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Biafra

Le réveil de la contestation biafraise

Le coeur de la contestation est à Onitsha, ville commerçante, réputée pour sa mafia et sa violence. Le nom du Mouvement pour la réalisation de l'Etat souverain du Biafra, serait à l'origine des troubles. 

		(Photo : AFP)
Le coeur de la contestation est à Onitsha, ville commerçante, réputée pour sa mafia et sa violence. Le nom du Mouvement pour la réalisation de l'Etat souverain du Biafra, serait à l'origine des troubles.
(Photo : AFP)
L'année dernière, les drapeaux et la monnaie biafraise ont fait leur réapparition au sud-est du Nigeria, près de 40 ans après la guerre civile. Le nom du Mouvement pour la réalisation de l'Etat souverain du Biafra, le Massob, est cité dans une série de troubles qui ont ébranlé la région depuis le début de l'année.

De notre correspondante au Nigéria 

Génération Massob  

En 1967, une région peuplée majoritairement de Ibos, l'un des trois principaux groupes ethniques du Nigeria, fait sécession pour devenir la République du Biafra. Elle englobe le sud-est, coeur du pays Ibos, et les Etats pétroliers du Delta du Niger. La guerre civile dure trois ans et fait plus d’un million de morts. Le professeur Paul Modum fut un responsables du gouvernement biafrais. « Personne n'a envie d'avoir cette expérience deux fois dans sa vie », dit-il.

Mais la jeune génération n'a pas renoncé à un Etat indépendant. Créé en 1999, le Mouvement pour la réalisation de l'Etat souverain du Biafra, le Massob, cristallise son mécontentement. « Tant de jeunes diplômés n'ont pas de travail » déplore Gladys, une militante de 24 ans. « Avec un Etat, nous aurions des infrastructures, des industries ». Son grand-père était combattant, ses parents sont du Massob et approuvent son adhésion, en dépit des risques.

Clandestinité et répression

Le Massob est illégal et son fondateur Ralph Uwazuruike a été arrêté à la fin de l'année dernière.
Fin juin, une descente de police dans un bureau du mouvement à Onistha a fait plusieurs morts. Pour l’avocat Clément Zephy Obiekwe, ces actions « visent à frustrer les militants ». Dans sa zone, des dizaines d'interpellations ont eu lieu ces derniers mois, et aucune n'a selon lui donné lieu à une condamnation. « Ils n'ont pas recours à la violence » précise-t-il. 

Le Massob se présente comme un mouvement pacifique, qui compte sur les Nations unies pour reconnaître l'Etat du Biafra. Ce n'est pas l'avis du numéro 2 de la police fédérale Mike Okiro, dépêché en urgence au Sud-Est pour mettre fin à des troubles dans lesquels, selon lui, le mouvement est impliqué : « Bien sûr qu’ils sont armés, ils attaquent des commissariats, brûlent des batiments officiels, détruisent des véhicules gouvernementaux », dit-il.

Le coeur de la contestation

Quelques drapeaux biafrais flottent dans les environs d'Enugu. Mais le coeur de la contestation est à Onitsha, ville commerçante, réputée pour sa mafia et sa violence. Au fin fond du labyrinthique marché central, les commerçants Manchikah et Lanson King exhibent une monnaie biafraise en parfait état. Ils ne l'utilisent pas, mais la gardent précieusement car comme dit Lanson King, « un jour on aura la liberté et on l'utilisera ».

Pour Manchikah, l'Etat nigérian est un prédateur incarné par Abuja, la capitale fédérale. « Tous les minerais, le pétrole, qui font le Nigeria viennent d’ici, ils prennent les ressources, ensuite ils vont construire des palais à Abuja.  Regardez Onitscha, il n'y a pas de routes ». Lanson King est dégoûté par la corruption des politiciens, qui « volent des sommes énormes et laissent les autres en rade ».

Tensions inter-religieuses

En février 2006, des chrétiens originaires d'Onitsha ont été tués au nord du pays, majoritairement musulman. Quand leurs corps ont été rapatriés à Onitsha, les musulmans ont subi de terribles représailles. Ils ont trouvé refuge à Asaba, au-delà du fleuve Niger. Omar Yusuf ne retournera pas à Onitsha : « C'est trop violent là bas, ils sont là à s'entretuer, en criant Massob, Biafra. Il y a un Nigeria, et personne ne va diviser notre pays », estime-t-il.

 Dans les Etats du Nord qui ont pour la plupart introduit la sharia, les chrétiens sont souvent pris pour cible. « Au Nigeria, on est chrétien parce qu'on est Ibo, Ibo parce qu'on est chrétien » souligne Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu, le leader de l'indépendance biafraise. Selon lui, les récents massacres de Ibos au Nord montrent que la communauté est toujours menacée.

Marginalisation politique

Les élections présidentielles de 2007 approchent. La scène politique a jusqu’à présent été dominée par le Nord et, depuis 1999, par le sud-ouest yoruba.  « Nous sommes encore en train de discuter pour savoir si un natif de l'Est peut devenir président du Nigeria. Il ne fait aucun doute que dans certaines structures, les Ibos ont l'impression de vivre dans une cage en verre » estime Odjukwu, qui ajoute que les autorités ne devraient pas ignorer le Massob car « personne ne connaît leur nombre, leur mode de recrutement et d'entraînement, mais ils sont là, ils deviennent le symbole des Ibos insatisfaits ».

Dans la région, sont apparues d'autres organisations contestataires, le Mouvement d'émancipation du Delta du Niger par exemple, formé majoritairement de Ijaw, la deuxième ethnie en nombre, après les Ibos. Théoriquement, le Biafra les inclut, mais eux ne se réclament pas du Biafra, c'est pour leur communauté qu'ils revendiquent le contrôle des ressources pétrolières. L'unité de toute la région contre le gouvernement reste une utopie. Mais les foyers de contestation se multiplient.



par Virginie  Gomez

Article publié le 02/07/2006Dernière mise à jour le 02/07/2006 à TU