Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Koweït

L’émirat aux urnes

A Koweit City, cette femme accomplit son devoir électoral pour la première fois. 

		(Photo: AFP)
A Koweit City, cette femme accomplit son devoir électoral pour la première fois.
(Photo: AFP)
Les élections législatives se tiennent ce 29 juin dans l’émirat où, désormais, 57% des électeurs sont des électrices. Dans la région, le Koweït est un cas particulier : quoique imparfaite, la démocratie y est reconnue comme une valeur politique et un objectif proche.

De notre envoyé spécial au Koweït

Au Koweït la campagne électorale s’est jouée d’abord le long des rues. Dans chaque quartier, c’est en effet sur les trottoirs que sont plantés les pancartes, grandes ou petites à la gloire de tel ou tel candidat. Souvent, seul un portrait et un nom y figure, parfois s’y ajoute un slogan de campagne. Avec un effet parfois non négligeable sur la sécurité routière lorsque le vent se lève et emporte ce matériel électoral. Mais au-delà de l’anecdote il est incontestable que l’élection de ce jeudi restera dans les annales. Et c’est bien la possibilité pour les femmes koweitiennes de voter et de se porter candidate qui aura retenu l’attention. Désormais 57% des électeurs sont des électrices. Et si l’on en croit Roula Dashti, féministe et candidate dans la sixième circonscription, ces femmes « ont étonnées tout le monde. Elles se sont largement déplacées pour écouter les candidats et se faire leur propre opinion. ».

Chaque soir, dans les différents diwanii, ces grandes tentes dressées pour abriter les réunions électorales, les femmes sont venues nombreuses. Chez les candidats les plus traditionalistes, elles sont installées à l’écart des hommes. Mercredi à la veille du scrutin c’était encore le cas chez Nasser Sanni, représentant du Mouvement constitutionnel islamiste, la branche koweitienne des Frères musulmans. Le secrétaire général du MCI affirme toutefois que son mouvement accepte désormais la décision démocratique du Parlement d’accorder le droit de vote aux femmes. Bader Alnashi refuse en revanche, à l’image de l’ensemble des islamistes koweitiens, d’envisager l’entrée de femmes au parlement.

Les Bidounes, ni Koweitiens, ni étrangers

A l’issue de cette campagne, la présence des femmes n’aura toutefois pas dominé les débats. Et c’est bien la corruption qui aura permis à l’ensemble des mouvements d’opposition islamistes comme libéraux de faire front commun. C’est sur ce thème que de jeunes Koweitiens, issus de milieux aisés ont manifesté mercredi devant un poste de police. Comme le souligne Khader, un homme d’affaires de 32 ans, « il s’agit de dénoncer l’achat de voix par les candidats les plus riches ». Une pratique qui, pour ces jeunes qui se sont dernièrement découvert un sens politique, menace le fragile système démocratique koweitien. Et le moindre des paradoxes n’est pas de voir au cours de cette manifestation de luxueuses voitures de sport arborées sur leurs lunettes arrière le slogan « le Koweït n’est pas à vendre » !

Le Mouvement islamiste constitutionnel ne dit pas autre chose quand il réclame une lutte accrue contre ces pratiques. Le chemin est encore long avant de voir l’émirat devenir une véritable démocratie. D’autant que près de 100 000 personnes, apparentées à des Koweitiens, restent privées de tout droit politique. On les appelle les Bidounes, les « sans ». Sans nationalité et avec un statut juridique qui, comme le souligne Mohamed Al Fili professeur de droit constitutionnel à l’université de Koweït, « n’est ni celui des Koweitiens ni celui des étrangers ». Ces hommes et ces femmes résidents de longue date, voire nés au Koweït, n’ont jamais pu prouver leur citoyenneté koweitienne. Nasser dont le père a servi dans l’armée de l’émirat est l’un d’entre eux. Et comme tous les Bidounes il est victime au quotidien de discrimination. « Si je souhaite voyager à l’étranger ou acheter une voiture, je dois être parrainé par un Koweitien. C’est la même chose pour trouver du travail. »

« Il suffirait de peu de chose… »

Les Bidounes n’ont pas accès aux services gratuits gouvernementaux dans les domaines de la santé ou de l’éducation. Les associations de défense des droits de l’homme font d’ailleurs de l’égalité des droits sociaux une priorité. L’activiste Ghanem Al Najjar reconnaît en effet que la question de la citoyenneté reste un sujet délicat. « Certains Koweitiens craignent qu’une naturalisation massive des Bidounes menace l’équilibre socio politique du pays ». En attendant Nasser doit tous les six mois renouveler sa carte de couleur verte, symbole de son appartenance à cette catégorie à part.

Preuve toutefois que l’émirat se démarque des autres monarchies du Golfe, ce sujet tout comme la corruption est débattu sans restriction dans la presse du pays. Comme le souligne Ziad, responsable du marketing dans une société de télécommunications, « il suffirait de peu de chose pour que le pays fonctionne de manière réellement démocratique ». Mais, au-delà des cinquante députés qui composeront la prochaine assemblée législative, il faudra une véritable volonté politique de l’émir, le cheikh Sabah al-Ahmad al-Jaber al-Sabah.

par Frank  Weil-Rabaud

Article publié le 29/06/2006Dernière mise à jour le 29/06/2006 à TU

Audio

Fatiha Dazi-Heni

Auteure de «Monarchies et sociétés d'Arabie : le temps des confrontations», chercheuse au CERI

«Il y a une frénésie de changement dans cette région du monde arabe»

[27/05/2006]

Articles