Timor Oriental
Bras de fer à la tête de l’Etat
(Photo : AFP)
«Nous avons gagné cette guerre» : c’est ainsi que le président du Timor Oriental s’est exprimé vendredi au palais du gouvernement à Dili, devant des milliers de manifestants qui demandaient à Xanana Gusmão de se maintenir à la tête de l’Etat et exigeaient la démission du Premier ministre Mari Alkatiri, qualifié de «terroriste» par la foule. Le Président Gusmão qui était accompagné de sa femme australienne a déclaré que cette victoire était due à la «finesse» de la population, mais il a aussi fait une sorte d’autocritique en reconnaissant que les autorités n’avaient pas réussi à garantir la stabilité dans le pays. Il a aussi promis qu’«en tant que frère aîné (il allait) respecter la constitution », mais sans fournir d’indications concrètes sur les solutions pour résoudre la crise politique en cours.
Xanana Gusmão avait menacé jeudi de démissionner de son poste de président de la République, suite au bras de fer qui l’oppose depuis plusieurs semaines au chef du gouvernement Mari Alcatiri. Le président timorais avait demandé mercredi la démission d’Alcatiri après avoir pris connaissance d’un rapport l’accusant d’avoir formé des « escadrons de la mort », ces groupes armés capables de neutraliser des opposants politiques. Ces accusations ont été formulées notamment par l’ancien ministre de l’Intérieur Rogerio Lobato, lequel a aussi été accusé d’avoir distribué des armes à ces escadrons. Le président Gusmão avait aussi critiqué la façon dont le chef du gouvernement a été élu à mains levées à la tête de son parti, le Fretilin (Front timorais de libération nationale), obtenant ainsi 97% des voix lors du congrès du parti, le 19 mai.
Alkatiri en position de faiblesse relative
Le Premier ministre Mari Alkatiri devra prendre dans les prochaines heures une décision définitive quant à son avenir politique. Il pourrait abandonner ses fonctions de chef du gouvernement, selon des sources diplomatiques à Dili citées par l’agence portugaise Lusa. Son éventuel remplacement par un autre dirigeant de son parti devra être décidé samedi lors d’une réunion du comité central du Fretilin. Cette perspective suscite beaucoup de commentaires au sein de la population de la capitale. «Nous espérons que samedi on trouvera une solution pour la présente crise, avec un changement qui ne doit pas se limiter à un départ du Premier ministre», nous a déclaré au téléphone une habitante de Dili qui a aussi considéré que «la population ne veut pas que Xanana Gusmão cesse ses fonctions de président, ce qui provoquerait le chaos complet dans le pays».
Alkatiri avait été aussi critiqué par le président de la République, au sujet de la façon dont il a géré la crise qui a affecté le Timor Oriental au mois d’avril. Cette crise a été attribuée initialement à quelque 600 «déserteurs des forces armées» qui s’étaient déclarés victimes de discriminations par leur commandement, ce qui avait déclenché de violents incidents, notamment dans la capitale. Il y a avait eu plus de vingt morts et un grand nombre de maisons et d’édifices publiques avait été incendié. Plus de cent mille habitants de Dili s’étaient enfuis vers les montagnes environnantes.
2 600 soldats étrangers sont déployés
Le président Xanana Gusmão avait alors décidé d’assumer directement les responsabilités de la sécurité du pays et demandé de l’aide à plusieurs pays. Le 25 mai, l’Australie envoyait plusieurs centaines de soldats d’élite qui rétablissait la sécurité dans la capitale. D’autres pays comme le Portugal, la Nouvelle-Zélande et la Malaisie dépêchaient également des gendarmes. Près de 2 600 soldats et policiers étrangers sont donc installés au Timor Oriental depuis environ un mois. L’appel aux troupes étrangères par le président timorais a été très critiqué par son Premier ministre Alkatiri, déclenchant ainsi une première crise au sein du sommet de l’Etat.
La manifestation de ce vendredi à Dili renforce la position du président, personnalité charismatique en raison de son rôle lors de la résistance à l’occupation indonésienne de 1975 à 1999. En 2002 ce petit pays d’un million d’âmes (dont 90% de catholiques) obtenait finalement son indépendance. Xanana Gusmao était alors élu facilement à la présidence, tandis que le parti Fretilin obtenait la majorité au parlement, entraînant la nomination de son leader Mari Alkatiri aux fonctions de chef du gouvernement.
Alkatiri est défini par la presse australienne comme un «musulman de formation marxiste» qui dispose néanmoins d’une assise importante dans le pays, en commençant par son parti au sein duquel se sont manifestés dernièrement quelques divergences. On attribue aussi au chef du gouvernement des appuis importants au sein des forces armées, les Falintil, ou de ce qu’en reste après la grave crise d’avril.
L’Australie soupçonnée d’ambitions pétrolières
Le Fretilin a accusé à plusieurs reprises le gouvernement australien de vouloir coloniser le Timor Oriental. Des accusations identiques ont aussi surgi au Portugal, où certains journaux affirment que l’actuelle intervention de l’Australie à Timor a surtout été motivée par des intérêts pétroliers. Mais le ministre australien des Affaires étrangères Alexander Downer a déclaré vendredi sur sa radio d’Etat ABC que les troupes de son pays «ne pourront pas continuer éternellement au Timor Oriental en attendant que le gouvernement national règle sa crise politique». Downer avait été reçu à Paris le 20 juin par le chef du gouvernement français Dominique de Villepin et par le chef de la diplomatie Philippe Douste-Blazy à qui il a demandé leur soutien en vue de la création d’une mission d’assistance de l’ONU pour la réconciliation au Timor Oriental. Cette mission aurait pour but d’aider les Timorais à se doter d’une administration efficace. Le projet, qui devra être débattu par le Conseil de sécurité, devrait en principe mandater une force de 500 policiers en provenance de plusieurs pays.
Les organisations humanitaires craignent que la situation ne s’aggrave au Timor Oriental. Dans une note publiée vendredi à Genève, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés craint que la crise actuelle entre le président Gusmão et le premier ministre Alkatiri ne provoque une nouvelle vague de violence dans ce pays qui est habituellement défini comme étant le plus pauvre d’Asie.
par Antonio Garcia
Article publié le 23/06/2006Dernière mise à jour le 23/06/2006 à TU