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Thaïlande

Thaksin pourrait jeter l’éponge

Manifestations à Bangkok pour réclamer la démission du Premier ministre Thaksin Shinawatra 

		(Photo : Arnaud Dubus)
Manifestations à Bangkok pour réclamer la démission du Premier ministre Thaksin Shinawatra
(Photo : Arnaud Dubus)

Le Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a une nouvelle fois protesté dimanche contre les attaques dont son parti est victime. «Le parti n’a pas commis d’irrégularités», a déclaré le chef du gouvernement. Une dissolution est pourtant envisagée.


De notre correspondant à Bangkok  

Une ambiance de fin de règne flotte dans les bâtiments de style colonial de la Maison du gouvernement, le siège du pouvoir thaïlandais. Deux des conseillers juridiques clefs du Premier ministre Thaksin Shinawatra sont déjà partis. Il s’agit du secrétaire général du gouvernement Bovornsak Uvano et du vice-Premier ministre Vissanou Krua-ngam. Ils ont préféré abandonner les importants bénéfices matériels de leur fonction auprès de l’homme le plus riche du pays pour conserver un semblant de crédibilité afin de pouvoir poursuivre leur carrière.

Le départ de Vissanou est un coup particulièrement dur pour Thaksin Shinawatra : durant les quinze dernières années, cet expert en droit constitutionnel a travaillé sous la responsabilité de sept anciens chefs de gouvernement. Vissanou est considéré comme la mémoire vivante de la Maison du gouvernement. Et les rumeurs abondent sur la possible démission de plusieurs autres ministres de poids. On parle de celui de l’Education, Chaturon Chaisaeng et de celui du Commerce, Somkid Jatusripitak.

Le Premier ministre Thaksin semble démoralisé. Ses interventions sont truffées d’allusions à ce qu’il veut laisser en héritage «au prochain Premier ministre», laissant à penser qu’il pourrait démissionner. Son influente épouse, Potjaman, se languit de partir à l’étranger avec sa famille pour attendre que les passions se calment dans le pays. 

La raison immédiate de cette morosité dans les rangs du gouvernement est la menace de dissolution qui pèse sur le parti Thai Rak Thai (Les Thaïlandais aiment les Thaïlandais). Ce parti a été fondé par Thaksin en 1999 et occupe la majorité des sièges au Parlement. Après de longues tergiversations, la commission électorale a établi un rapport d’enquête estimant que le Thai Rak Thai était coupable de fraude électorale «mettant en cause le système démocratique et la sécurité nationale». Le bureau du procureur général est en train d’étudier le rapport avant de le remettre à la Cour constitutionnelle. Si elle est saisie, elle devrait se prononcer sur les sanctions à prendre au début du mois de juillet. Une dissolution du parti de Thaksin est possible si la culpabilité est retenue, ce qui interdirait aux leaders de cette formation politique, dont Thaksin, d’avoir des activités politiques pendant cinq ans. Cependant la disparition du parti ne les empêcherait pas de se présenter comme simple candidat à la députation dans un autre parti déjà existant.

Ne pas démissionner sans protections

Une dissolution du Thai Rak Thai serait très probablement un coup fatal à la carrière politique de Thaksin, un homme d’affaires qui s’est érigé avec succès en défendeur de la fierté  thaïlandaise après la crise économique de 1997.

La crise actuelle a démarré fin janvier lorsque la famille de Thaksin a vendu son conglomérat de télécommunications Shin Corp à la firme Temasek, chargée des investissements stratégiques du gouvernement de Singapour. La famille du Premier ministre a empoché une somme non négligeable de 1,5 milliards d’euros. Mais la transaction, exonérée de toute taxe, a provoqué la colère des classes moyennes urbaines. Une réaction compréhensible lorsque l’on sait que Thaksin a bâti sa fortune, dans les années 90, en vendant à des prix prohibitifs des téléphones portables. Il bénéficiait alors d’une concession gouvernementale.

Certains membres du principal parti d’opposition, le Parti démocrate, réclament une enquête approfondie sur la vente de Shin Corp et sur une série de scandales de corruption dont le plus important concerne la construction du nouvel aéroport international de Bangkok. «La principale raison pour laquelle Thaksin devrait démissionner est son refus de faire ouvrir une enquête indépendante sur la vente de ses actifs», estime Kiat Sitthi-Amorn, du Parti démocrate. Une démission entraînerait peut-être une enquête et pourrait déboucher sur une saisie de certains actifs de la famille Thaksin, d’où la réticence de ce dernier à quitter le pouvoir sans garanties de protection.

Toutefois, si l’on s’en tient au passé, aucun dictateur ou leader corrompu n’a été soumis à jugement en Thaïlande, contrairement à ce qui s’est passé en Corée du Sud. Le général Suchinda Kraprayoon, qui avait fait tirer sur la foule en mai 1992, est, par exemple, membre du conseil d’administration de certaines des plus importantes firmes thaïlandaises. Des poursuites juridiques contre Thaksin et sa famille indiqueraient un véritable changement dans la culture politique du pays.



par Arnaud  Dubus

Article publié le 25/06/2006Dernière mise à jour le 25/06/2006 à TU