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Ouganda

Les rebelles acculés

Le chef de l'Armée de résistance du seigneur (LRA) Joseph Kony (au centre, en blanc), accepte les pourparlers de paix de Juba au Sud-Soudan, mais il craint de s'y rendre en personne.   

		(Photo : Gabriel Kahn/RFI)
Le chef de l'Armée de résistance du seigneur (LRA) Joseph Kony (au centre, en blanc), accepte les pourparlers de paix de Juba au Sud-Soudan, mais il craint de s'y rendre en personne.
(Photo : Gabriel Kahn/RFI)
Recherchés par la Cour pénale internationale pour «crimes contre l’humanité», les chefs des rebelles ougandais de l’Armée de résistance du seigneur (LRA) ont refusé de se rendre à Juba, la capitale du Sud-Soudan, où ont repris lundi des pourparlers de paix avec le gouvernement ougandais. Pour les encourager à venir à Juba, le vice-président du Sud-Soudan, Riek Machar, était pourtant allé les voir dans leur repaire, à la frontière du Soudan et de la République démocratique du Congo, à la tête d’une délégation de notables soudanais et ougandais.

De notre envoyé spécial

Pour rencontrer le chef rebelle, Joseph Kony, et l’encourager à faire la paix avec le gouvernement ougandais, le vice-président du Sud-Soudan, Riek Machar, avait décidé d’installer son camp pendant une dizaine de jours dans la forêt tropicale, à la frontière de la République démocratique du Congo (RDC). Constituée de 12 huttes dans les herbes à éléphants, la petite position militaire soudanaise de Nabanga, dans le sud-ouest du Soudan, s’est transformée en une place-forte gardée jour et nuit, sous la pluie, par une soixantaine d’hommes, à une quinzaine de kilomètres de l’ultime refuge du chef rebelle le plus recherché d’Afrique, Joseph Kony, replié de l’autre coté de la frontière, dans l’épaisse obscurité du parc national de la Garamba.

Joseph Kony, poursuivi par la Cour pénale internationale pour «crimes contre l’humanité», refusant de se rendre au Soudan, Riek Machar ne voulant pas franchir la frontière congolaise, le bras de fer a duré des jours. Le vice-président du Sud-Soudan a attendu, en vain, pendu à son téléphone par satellite jusqu’à trouver un compromis : une délégation de politiciens ougandais dirigés par l’opposant Norbert Mao, un Acholi comme Joseph Kony, a été autorisé à se rendre auprès du chef rebelle, en compagnie de quelques soldats de Riek Machar et de journalistes.

Sous le couvert forestier congolais

Guidée par les rebelles, la délégation a suivi un sentier étroit, pénétrant dans l’épaisse fraîcheur de l’immense forêt. Après une demi-heure de marche, une croix, gravée sur le tronc d’un arbre le long du sentier boueux, et ces mots : «STOP. Armée de résistance du seigneur. Un pour tous, tous pour un». Un pas de plus et après un bambou dressé au travers du passage, les visiteurs sont entrés dans le repaire de l’insaisissable Joseph Kony. Le sentier jusque là désert s’est soudainement animé.

Des enfants et des adolescents, coiffés de dreadlocks, vêtus d’uniformes de l’armée ougandaise, baïonnettes au fusil, assurent la garde. Certains, ont le visage dur et fermé. D’autres ont conservé la fraîcheur de leur âge. Tous sont accusés d’avoir massacré et enlevé des dizaines de milliers de civils dans le nord de l’Ouganda et le Sud-Soudan. Mais sous le couvert forestier, seuls les chants d’oiseaux et le bruissement des feuilles rompent le lourd silence.

Pour accueillir la délégation ougandaise, les rebelles enfoncent alors des tiges de palmier dans le sol trempé, symbole de paix. Les visiteurs éteignent leurs téléphones par satellite et sont fouillés à plusieurs reprises. Le visage tendu, Joseph Kony, les attend dans un édifice rectangulaire coiffé de paille. Erigé dans un sous-bois, il est baptisé «Parlement».

«Nous nous sommes sentis oubliés par notre peuple et nous sommes contents que vous soyez tous ici», lance Kony dans un discours enflammé qui dure près de deux heures. Le chef rebelle assure que l’Armée de résistance du seigneur est prête à reprendre les pourparlers de paix engagés avec le gouvernement ougandais. Joseph Kony insiste sur la nécessité d’un cessez-le-feu afin de permettre aux négociations de se poursuivre «dans une atmosphère détendue». «Dans le passé, le gouvernement ougandais a saboté toutes nos tentatives de faire la paix», se plaint Kony.

Joseph Kony demande pardon

Le lendemain, face à une délégation de notables soudanais, dans une clairière soudanaise, à deux kilomètres de la frontière congolaise, Joseph Kony présente des excuses. «J’aimerais que vous me pardonniez», demande-t-il aux notables dont il vient d’écouter les complaintes. Dans une conférence de presse improvisée dans la clairière pleine d’hommes en armes, Kony jure qu’il n’est pas le démon dépeint par le gouvernement ougandais. «Je suis un homme, un être humain, ceux qui disent que je suis un démon pourrissent mon nom», assure-t-il dans un anglais hésitant.

«Les atrocités qui me sont imputées sont celles de l’armée gouvernementale ougandaise. Je n’ai kidnappé personne et il n’y a pas d’enfants dans mon camp», plaide Kony devant des journalistes médusés. Selon les Nations unies, la LRA aurait en effet enlevé plus de 20 000 enfants dans le nord de l’Ouganda et le Sud-Soudan ces dix dernières années. Ces enfants sont dressés à tuer et souvent abusés sexuellement. Lors d’une récente attaque à Iba, dans le sud- ouest du Soudan, six filles ont été kidnappées, âgées de 12 à 16 ans. La délégation soudanaise a demandé en vain à Joseph Kony de les relâcher.

La terreur qui, selon les Nations unies a déplacé près de deux millions de personnes ces dix dernières années dans le nord de l’Ouganda s’est étendue au Sud-Soudan. La région de Yambio, dans la province de l’Eastern Equatoria, à la frontière de la République démocratique du Congo, offre par endroits un visage de désolation. A Nabanga, les champs de manioc et de maïs ont laissé place à des herbes de trois mètres de haut. Le miel, principal produit d’exportation, se fait rare. «Les rebelles ougandais de l’Armée de résistance du seigneur ont détruit toutes nos ruches», se désole un habitant. Les enfants, qui constituent l’essentiel des combattants de la LRA ont-ils gardé le goût des friandises ?

Khartoum a lâché la LRA

Lâchée par Khartoum, depuis la signature d’un accord de paix intersoudanais, en février dernier, entre le régime islamique du général al-Béchir et les ex-rebelles sudistes de la SPLA, la LRA a dû se retirer des abords de la ville garnison qu’était Juba, la nouvelle capitale du Sud-Soudan. Ses hommes ont dû marcher près de mille kilomètres pour se replier en RDC. Depuis lors, les embuscades, les enlèvements et les pillages se sont multipliés dans le sud-ouest du Soudan. Divers groupes de bandits financés par des hommes d’affaires locaux ont profité de cette escalade de violence pour  organiser des actions criminelles maquillées en attaque rebelle.

Cette anarchie menace la paix fragile et le gouvernement du Sud-Soudan a exigé du gouvernement ougandais qu’il négocie la paix avec les rebelles. Ces négociations ont débuté en juillet dernier à Juba avec la médiation du vice-président soudanais Riek Machar. Mais face à une délégation rebelle constituée de 16 personnes pour la plupart très corrompues et sans grande influence sur le commandement militaire de la LRA, Riek Machar s’est cru tenu d’aller lui-même rencontrer Joseph Kony.

Les négociations de paix qui ont repris lundi à Juba se feront pourtant sans Kony. Paranoïaque, détaché des réalités après plus de 20 ans passés dans le bush, Joseph Kony ne croit pas en la main que lui tend le gouvernement du Sud-Soudan. Il se cache. Mais cela n’empêche pas les médiateurs de se déclarer confiants. «Les rebelles sont isolés. Ils n’ont pas le choix», souligne l’un d’eux.



par Gabriel  Kahn

Article publié le 08/08/2006Dernière mise à jour le 08/08/2006 à TU

Audio

Obonyo Olweny

Membre de la délégation de la LRA

«Les officiers qui sont là sont suffisants pour représenter le commandement de l'Armée de résistance du Seigneur.»

[08/08/2006]

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