Algérie- Royaume-Uni
Bouteflika à Londres : investissements et extraditions
(Photo : AFP)
Mardi, après le baise-main traditionnel offert par la reine Elizabeth II, le président Bouteflika avait rendez-vous avec son hôte, le Premier ministre britannique, Tony Blair, à Downing Street. En arrivant, Abdelaziz Bouteflika savait déjà que d’autres pourparlers seraient nécessaires pour boucler le dossier épineux de la coopération judiciaire bilatérale. Mais quatre accords de coopération judiciaire étaient déjà fin prêts pour leur signature, mardi. Ils ont été rédigés «sur le modèle de ceux déjà passés avec beaucoup d'autres pays en matière judiciaire, pénale, de réadmission et d'extradition». En retour le président algérien promet de donner des «assurances diplomatiques» quant au sort réservé en Algérie à ceux que Londres souhaite y renvoyer. Mais dans l’immédiat, cela ne concerne pas la quinzaine d’Algériens que la justice britannique suspecte d’activités terroristes.
Il faudra encore discuter chacun des quinze cas en suspens au Royaume-Uni avant que la justice britannique puisse décider leur expulsion car ces prévenus ne sont pas volontaire pour un retour au pays, à la différence de leurs deux compatriotes rapatriés à la mi-juin. Selon la diplomatie britannique, ces derniers auraient été «rendus à leur famille» après cinq jours d’interrogatoire à leur arrivée à Alger. Mais pour sa part, l’organisation des droits de l’Homme Amnesty International a saisi l’occasion de la visite présidentielle algérienne à Londres pour lancer une mise en garde internationale contre «la pratique de la torture par la sécurité militaire en Algérie».
Dans un rapport publié lundi, Amnesty International accuse le département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), en fait la sécurité militaire, d’user de «pouvoirs illimités» pour arrêter et torturer dans des lieux tenus secrets tous ceux qu’elle soupçonne «de détenir des informations sur des groupes armés opérant en Algérie ou sur des activités terroristes présumées à l’étranger». Soulignant qu’aucune «institution civile – pas même présidentielle – n’exerce une véritable supervision» des activités du DRS, Amnesty International suggère au président Bouteflika «de s'engager en public à enquêter(…) et à ce que toute personne responsable d'actes de torture ou de mauvais traitements infligés à des détenus soit traduite sans délai en justice».
En même temps, Amnesty demande aux gouvernements étrangers et en particulier au Royaume-Uni de cesser les «renvois forcés en Algérie», surtout lorsqu’ils concernent des personnes impliquées de près ou de loin dans des affaires de terrorisme. Le chef de la diplomatie britannique répond que plus de 200 Algériens ont déjà été expulsés «sans problème» en Algérie, pour des délits ou un séjour illégal au Royaume-Uni. De son côté, si le président Bouteflika s’intéresse de près à la question, c’est parce qu’il espère obtenir enfin l’extradition de Rafik Abdelmoumen Khalifa, réfugié à Londres depuis sa faillite frauduleuse en 2003.
C’est grâce au soutien des politico-militaires au pouvoir à Alger que le golden boy algérien Khalifa s’était taillé un empire en 1998. Aussi foudroyante que son ascension, sa chute a laissé sur le carreau les 22 000 salariés de sa compagnie aérienne, de ses chaînes de télévision et surtout de sa Khalifa Bank, premier réseau bancaire privé en Algérie. Des entreprises d’Etat et des caisses de retraite appartenant à des syndicats sont sorties exsangues de sa banqueroute et Alger a délivré un mandat d’arrêt international contre Abdelmoumen Khalifa en 2004. On sait le président Bouteflika désireux de laisser ses affaires en ordre, au cas où la maladie l’emporterait plus vite que prévu. Le scandale Khalifa est une bombe à retardement qu’il a des raisons familiales de vouloir désamorcer, à sa manière.
Des relations commerciales en plein essor
A l’heure où l’argent du pétrole coule à flots sans grand profit pour le développement du pays, Abdelaziz Bouteflika souhaite diversifier les relations économiques de l’Algérie et élargir les domaines d’investissement jusqu’ici monopolisés par le gaz et le pétrole. Ceux-ci représentent 90% des exportations algériennes et restent un moteur. Concocté en 2003, un contrat gazier entre Alger et Londres vient justement d’entrer en vigueur, en juin 2005. Il organise la livraison annuelle de 5 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL) algérien au Royaume-Uni dans le cadre d’un accord entre la société nationale Sonatrach et la British Petroleum. En un an, il a en tout cas déjà décuplé les exportations algériennes au Royaume-Uni qui sont passées de quelque 44,6 millions de livres à 497,3 millions.
Fin juin, Alger a remboursé par anticipation ses 202 millions de dollars de dettes envers Londres. L’Algérie est au troisième rang des exportateurs arabes au Royaume-Uni, derrière l’Arabie saoudite et l’Egypte. Au moment où il songe à mettre de l’ordre dans les systèmes financiers de l’économie nationale, le président Bouteflika entend s’appuyer sur le savoir-faire britannique. A Londres, outre l’insigne honneur que lui fait le Parlement britannique en l’invitant pour lancer un groupe parlementaire d’amitié algéro-britannique, le président Bouteflika sera aussi l’hôte du lord maire de la City, le cœur battant de la finance britannique. Pour ne manquer aucune occasion, le président algérien est accompagné de son ministre chargé des investissements et de celui de la réforme financière. Ils seront sans doute du déjeuner de travail offert par le directeur de la grande banque internationale britannique, HSBC.
Le week-end dernier, Abdelaziz Bouteflika a reçu à Alger l’un des principaux représentants de l’opposition française, en l’occurrence le premier secrétaire du Parti socialiste français, François Hollande. A cette occasion, le président algérien a marqué une fois de plus son dédain pour le fameux «traité d'amitié» tant espéré du président Jacques Chirac. Il s’est ensuite envolé pour Londres, un nouveau partenaire, dont il attend visiblement beaucoup. Mais, alors que son avion survolait la France, Abdelaziz Bouteflika a adressé un message d’amitié appuyé au président français pour lui «redire tout l'engagement qui est le [sien] à bâtir une relation algéro-française aussi forte qu'exemplaire».
par Monique Mas
Article publié le 11/07/2006Dernière mise à jour le 11/07/2006 à TU