permettra notamment de signer le document-cadre de partenariat qui fixe les orientations de la coopération franco-tchadienne pour la période 2006-2010». En l’occurrence, il s’agira «de consacrer prioritairement l'aide française à l'éducation de base, à l'eau et à l'assainissement, à la santé et à la lutte contre le sida ainsi qu'aux domaines transversaux de la gouvernance, de l'Etat de droit et de la francophonie».

Jacques Chirac : «Restaurer la concorde»

En matière de «domaines transversaux», la ministre «fera le point avec le président de la République du Tchad et les acteurs politiques sur les dossiers qui ont marqué la situation politique tchadienne depuis la fin de l'année». A ce titre, elle «devrait rencontrer des représentants de l'opposition politique». Celle-ci avait boycotté le scrutin de mai qui a vu la réélection d’Idriss Deby au premier tour. Depuis lors, elle répugnait à répondre à l’invitation présidentielle à un dialogue «interne et tchado-tchadien», c’est-à-dire fermé aux différents mouvements rebelles qu’Idriss Deby qualifie de «mercenaires» à la solde du Soudan.

Dans le message de félicitations adressé au lendemain de la victoire électorale du président Deby, le président français, Jacques Chirac, avait appelé son homologue tchadien à «restaurer la concorde». Avant l’arrivée au Tchad de Brigitte Girardin, les principaux représentants de l’opposition civile ont été informés de son invitation à une rencontre, à l’exception du député Ngarlejy Yorongar, père fondateur du FAR-Parti fédération et ex-candidat aux présidentielles de 1996 et de 2001 contre Idriss Deby. Mais pour ce qui est du dialogue national, l’opposition continue de rejeter l’idée d’une conciliation qui exclurait les rebelles.

«Nous souhaitons qu'il y ait un dialogue national qui englobe tous les Tchadiens et ce avec le soutien de la communauté internationale», explique Ibni Oumar Mahamat Saleh, le porte-parole de la Coordination pour la défense de la Constitution (CPDC), qui réunit la majorité des partis de l'opposition politique. Pour lui, la proposition présidentielle est un «attrape-nigaud». C’est l’avis aussi du fédéraliste Yorongar. «Imaginer une solution à la Togolaise qui consisterait à valider la comédie électorale pour parvenir à un accord aux fins d’organiser des législatives, ce serait fermer les yeux sur les vrais problèmes et les vraies solutions», dit-il. «Ne pas tenir compte des rébellions armées, c’est inciter à la guerre fratricide au Tchad», ajoute-t-il.

Jeudi, en attendant d’en savoir plus sur d’éventuelles discussions avec les missi dominici français, l’opposition se perdait en conjectures sur la visite de travail inopinée du président ivoirien, Laurent Gbagbo, arrivé mercredi soir à N’Djamena. Le président Gbagbo souhaitait-il rencontrer l’un des envoyés français ou bien encore le représentant libyen également sur place ? S’agissait-il d’accommoder avec son pair tchadien des soucis militaires partagés par les deux pays sur lesquels la France veille de manière bien différente ?

Avant son départ jeudi après-midi, Laurent Gbagbo et Idriss Deby ont signé un communiqué commun qui annonce «les mesures urgentes suivantes : l'ouverture d'une ambassade dans chacun de deux pays et la création d'une commission mixte de coopération» chargée d’en créer une autre pour lutter «contre la circulation des armes légères et le grand banditisme». Mais surtout, Abidjan et N’Djamena ont conclu «un accord de transport aérien direct entre les deux pays». Et Laurent Gbagbo s’aligne sur Idriss Deby pour demander «à l'Union africaine et aux Nations unies de condamner l'agression contre le Tchad», qui affiche son intention de «porter plainte au Conseil de sécurité contre l'agression soudanaise».

Désamorcer la poudrière tchado-soudanaise

Depuis que N’Djamena a rompu les amarres diplomatiques en avril dernier, Khartoum souhaite en revenir à l’accord de bon voisinage signé le 8 février dernier à Tripoli, sous l’égide du chef de la Jamahiriya libyenne, Muammar Khadafi, qui s’est mué en médiateur après avoir été pendant des lustres l’adversaire principal de la France au Tchad. De passage à Paris mardi, le ministre soudanais des Affaires étrangères, Lam Akol, a rappelé sa volonté toute neuve de conciliation. «Nous avons demandé au gouvernement français d'user de son influence pour voir comment nous pourrions reprendre au plus vite nos relations» avec le Tchad, a-t-il déclaré. C’est aussi visiblement le vœu des diplomaties française et libyenne qui espèrent ainsi désamorcer la poudrière tchado-soudanaise. En échange, elles pourraient tenter de convaincre l’opposition «démocratique» de «dialoguer» avec Deby en laissant les politico-militaires à l’écart.

La présence militaire française au Tchad s’est avérée dissuasive pour les rebelles contraints de ronger leur frein aux frontières. Si un arrangement avec Khartoum relâchait la pression côté Soudan, la France pourrait veiller au grain côté Centrafrique. Selon le quotidien français Le Monde, Paris se prépare d’ailleurs à prêter main forte à Bangui, d’ici la fin du mois, pour nettoyer le nord de la Centrafrique «des rebelles tchadiens qui ont fait de la zone une base de repli, des militaires perdus du président Bozizé et des coupeurs de route». La France n’envisage pas d’alternative au pouvoir Deby qu’elle a entrepris de consolider.



par Monique  Mas

Article publié le 15/06/2006Dernière mise à jour le 15/06/2006 à TU