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Algérie

Le président se fâche

Le président Abdelaziz Bouteflika, le 5 juin 2006 à Alger. 

		(Photo: AFP)
Le président Abdelaziz Bouteflika, le 5 juin 2006 à Alger.
(Photo: AFP)
Abdelaziz Bouteflika n’est pas satisfait des résultats de son gouvernement et de ses walis (préfets). Lors d’une conférence d’évaluation, il les a menacés de limogeage tout en les incitant à retrousser les manches pour réaliser les objectifs de développement qu’il leur a fixés. Mais son discours –de plus de deux heures– a surtout glissé vers des sujets inattendus.

De notre correspondant à Alger

Abdelaziz Bouteflika a jugé inacceptable que l’hymne et l’emblème national puissent être régis par des lois. « Ils sont immuables, ce sont des constantes », a-t-il martelé. Notre hymne national n’est pas plus violent que « l’étendard sanglant est levé ». On s’attendait alors à ce qu’il enchaîne sur une nouvelle salve anti-France coloniale. Il a débouché sur une variante. Il a critiqué l’accord algéro-français, conclu sous la présidence de Chadli Bendjedid, permettant aux jeunes Algériens nés en France, d’accomplir au choix leur service militaire en Algérie ou en France. Saluée en son temps, cette formule réglait notamment des cas sociaux complexes et facilitait la circulation des binationaux. Aujourd’hui, le président algérien la juge anachronique au plan patriotique. Sur ce registre, il s’en est pris aux Algériens binationaux ou détenteurs de plusieurs nationalités. Il a mis en doute leur appartenance à la communauté nationale en leur reprochant de jouer sur plusieurs tableaux, au gré de leurs intérêts. Je respecte leur choix, mais la priorité est aux nationaux, a-t-il dit en substance. « S’ils ont des compétences je les utilise, je les paie, mais qu’ils ne viennent pas nous assener leurs conseils ou philosophies », a-t-il ajouté.

Presse, juristes et observateurs ont été surpris par cette digression d’autant plus que le code la nationalité, révisé en mars 2005 par ordonnance présidentielle, reconnaît la double nationalité. Les fins connaisseurs du sérail y ont vu une allusion à quelques dizaines de hauts responsables de l’Etat, des binationaux parmi lesquels des ministres. Difficile de croire que le président l’ignorait. Sa charge viserait-elle à les pousser à se démettre après avoir admis leur insertion dans les rouages névralgiques de l’Etat ? Le ministre de l’Energie, Chakib Khellil, qui a vécu et travaillé aux Etats-Unis pendant plus de 20 ans, initiateur militant de la loi libérale sur les hydrocarbures, pourrait être dans son collimateur.

«Le droit des générations futures à bénéficier des richesses naturelles»

Cette loi qui instaure le régime des concessions - décriées au nom du patriotisme économique et de la préservation de la souveraineté sur les richesses nationales par plusieurs personnalités telles que Abdelhamid Mehri, Sid Ahmed Ghozali, Mouloud Hamrouche, Louisa Hanoune et d’autres -  a été promulguée en mars 2005. Ses textes d’application n’ont pas encore vu le jour. Mieux, lors de ce discours à tiroirs, Abdelaziz Bouteflika a affirmé qu’«il est aujourd’hui de notre devoir de consacrer le droit des générations futures à bénéficier des richesses naturelles (…) Nous sommes parvenus à la conclusion que notre génération n’est pas en mesure de créer une économie alternative au secteur des hydrocarbures». Le Président se serait-il rallié aux vues de son ministre de l’intérieur, Yazid Zerhouni ? Opposé pour des raisons stratégiques à la loi Khellil, ce ministre l’avait fait savoir par écrit au chef de l’Etat, indiquent des sources concordantes.

Toujours est-il que la trotskyste Louisa Hanoune a applaudi à la tirade sur « le droit des générations futures à bénéficier des richesses naturelles ». Pour elle, le président « a pris conscience du danger qui menace la souveraineté nationale et a mesuré l’ampleur des conséquences dévastatrices en cas d’application de cette loi ». Les principaux partis qui l’ont soutenu et voté, le FLN, le RND, le MSP, sont dans l’expectative. Le 5 juillet, fête de l’indépendance, le président pourrait annoncer « d’importantes décisions » qui s’inscriraient dans le prolongement de ce discours.  Cependant, cet anniversaire coïncide avec le traitement judiciaire d’un volet du scandale financier du groupe Khalifa. 124 personnes, inculpées dans l’affaire de la Khalifa Bank, devraient savoir lundi 3 juillet si leur sort relève d’un tribunal correctionnel ou criminel. Parmi eux, l’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, A. Keramane. A longueur de colonnes, la presse privée étale les détails de l’instruction, au grand dam du ministre de la Justice. On y découvre un incroyable laisser-aller institutionnel impliquant, ministres, hauts fonctionnaires et PDG. Sans forcer, on comprend comment Rafik Khalifa a pu devenir milliardaire. Ce scandale, qui a éclaté en 2002 à mi-parcours du premier mandat de Bouteflika, éclabousse tout le régime. Un très fâcheux scandale qui pourrait expliquer également que le président algérien tance ses ministres et préfets… et convoque à son secours le patriotisme.



par Belkacem  Kolli

Article publié le 29/06/2006Dernière mise à jour le 29/06/2006 à TU